« Le portrait de profil » par Eugène Le Mouël

Eugène Le Mouël, « Le portrait de profil », La Caricature, n° 350 du 11 septembre 1886.

 

Parue en septembre 1886 dans La Caricature, revue dirigée par Albert Robida, cette planche intitulée « Le portrait de profil » est signée Eugène Le Mouël  (1).

D’une double origine normande et bretonne, Eugène Le Mouël (1859-1934) a poursuivi tout au long de sa vie les carrières d’écrivain, de poète, d’illustrateur et de dessinateur humoristique. Sous cette dernière casquette, il exerça durant les années 1880 à 1930 une longue activité dans la presse, donnant régulièrement des histoires en images. On retrouve sa signature dans Le Charivari, Le Chat NoirMon Journal, Le Soleil du Dimanche, Polichinelle, Le Rire, ou encore Guignol. Il travailla également pour les imageries enfantines des maisons Pellerin et Quantin.

Dans cette planche de La Caricature, M. Pépin, provincial d’Isigny « ayant fait fortune dans les beurres », décide de se faire faire le portrait par le peintre Cobalt. L’artiste fait de son modèle un portrait de profil mais ce dernier n’est pas du goût du bourgeois : il ne comprend pas pourquoi son effigie n’a qu’un oeil. « De profil ! De profil ! … reprit M. Pépin, je n’entend rien à vos termes techniques, j’ai deux yeux, je veux deux yeux. » Jeté de l’atelier de Cobalt « farouche amant de l’art pur », M. Pépin ramène le tableau chez lui et le corrige en y ajoutant à l’encre l’organe oculaire manquant.

Ce portrait corrigé, à la fois de face et de profil, offre un étonnant rapprochement avec certains des portraits peints par Pablo Picasso dans les années 1930 :

 

A gauche : Picasso, Portrait de Marie-Thérèse Walter, 1937.
A droite : Cobalt, Portrait de M. Pépin, 1886.


Faut-il sacrer ce philistin de M. Pépin précurseur du cubisme ? S’il fallait rattacher cette histoire satirique à un courant artistique, ce serait davantage aux Arts incohérents. Les expositions de cette « académie du dérisoire » entre 1882 et 1893 maniaient allègrement la provocation humoristique. Les oeuvres présentées raillaient, entre autres, les pratiques artistiques de l’époque, parodiant tout aussi bien les peintres académiques que les impressionnistes, mais donnaient aussi dans le genre satirique, qu’il soit politique ou de mœurs.

Notons par ailleurs que nombre d’œuvres exposées lors de ces expositions sont à rapprocher de certains tableaux et provocations artistiques célèbres du XXe siècle. Ceux-là même qui sont réputés avoir plusieurs décennies après révolutionné l’art moderne, de Dada à la peinture monochrome  (2). Mais ne nous trompons pas, notre histoires en images ne parodie pas une potentielle nouvelle école artistique et donne davantage dans le registre de la caricature de moeurs, ridiculisant la fatuité de ce bourgeois inculte.

Eugène Le Mouël exposa aux Arts incohérents  (3). Il est même l’un des piliers discrets de ces cercles qui pratiquent l’humour fin-de-siècle : jeune étudiant en droit à Paris, il fréquente les Hydropathes dont il est un membre régulier. On le retrouve ensuite aux Hirsutes, dont il assura la vice-présidence, et aussi au Chat Noir, où il publia poèmes et dessins dans le journal.

Il nous faudra revenir un jour sur le cas d’Eugène Le Mouël à l’occasion d’un nouveau rapprochement tout aussi surprenant. Il s’agit d’une planche qu’il dessina en 1886 pour l’ « Imagerie artistique » de la maison Quantin, intitulée Le Sapeur Gruyer, et qui rappelle de façon troublante un autre célèbre militaire portant bonnet à poils et patronyme fromager : le sapeur Camember de Christophe.

Cet article traduit en italien par Massimo Cardellini est consultable sur le site Letteratura&grafica.

 

  1. Eugène Le Mouël, « Le portrait de profil », La Caricature, n° 350 du 11 septembre 1886. A noter que de très nombreux numéros de cette revue sont disponibles à la consultation sur Gallica.[]
  2. A ce sujet lire le chapitre « Farceurs mais précurseurs » du livre de Catherine Charpin, Les Arts incohérents (1882-1893). Syros-Alternatives, Paris, 1990.[]
  3. Indication donnée par le Dico Solo, mais nous n’avons pas retrouvé sa contribution dans les catalogues de ces expositions de  1884, 1886 et 1889.[]
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