« La Perroquettomanie » par Edouard Chevret


Déniché sur Gallica, cet oiseau exotique nous était inconnu. La Perroquettomanie est un album d’histoire en images daté de 1861 que l’on qualifierait aujourd’hui d’autopublié. Les dessins et texte sont signés par Édouard Chevret, la lithographie est l’œuvre de Canquoin. Tous deux sont originaires de Marseille, ce qui laisse penser que notre album l’est aussi. Dessinateur, caricaturiste, poète, Edouard Chevret est dans la cité phocéenne, le 6 janvier 1835, et mort dans la même ville le 9 décembre 1874 (1). Le Dico Solo n’indique qu’une collaboration à L’Oursin en 1867.

Le style graphique de Chevret n’a rien d’inoubliable. Son album ne se démarque pas non plus par une mise en page particulièrement inventive. La quarantaine de pages qui le compose reproduit le même modèle, à savoir une suite de six vignettes disposées régulièrement sur la page en deux bandes. Le rapport entre l‘image et le texte est le plus souvent illustratif ou prétexte à des jeux de mots par décalage.

Notre héros, M. Frusquillard, « célibataire, maniaque et quinteux », poursuivant son perroquet envolé (comme d’autre l’Objet Aimé), rappelle ceux des premières histoires en images de Cham publiées chez Aubert dès 1839 (M. Lajaunisse, M. Lamelasse, etc.). On retrouve chez le marseillais le même portrait du bourgeois à qui il arrive des mésaventures sans autre fil conducteur que celui d’enfiler les situations comiques. Cet enchaînement d’accidents invraisemblables ne s’achève d’ailleurs qu’avec la mort du héros, qui survient toujours d’une façon aussi extravagante que soudaine.

Cependant, La Perroquettomanie nous décroche encore quelques sourires et se distingue par quelques péripéties des plus fantaisistes. Ainsi, M. Frusquillard se fait dévorer le nez par des rats affamés, mais son appendice nasal repousse, plus pointu que jamais, après avoir été arrosé (2). Notre bourgeois se fait proprement exploser la tête (puis recoller) par son dentiste. Sa paire de bottes est condamnée en procès à être pendue… Pourchassant son jacquot qui ne cesse de lui échapper, M. Frusquillard voyage jusqu’en Egypte et en Italie, où il tombe accidentellement au fond du Vésuve. Le malheureux se retrouve alors aux enfers où il rencontre Minos en personne.

 Edouard Chevret, La Perroquettomanie, 1861. Source : gallica.bnf.fr


Au comble du désespoir, notre héros perd littéralement la tête. S’ensuit une série de visions « abracadabrantes » et cauchemardesques qui évoquent les fantasmagories graphiques de J.J. Grandville.

 

Edouard Chevret, La Perroquettomanie, 1861. Source : gallica.bnf.fr


Dans cet album, Frusquillard partage l’affiche avec deux rôles secondaires : sa domestique Héliotrope et un sapeur nommé Tête-de-loup (qui finiront par se marier). L’image d’un illustre descendant de ce militaire au bonnet à poils s’impose à nous : le sapeur Camember, qui apparaîtra sous le crayon de Christophe une trentaine d’années plus tard dans Le Petit Français illustré.

Mais c’est un autre sapeur, proche cousin de Camember, qui s’apparente le plus avec Tête-de-loup : le sapeur Gruyer qu’Eugène Le Mouël crée pour une planche de l’imagerie Quantin en 1886 (3). En effet, dans les deux histoires, le bonnet à poils, abandonné sur la voie publique par son propriétaire, provoque un quiproquo similaire : la coiffe hirsute, prise pour une bête dangereuse, effraie la population et doit être abattue !

 Edouard Chevret, La Perroquettomanie, 1861. Source : gallica.bnf.fr

 

 Eugène Le Mouël, « Le sapeur Gruyer », Imagerie artistique de la maison Quantin, Série 1, planche n° 14, 1886.



Nous reviendrons prochainement sur la récurrence du sapeur dans les histoires en images du XIXe siècle.

  1. Cf. Octave Teissier, « Peintres, graveurs et sculpteurs nés en Provence », Bulletin de la Société d’études scientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan, tome XIV, 1882-1883, p. 13. Lien []
  2. Ce qui fait de M. Frusquillard un candidat pour notre rubrique « Bandes dessinées à nez ». []
  3. Eugène Le Mouël, « Le sapeur Gruyer », Imagerie artistique de la maison Quantin, Série 1, planche n° 14, 1886. []
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