.Après un premier article sur les histoires en images d’Hermann-Paul, Töpfferiana publie un nouveau texte de Pierre-Edouard Noyelle, collectionneur et amateur des grands dessinateurs de presse de la période 1881-1914.
Avant de devenir un artiste aux multiples talents et précurseur de l’Art déco, Paul Iribe (1883-1935) se fait remarquer à ses débuts par ses nombreuses caricatures « au trait incisif et à l’humour mordant » (1). Ses dessins sont publiés à partir de 1901 dans Le Rire, Le Sourire, L’Assiette au Beurre, Le Canard Sauvage et surtout Le Témoin. Ce dernier titre est un journal satirique, politique et artistique qu’il fonde alors qu’il est âgé de 23 ans (2) avec le soutien financier de Dagny Björnson-Langen, fille du grand poète et dramaturge norvégien. Cette dernière qui réside alors à Paris est l’épouse séparée d’Albert Langen, éditeur munichois et fondateur de la revue satirique Simplicissimus.
Revue remarquable aujourd’hui largement oubliée et dont les collections sont très rares, Le Témoin paraît du 20 octobre 1906 au 3 décembre 1910 (3). Il propose des dessins de jeunes artistes destinés à devenir importants, comme Jean Cocteau, Lyonel Feininger, Juan Gris, Rudolf Grossmann, Sacha Guitry, Pierre-Emile Legrain ou encore Bernard Villemot. Parmi les nombreux contributeurs de textes, on peut citer Henri Becque, François Bernouard, Paul-Jean Toulet, André Salmon ou encore Jehan Rictus.
Mais le principal contributeur de dessins et de textes est Iribe lui-même, soit sous son nom, soit sous différents pseudonymes (4). Parmi sa production pour Le Témoin figurent trente-cinq histoires en images publiées entre 1906 et 1909 qui témoignent de son humour original et mordant (5).
Une vingtaine d’entre elles a pour protagoniste l’un de ses doubles de papier, Mortimer Fifrelyn. Quatre sont consacrées aux « idées scandaleuses » de Pinpin Nicole, un garçonnet facétieux que lui inspire Arne Björnson-Langen (1897-1982), l’un des jeunes fils de Dagny Björnson-Langen (6). Le reste emprunte à divers sujets.
Les Aventures prodigieuses de Mortimer Fifrelyn
Publiées entre 1907 et 1909, les vingt-trois planches qui composent cette série sont toutes composées selon le même modèle : quatre cases de mêmes dimensions, dessinées au trait, qui déroulent une histoire invraisemblable racontée par Mortimer Fifrelyn et explicitée par quelques lignes de texte au pied de chaque image. Procédé original, le dessin qui conclut l’histoire est toujours le même, à quelques exceptions près : il représente Fifrelyn, assis au même bar, donnant invariablement au même interlocuteur, devant le même barman agitant son shaker, la preuve irréfutable de la rigoureuse authenticité de sa véridique histoire.
Le héros fait partie de la haute société parisienne et ses préoccupations sont à l’avenant. On suit ainsi au fil des épisodes les hauts et les bas de sa fortune, ses diverses activités et loisirs de grand bourgeois rentier, ainsi que ses amours contrariés. Ces histoires humoristiques s’appuient souvent sur l’actualité de l’époque et les évènements qui défraient alors la chronique, comme les affaires Humbert et Steinheil ou la perte du dirigeable Patrie. Sous chacune des planches d’Iribe inventoriée ci-dessous, une courte notice rappellera son contexte.
1. « Le saut périlleux », Le Témoin, n° 6, 9 février 1907
Contexte : Au début du siècle, Iribe dessinateur de presse est d’abord un humoriste, à l’esprit parfois potache. La plupart de ses très nombreux dessins parus avant 1906 dans Le Rire, Le Sourire ou encore Le Frou-Frou, ne se réfèrent pas à une actualité politique ou sociale, exception faite de ceux pour L’Assiette au beurre. Cette histoire extravagante relève de sa veine facétieuse. Il réutilisera les talons en caoutchouc Lambda dans une publicité fictive dans Le Témoin n° 51 du 20 décembre 1908.
2. « Homicide par imprudence », Le Témoin, n° 7, 16 février 1907
Contexte : Cette histoire humoristique extravagante, comme d’autres que nous verrons après, témoigne du rapport ambigu de Iribe avec l’argent (7). Iribe utilisera plusieurs fois le procédé de substitution de personnages (voir les histoires du 8 juin 1907 et du 13 décembre 1908).
