Il y a deux ans paraissait Dans l’ombre du professeur Nimbus (éditions PLG), notre ouvrage sur la bande dessiné Les Aventures du professeur Nimbus et son dessinateur André Daix. Une page du site lui est consacrée sur laquelle sont rassemblés les divers documents cités dans l’ouvrage, ainsi que sa fortune critique et quelques correctifs. Récemment numérisés sur Gallica, plusieurs dossiers réunissant des tracts émis en France sous l’Occupation révèlent de nouveaux travaux du dessinateur qui viennent alourdir son activité, déjà bien chargée, de partisan d’extrême-droite et de collaborateur pro-Allemands.
Au service de Propaganda-Abteilung
Nous connaissions déjà deux œuvres qui lui furent commandées par la Propaganda-Abteilung, service de propagande nazie du commandement militaire allemand en zone occupée (1), dont le tract antisémite intitulé Qu’est-ce que ça peut te faire… qui est aujourd’hui numérisé sur le site de la BnF et nous permet de préciser sa date : 1943. Nous avons pu identifier une demi-douzaine de nouveaux fascicules illustrés par le dessinateur entre 1940 et 1944 pour le compte des nazis.
Il s’agit à chaque fois de fascicules de petit format de quelques pages, brochés ou dépliants, parfois mis en couleurs, comme la Propaganda-Abteilung en édita de nombreux pendant toute l’Occupation. Daix alterne le style réaliste avec la caricature, adaptant son trait au contenu des ces brochures qui ciblent tous les ennemis de l’occupant (Anglais, Juifs, bolcheviques, résistants) et les « mauvais Français » (attentistes, profiteurs, auditeurs de Radio-Londres et autres Degaullistes).
A. Daix, Baudruche, novembre 1940. Source : Gallica.bnf.fr
Publié en novembre 1940, Daix signe de son nom cette courte brochure intitulé Baudruche qui se présente sous la forme d’une séquence en images, une vignette par page avec une légende, mais qui aurait pu prendre la forme d’un comic strip. Le contenu se moque les Juifs qui aideraient à leurs dépens les Anglais et soutiendraient ainsi De Gaulle.
L’armée de la libération, 1943. Source : Gallica.bnf.fr
D’un style réaliste, L’armée de la libération (1943) dépeint avec virulence le milieu de la Résistance, plus spécifiquement issu du Communisme : des hommes violents, voleurs et assassins, n’hésitant pas à sacrifier des innocents et se comportant comme des « gangsters de films américains ».
Moins de blé = Moins de pain !, 1943. Source : Gallica.bnf.fr
Avec la même gravité graphique, Daix accuse dans Moins de blé = Moins de pain ! les résistants de l’incendie des récoltes, d’être responsables de la pénurie de blé et donc de pain, ainsi que du rationnement avec l’instauration des tickets. Cette propagande vise également les Anglais et Radio-Londres, les Américains et les Juifs, tous complices de cette situation. La couverture de ce fascicule est quasiment la même qu’un affiche éditée la même année, possiblement de la main de Daix (2).
A.D., Croyez-vous sincèrement…, 1944. Source : Gallica.bnf.fr
Éditée en 1944, Croyez-vous sincèrement… est une brochure qui dénonce et contredit différentes informations diffusées par la B.B.C. en France à cette époque.
De Katyn à la Savoie en passant par Alger, 1944. Source : Gallica.bnf.fr
En six pages, De Katyn à la Savoie (1944) met en scène des Français qui ne s’inquiéteraient pas des massacres bolcheviques du fait de leur éloignement, alors que la résistance frappe près de chez eux.
On ne fait pas d’omelettes…, 1944. Source : Gallica.bnf.fr
En trois images légendées, Daix dénoncent l’hypocrisie des Français qui défendent les bombardements et destructions alliées… tant que celles-ci ne touchent pas leurs biens.
Ajoutés à ceux qui nous étaient déjà connus, ces travaux de propagande confortent l’implication de Daix au service des Allemands. Il n’est pas le seul. Parmi les autres dessinateurs qui ont mis leur crayon au service de l’occupant, et qui se retrouvent dans ces dossiers numérisés de Gallica, figurent notamment Jean Chaperon (qui signe parfois sous le pseudonyme Apis), Mars-Trick, Raoul Guérin, Pélan ou encore Vica. On notera que la participation de Daix est régulière et s’étend de 1940 à 1944, soit sur toute la durée de l’Occupation. À la Libération, lors de son procès, sa production réalisée pour la propagande allemande ne fut pas portée à la connaissance des juges. Ceci n’empêcha pas la cour de justice de la Seine de reconnaître ce « collaborateur notoire » coupable d’avoir « entretenu des intelligences avec l’Allemagne » et d’être condamné par contumace à vingt ans de travaux (3).
Pour le Centre d’Études Antibolchéviques
Pour le Centre d’Études Antibolcheviques (C.E.A.), Daix avait déjà réalisé l’affiche Le socialisme contre le bolchevisme pour une Europe libre. L’opuscule intitulé Sabotez la maison ! daté du 23 août 1943 n’est pas signé mais le style du dessinateur est reconnaissable. Son ton ironique s’attaque aux actes et comportement des Français qui soutiennent les ennemis de l’occupant et de la collaboration : profiteurs, mauvais français, Juifs, Anglais, etc.
Sabotez la maison ! daté du 23 août 1943. Source : Gallica.bnf.fr
Pour le francisme
Autre document qui nous était inconnu, un tract annonçant le Xe congrès du parti franciste en 1943 illustré par des vignettes de Daix, qui en fut l’un des membres actifs. Le dessinateur a possiblement illustré d’autres tracts de ce dossier numérisé contenant du matériel de propagande émanant du francisme (4).
Nimbus dans Pouic-Poiuc
Finissons par une note plus légère avec Nimbus. Sur son blog, la chercheuse Tiphaine Martine signale la mention de Nimbus dans le film Pouic-Pouic réalisé par Jean Girault et sorti en 1963(5).
Extraits de Pouic-Pouic (1963) : Jacqueline Maillan mimant la forme en point d’interrogation du cheveu unique de Nimbus.
À la fin d’un dîner, devant son époux incarné par Louis de Funès, Jacqueline Maillan commente les aventures du Professeur Nimbus qu’elle s’amuse à lire dans une revue. Ce clin d’œil à la bande dessinée rappelle que le caractère du personnage féminin, qui entre autres fantaisies promène son poulet en laisse, est proche de celui du savant de papier : excentrique, candide, distrait… Ce passage montre aussi que Nimbus reste une référence dans la culture française des années 1960, le strip faisant partie du rituel quotidien des lecteurs de presse de l’époque.
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- Cf. le chapitre 9 « Au service de la propagande allemande », Dans l’ombre du professeur Nimbus, p. 87 et s.[↩]
- Affiche Moins de blé = moins de pain, qu’attendez-vous pour réagir ?, 1943.[↩]
- Voir Archives nationales, cote Z6/86 dossier 1311 « André Delachanal dit André Daix ».[↩]
- Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares rés. G. 1474 (V-18).[↩]
- Tiphaine Martin, Présences de la bande dessinée dans les films. Voyages autour de mon cerveau, 3 mai 2024.[↩]
