« La Leçon dans le phonographe » par Raymond de la Nézière

Raymond de la Nézière « La Leçon dans le phonographe », Mon Journal, n°26, 26 mars 1904.  Source : Agence Eureka.


Aux Etats-Unis, la bulle parlante dans les comics ne devient réellement une norme qu’à partir de 1900. En France, avant Alain Saint-Ogan, la bulle n’a jamais percé dans la bande dessinée. Les histoires sans paroles ont, par contre, connu un certain succès et une certaine postérité depuis celles parues dans Le Chat Noir dès 1882. C’est la presse et la littérature pour enfants qui va s’approprier le genre séquentiel muet à partir de la décennie suivante. Le but est pédagogique mais aussi ludique. Ainsi, la revue Mon Journal éditée par Hachette dès 1881 publie régulièrement des histoires sans paroles sous forme de jeu-concours : les jeunes lecteurs doivent écrire une explication à cette histoire sans paroles et l’envoyer au journal qui récompensera les meilleures.

Dans son numéro du 26 mars 1904, Mon Journal offre en quatrième de couverture cette histoire muette signée Raymond de la Nézière (1865-1953) (1). « La Leçon dans le phonographe » raconte la tentative de tricherie à laquelle se livrent deux jeunes élèves. Ils enregistrent à l’aide d’un phonographe la leçon qu’ils doivent apprendre et ensuite font semblant de la réciter devant leur professeur en cachant l’appareil. Mais ce dernier n’est pas dupe et les enfants sont rapidement pris et punis à porter chacun un bonnet d’âne.

Ici, l’appareil phonographe n’est pas producteur d’une quelconque bulle (2). Et le crayon de Raymond de la Nézière ne laisse jamais transparaître la moindre symbolisation graphique renvoyant à la représentation de l’acoustique. La planche est complètement muette de ces signes qui laisseraient entrevoir que des voix ou des bruits, directs ou reproduits, sont émis.

Cependant, cette histoire semble jouer involontairement de ce silence. Hormis même le phonographe, de nombreux éléments et postures renvoient à la sphère auditive faisant de cette planche une pantomime ironique : dans la première case, l’un des enfants enregistre sa voix, l’autre écoute à la porte pour surveiller l’arrivée du maitre. Dans la deuxième, l’un des deux se bouche les oreilles pour se concentrer. Dans la troisième, le phonographe à l’oeuvre reproduit la voix de l’élève. Dans la quatrième, le phonographe doit continuer imperturbablement de réciter, alors que le maître découvre la supercherie. On devine que la scène de la cinquième case suit un sévère et sonore sermon. Enfin, à la dernière case, les deux élèves se retrouvent chacun avec sur la tête un bonnet d’âne… Les grandes oreilles factices de cette coiffe nous rappelant tout le paradoxe de cette planche muette et pourtant expressive.


Mise-à-jour du 8-04-2009 :
Cet article en italien par Massimo Cardellini  est consultable sur son site : Letteratura&Grafica.

  1. Notez que la planche semble être datée 1902 sous la signature du dessinateur. Merci à l’excellent site de l’agence Eureka de m’avoir fait découvrir cette planche. []
  2. Aux Etats-Unis, l’utilisation systématique de la bulle parlante dans le comic strip est directement liée à l’émergence du phonographe ainsi que du téléphone. Voir : Thierry Smolderen, chapitre « Du Label à la bulle », Naissances de la bande dessinée, de William Hogarth à Winsor McCay, Impressions Nouvelles, 2009, p. 118-127. []
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