3. « La moins amoureuse », Le Témoin, n° 8, 23 février 1907
Contexte : La femme (et le couple) occupe une place majeure dans les dessins de Iribe avant 1914. Elle est « à la fois objet de son adoration, de sa convoitise et de sa tendre dérision » (8). Iribe la représente de manière caricaturale dans Le Témoin, mais aussi de manière très sensuelle et élégante, notamment dans ses couvertures pour la revue Schéhérazade (1909) et dans son album Les robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe (1908).
4. « Prodigieuse aventure de Mortimer Fifrelyn », Le Témoin, n° 9, 3 mars 1907
Contexte : Thérèse Humbert avait pu emprunter des millions sur un héritage (fictif) de frères Crawford (fantômes) dont la fortune était contenue dans son coffre-fort (vide). Démasquée puis condamnée en août 1903, elle a été libérée en 1906. L’histoire en images suivante, du 30 mars 1907, nous confirme que la « dame entre les deux âges » est Thérèse Humbert. Par ailleurs, dans Le Témoin, Iribe promeut la marque d’automobiles Sizaire et Naudin pour laquelle il fait de beaux placards publicitaires.
5. [Sans titre], Le Témoin, n° 12, 30 mars 1907
Contexte : Cette histoire fait suite à celle du 7 mars. On y retrouve l’affaire Thérèse Humbert et la promotion des automobiles Sizaire et Naudin. Le grand journal du matin est Le Matin, l’une des cibles favorites du Témoin pour ses nouvelles sensationnelles, parfois approximatives, voire fausses (l’affaire Humbert est terminée depuis longtemps). La course automobile Paris-Pékin, lancée en janvier 1907 par Le Matin est partie en fait de Pékin le 10 juin 1907. Le gagnant fut le prince Borghèse.
6. « Les matins difficiles », Le Témoin, n° 14, 13 avril 1907
Contexte : Arthur Meyer (1844-1924) est directeur du Gaulois, journal mondain et conservateur, lu par la noblesse et la haute bourgeoisie. L’homme est souvent brocardé par Iribe dans Le Témoin pour ses appétits mondains (la promenade à cheval ou en calèche au Bois de Boulogne, en particulier sur l’allée des Acacias, est un grand rituel mondain reconstitué avec brio par Vincente Minelli dans son film Gigi), qui culmineront avec son mariage en 1906, à 60 ans, avec Marguerite de Turenne, 23 ans. Soutien du général Boulanger et un ardent anti-dreyfusard, il s’était converti au catholicisme en 1901.
7. [Sans titre], Le Témoin, n° 17, 4 mai 1907
Contexte : A l’approche du 1er mai 1907, comme l’année précédente, des membres de la Confédération générale du travail sont arrêtés, soupçonnés de menées révolutionnaires. Le Témoin consacre un numéro spécial à une révolution fictive dans laquelle Armand Fallières s’enfuit à Varennes, le président du Conseil Georges Clemenceau est pendu, un nouveau président élu, etc.
Adrien Bernheim (1861-1914), critique dramatique et inspecteur général des théâtres, avait été promu officier de la Légion d’honneur en février 1906. Son appétit pour les honneurs était notoire. Jules Simon (1814-1896), politicien, avait sa statue place de la Madeleine à Paris, jugée horrible (Jehan Rictus, Journal quotidien, 5 novembre 1907).
8. « Une grave affaire de trahison », Le Témoin, n° 19, 25 mai 1907
Contexte : Le 17 mai 1907, une « grave affaire d’espionnage » est révélée par la presse. L’espionnite aiguë qui sévissait en France depuis la défaite de 1870 était source d’erreurs judiciaires et d’incarcérations abusives dont le plus célèbre est l’affaire Dreyfus. Cette histoire humoristique témoigne aussi, comme d’autres, des sentiments complexes d’Iribe vis à vis des femmes. La rue Bourbon-le-Château est située dans le VIe arrondissement de Paris.
9. « Un mariage manqué », Le Témoin, n° 21, 8 juin 1907
Contexte : Au tournant du siècle, les mariages entre des rejetons de la haute noblesse désargentée et de riches américaines ou membres de la grande bourgeoisie juive ont été beaucoup commentés (mariage Boni de Castellane/Anna Gould, duc de Guiches/Margueritte de Rothschild, Consuelo Vanderbilt/duc de Malborough, etc.). Ici, Iribe brocarde le mariage en 1906 d’Arthur Meyer, directeur du Gaulois, 60 ans, avec Marguerite de Turenne, 23 ans, et la rupture des fiançailles de l’auteur Francis de Croisset (de son vrai nom Edgar Franz Wiener) avec Juliette Dietz-Monnin, petite-fille de l’industriel alsacien et sénateur inamovible Charles Dietz-Monnin. En 1910, Francis de Croisset épousera Marie-Thérèse de Chevigné, veuve du très riche banquier Maurice Bischoffheim.
