« L’obéissance passive » et autres inédits de Christophe

Christophe, « L’obéissance passive, selon Marius (de Marseille) », Qui lit rit, n° 41 du 8 novembre 1908.

 

On pensait que la contribution de Christohe au neuvième art s’était conclue en 1904, quelque temps après qu’il ait terminé sa série « Les Malices de Plick et Plock » dans le Petit Français illustré. La découverte aujourd’hui de cette planche publiée en 1908 dans Qui lit rit, « Journal humoristique de la famille » édité par Jules Rueff entre 1905 et 1910, n’est pas sans nous réjouir. Nous ne savons pas s’il existe d’autres collaborations du créateur de la famille Fenouillard dans cette publication qui mériterait d’être étudiée de plus près (1).

L’obéissance passive vue par un méridional aux souvenirs invraisemblables ne ressemble pas vraiment à celle que Victor Hugo dénonçait dans ses Châtiments… (2). Cette soumission aveugle aux ordres rappelle davantage celle qu’applique, au pied de la lettre mais sans vraiment la comprendre, un autre militaire créé par Christophe, le sapeur Camember. Dans Qui lit rit cependant, la discipline du corps militaire atteint des sommets puisque, même au Paradis, le père Eternel ne peut arrêter cette armée des ombres.

Dans cette planche tardive, l’humour et le style qui firent le succès de Christophe brillent d’un éclat intact : le texte et l’image se nourrissent l’un l’autre pour créer un décalage toujours aussi comique. La scène de la chute des militaires dans la rivière est caractéristique de son sens pour la composition des images et pour les ellipses. Dans cette planche, on retrouve également l’organisation régulière des cases dans la planche, avec quelques aménagements, typique du dessinateur. Les personnages en ombres chinoises rappellent des épisodes nocturnes vues dans les différentes séries de Christophe : les Fenouillard au Japon, le sapeur Camember sauvant le colonel lors de la bataille de Flavigny, ou encore Cosinus dans les ruines de la Cour des Comptes. Enfin, on remarquera la référence à Rodolphe Töpffer, son maître et son modèle, quand Christophe décompose les différentes attitudes et humeurs d’Eustachou à la disparition de ses soldats.

 

La souricière néerlandophone

On savait que Christophe avait collaboré à l’imagerie parisienne Quantin (3), cependant cette planche était inconnue des bibliographies du Franc-comtois :

 


« Flick en Ploch of een drama in een muizenval », Imagerie Brepols n° 1340, Circa 1920. Source : Erfgoedinzicht.be
 

 

« Flick en Ploch of een drama in een muizenval » (Flick et Ploch ou Un drame dans une souricière) fut édité par l’imagier belge Brepols vers 1920.  Il s’agit d’une reprise non signée, et probablement sans autorisation, des Malices de Plick et Plock qui parurent dans Le Petit Français illustré entre 1893 et 1904. Cet épisode des deux lutins facétieux fut repris en 1912 dans l’album édité par Armand Colin sous le chapitre « Une drôle de mécanique ».

Pour agrémenter un dispositif d’origine jugé trop rigide, Brepols a ajouté des fioritures aux encadrements de la planche et des vignettes. L’ignorance profonde de la langue néerlandaise ne nous permet pas de juger si le texte de cette planche a conservé tout l’humour et toute la subtilité de la verve de Christophe (4).

Les Fenouillard aliénés au spectacle

Enfin, miracle de la réclame ou odieux sacrilège, au choix , la double page qui suit, intitulée « Les héros finissent toujours par se rencontrer », ressuscita la famille Fenouillard en 1974 dans plusieurs magazines :

 

Deux pages de publicité pour la Renault 5, 1974.

Cette bande dessinée réinvente pour l’occasion une aventure des Fenouillard : elle reprend des dessins et même des cases entières de l’album publié 80 ans plus tôt, en y ajoutant une Renault 5 pour les besoins publicitaires. Cette incrustation est plutôt incongrue, voire indigeste, à l’instar des textes sous les vignettes qui singent lourdement le style de Christophe. L’auteur de cette campagne réalisée pour le compte de l’agence Publicis n’est autre que Jean-Paul Goude (5). Celui-ci ne s’est pas arrêté à la famille de Saint-Rémy-sur Deule… Bécassine, Bibi Fricotin, Bicot ou encore Mandrake furent également embauchés dans cette entreprise de récupération des « héros de notre enfance » que des nostalgiques bédéphiles de l’époque avaient ressortis du grenier.

« Faire du neuf avec du vieux », Goude s’est-il inspiré de la formule chère à Christophe ? Le publicitaire s’est plutôt accaparé la technique du détournement de bande dessinée mise au point par l’Internationale situationniste à la fin des années 1960. En l’occurrence, il s’agit plus spécialement de leurs comics par réalisation directe, réalisés d’après un scénario original, mais à partir d’éléments graphiques existants (6). Cependant, le but de cette bande dessinée n’est pas de nous convertir à la théorie critique du Spectacle ; le détournement est ici repris comme un maniérisme à la mode, vidé de son contenu, et cette publicité n’a pas d’autre but que d’asservir le consommateur à l’obéissance passive de son message.

 

  1. Etrangement, le Dico Solo ne mentionne même pas de participation de Christophe au Qui lit rit… []
  2. « A l’obéissance passive » est l’un des poèmes du recueil Les Châtiments publié en 1853 en réaction à Napoléon III et son coup d’État du 2 décembre 1851. Au sujet de la figure du marseillais hâbleur héros de bande dessinée, voir la planche du serpent à pattes dessinée par O’Galop dans un de nos articles précédents. []
  3. Pour quatre planches précisément, entre 1886 et 1891 : « Deux pêcheurs » (série 3, n° 14), « Un entêté » (série 3, n° 16), « L’omelette » (série 4, n° 7) et « Ko–Cli–Kho » (série 7, n° 7). []
  4. Tout n’est pas perdu cependant, cette planche fut également éditée par Brepols dans une version française sous le n° 340. Merci à Michel Kempeneers pour cette précision. []
  5. Selon la notice détaillant l’histoire des publicités de la R5 consultable sur le site du musée des Arts déco. []
  6. A ce sujet, voir notre article : Antoine Sausverd, « Trop feignants pour faire des dessins ? le détournement de bande dessinée par les situationnistes », dans L’Eprouvette n°3, L’Association, 2007, p. 128-179. []
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