10. [Sans titre], Le Témoin, n° 22, 15 juin 1907
Contexte : Le Grand prix de Longchamp, qui se tient en juin, est le sommet de la saison hippique. En octobre 1906, à la suite du départ douteux d’une course, une violente émeute avait éclaté et le public, soupçonnant une fraude, avait mis le feu aux locaux du Pari-Mutuel. A l’époque, les caricaturistes brocardent l’embonpoint du président Fallières et sa thébaïde, une propriété dans le domaine du Loupillon en Tarn-et-Garonne. Par ailleurs, les souverains danois sont en visite à Paris ce mois.
11. « Géographie combinée », Le Témoin, n° 23, 22 juin 1907
Contexte : À la suite d’une violente crise de la filière viticole, de mars à juin 1907, le Languedoc est le théâtre d’une grande révolte populaire. Le 20 juin, le 17e régiment d’infanterie de ligne se mutine et fraternise avec les manifestants à Béziers. D’importantes mesures politiques de lutte contre la fraude et la surproduction furent ensuite prises.
12. « La pêche miraculeuse », Le Témoin, n° 28, 27 juillet 1907
Contexte : Pour tous les journaux satiriques, les vacances d’été (comme l’ouverture de la chasse) sont chaque année un sujet inépuisable de dessins. Ici, Iribe donne un coup de griffe à l’un de ses ennemis préférés, le journal Le Matin, connu pour ses informations sensationnelles, et à Camille Pelletan (1846-1915), ministre de la Marine (1902-1905), dont la pilosité, le débraillé et un certain goût pour la boisson firent les délices des caricaturistes.
Tom Pingletton est le personnage d’une histoire en image que Iribe donna dans Le Rire du 9 septembre 1905 : « La tragique aventure de Tom Pingletton ».
La dernière case de cette planche, qui bénéficie de l’impression en bichromie du numéro de la revue, diffère légèrement des scènes finales habituelles : les personnages sont habillés avec des manteaux et des chapeaux à la mode estivale, en rapport avec le sujet de l’histoire.
13. « M. Mortimer Fifrelyn et le Maroc », Le Témoin, n° 36, 21 septembre 1907
Contexte : Le Maroc est depuis le début du siècle l’objet de rivalités en particulier entre la France et l’Allemagne, attisée notamment en mars 1905 par une visite et un discours de Guillaume II à Tanger. Une conférence internationale à Algésiras en janvier-avril 1906 permet à la France (et aussi à l’Espagne au Nord) de consolider son emprise sur ce pays, avec lequel un traité de protectorat sera conclu en 1912. Sont mêlés à cette histoire avec dérision le général Picquart, ministre de la Guerre décevant de son ennemi Clemenceau, le général André, ministre de la guerre démissionnaire de l’affaire des fiches (1904), Gustave Hervé, militant socialiste (au sens de l’époque, c’est-à-dire révolutionnaire) et antimilitariste, et la loyale Albion. Le général Drude est le chef de troupes françaises déployées au Maroc
14. « Monsieur Mortimer Fifrelyn et l’État », Le Témoin, n° 38, 12 octobre 1907
Contexte : L’ouverture de la chasse est chaque année un sujet favori pour les caricaturistes. A l’époque, le mauvais fonctionnement du téléphone-télégraphe est le sujet de nombreuses questions à Julien Symian, sous-secrétaire d’État aux Postes et Télégraphes dans le gouvernement Clemenceau.
15. « Monsieur Mortimer Fifrelyn et la destinée », Le Témoin, n° 43, 9 novembre 1907
Contexte : Iribe ne parait pas se référer à une affaire de mœurs spécifique. M. Brisson pourrait être par interversion – procédé utilisé souvent par Iribe – Adolphe Brisson (1860-1925), très honorable directeur des Annales politiques et littéraires. En ce qui concerne la trahison, ce pourrait être une référence à l’espionnite aiguë qui sévit en France et à l’affaire Dreyfus, qui avait été accusé d’avoir communiqué à l’Allemagne notamment des éléments des plans de mobilisation de l’Armée. Cette affaire est encore d’actualité, Dreyfus ayant été réhabilité définitivement en 1907 puis ayant pris sa retraite la même année, alors que le gouvernement Clemenceau lui a refusé le grade de lieutenant-colonel.
Cette planche se distingue des autres par l’utilisation du dessin rituel de conclusion comme dessin d’introduction et par un texte en continu sous les trois premiers dessins. Les deux dessins intermédiaires sont peut-être d’une autre main.
16. « M. Mortimer & la vérité sur le “Patrie” », Le Témoin, n° 49, 21 décembre 1907
Contexte : Le Patrie est un dirigeable militaire qui est emporté par des vents violents depuis Verdun le 30 novembre 1907. Après avoir touché l’Irlande, il disparaît dans l’Atlantique. Iribe brocarde plusieurs de ses cibles favorites : l’activiste nationaliste Déroulède, le général Picquart, héros de l’affaire Dreyfus, mais ministre de la Guerre décevant dans le ministère Clemenceau, Aristide Briand, ministre de l’Instruction publique avec des affaires de cœur étalées dans la presse, et surtout le quotidien sensationnaliste Le Matin de Bunau-Varilla et Mouthon.
17. « Aventures prodigieuses de M. Mortimer Fifrelyn », Le Témoin, n° 22, 30 mai 1908
Contexte : Cette histoire humoristique absurde témoigne comme d’autres du rapport ambigu de Iribe avec l’argent (9).
18. « Le crime de M. Mortimer Fifrelyn », Le Témoin, n° 25, 20 juin 1908
Contexte : Cette histoire humoristique absurde témoigne comme d’autres du rapport ambigu de Iribe avec l’argent (10).
Cependant, cette planche se distingue des autres en plusieurs points : la scène finale n’est pas la même qu’habituellement, même si elle réunit le même trio de personnages — Mortimer Fifrelyn, son interlocuteur et le barman en arrière-plan –, auquel a été ajouté un quatrième personnage féminin. Cette case sert également de première image. De plus, le texte se lit en continu sous les dessins 2 et 3. Enfin, la phrase de conclusion ne fait pas mention de l’habituelle garantie de l’authenticité de l’histoire.
19. « M. Mortimer Fifrelyn et l’affaire Steinheil (XVIIe) », Le Témoin, n° 49, 13 décembre 1908
Contexte : le 31 mai 1908, le peintre Edouard Steinheil (1850-1908) et sa belle-mère sont victimes d’un mystérieux crime, impasse Ronsin, à Paris. Est fortement soupçonnée sa femme Marguerite Steinheil, célèbre « connaissance » du président Félix Faure (1841-1899), discrètement évacuée de l’Élysée après sa mort dans ses bras. En novembre 1908, elle est acquittée malgré de forts soupçons de mensonges. La mention de Dreyfus est liée à une thèse anti-dreyfusarde selon laquelle Félix Faure aurait été assassiné par les dreyfusards. Enfin, Iribe fait intervenir son meilleur ennemi Clemenceau, et son sous-secrétaire aux Beaux-Arts, Henri Dujardin-Beaumetz.
Cette planche se distingue des autres par un texte en continu sous les 4 dessins.
20. « M. Mortimer Fifrelyn et la peine de mort (19e) », Le Témoin, n° 50, 20 décembre 1908
Contexte : Entre 1906 et 1908, les partisans de l’abolition de la peine de mort, dont le Président Fallières et le gouvernement Clemenceau, sont suffisamment forts pour qu’il n’y ait plus d’exécution. Mais une grâce accordée par le Président Fallières est vivement contestée par l’opinion. Le 8 décembre 1908, le Parlement rejette un projet d’abolition de la peine de mort et les exécutions reprennent en 1909. Iribe utilise fréquemment le procédé de substitution de personnages (voir les histoires des 16 février 1907 et du 8 juin 1907). Le Témoin n’est pas antiabolitionniste, malgré sa forte opposition à Clemenceau.
21. « Monsieur Mortimer Fifrelyn et la liberté », Le Témoin, n° 12, 3 avril 1909
Contexte : Maxime Real Del Sarte (1888-1954) et Maurice Pujo (1872-1955) sont des dirigeants des Camelots du roi, organisation royaliste fondée en novembre 1908 à laquelle Le Témoin consacre le 14 mars 1909 sa couverture et un article ironique ; Aristide Briand (1862-1932), socialiste, est ministre de l’Instruction publique. En 1908-1909, Le Témoin durcit son hostilité à Clemenceau, président du Conseil et ministre de l’Intérieur, qu’il appelle désormais le Tyran. Louis Lépine (1846-1933) était préfet de police, souvent critiqué par la presse.
22. « Aventures prodigieuses de M. Mortimer Fifrelyn », Le Témoin, n° 25, 3 juillet 1909
Contexte : Cette histoire repose certainement sur un accident médical, non encore identifié.
23. « Un duel », Le Témoin, n° 47, 4 décembre 1909
Contexte : Pour cette histoire invraisemblable, Iribe s’inspire sans doute de trois incidents. Le 6 juillet 1909, M. François Flameng, membre de l’Institut, avait tenu des propos sur Le Matin, jugés injurieux par un de ses rédacteurs, M. de Labruyère, qui lui envoya ses témoins. Il n’y eut pas de suite. Au Parc des princes, deux duels impliquèrent Laurent Tailhade : le premier, à l’épée, le 18 novembre 1909 avec le journaliste Gustave Téry (1870-1928) où ce dernier fut blessé, et le second, au pistolet, le 22 novembre, avec le journaliste Urbain Gohier (1862-1951).
Les « Idées scandaleuses de Pinpin Nicole »
Toujours dans Le Témoin, Iribe publie en 1908-1909 sous le pseudonyme William Porcus quatre histoires ayant pour protagoniste Pinpin Nicole, jeune garçon qui est le double de Arne Björnson-Langen, âgé d’une dizaine d’années. Ces planches en noir et blanc comprennent chacune quatre dessins, mixant la technique du trait et celle de volumes en hachures. Toutes sont des facéties enfantines sans contexte notable.
24. « Les idées scandaleuses de Pinpin Nicole. N°1 », Le Témoin, n° 4, 25 janvier 1908 (non signé)
25. « Les idées scandaleuses de Pinpin Nicole », Le Témoin, n° 13, 28 mars 1908 (signé William Porcus)
26. « Troisième idée scandaleuse de Pinpin Nicole », Le Témoin, n° 21, 23 mai 1908 (signé William Porcus)
27. « Les idées scandaleuses de Pinpin Nicole », Le Témoin, n° 6, 14 février 1909 (signé William Porcus)
Autres histoires
Les autres histoires en images d’Iribe pour Le Témoin comprennent chacune de quatre à huit dessins, mixant pour la plupart la technique du trait et celle de volumes en hachures, voire utilisant entièrement cette dernière manière. Comme dans d’autres planches vues plus haut, la répétition d’une ou plusieurs images (mais sans recourir au calque) est régulièrement utilisée, s’inspirant en cela de Caran d’Ache.
Deux planches, détachées de leur contexte, ne pourraient plus être publiées aujourd’hui : la n° 28 pour racisme, la n° 29 pour antisémitisme. Pour l’époque, Le Témoin et Iribe ne se distinguent pas particulièrement dans ces domaines (11). Par ailleurs, à l’époque, Iribe, anticonformiste, est aussi dreyfusard et a des connections significatives avec les milieux anarchistes (12). Il n’est pas encore le réactionnaire que ses adversaires décriront plus tard.
28. « Histoire simple », Le Témoin, n° 9, 15 décembre 1906
Contexte : Prise isolément et au premier degré, cette histoire ne pourrait pas être publiée aujourd’hui. A l’époque, elle s’insère dans un numéro du Témoin dénonçant violemment la politique coloniale de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre avec une vigueur égale au traitement du même sujet dans L’Assiette au beurre, et doit être prise au second degré.
29. « Éducation de prince », Le Témoin, n° 4, 26 janvier 1907
Contexte : Cette histoire humoristique est à rapprocher des histoires de Pinpin Nicole
30. « L’honneur et l’argent », Le Témoin, n° 5, 2 février 1907
Contexte : De telles histoires d’humour juives, stéréotypées, sont couramment publiées par les journaux satiriques de l’époque.
31. « Les prévoyants du passé », Le Témoin, n° 11, 23 mars 1907
Contexte : Le naufrage du torpilleur Framée en août 1900, celui des sous-marins Farfadet en juillet 1906 et Le Lutin en octobre 1906, l’accident de chaudière du torpilleur 339 en février 1907, l’explosion du cuirassé Iéna en mars 1907 se traduisirent par d’importantes pertes en vies humaines. L’histoire fait suite à cette explosion qui fit 118 morts et causa une grande émotion.
32. « La crise », Le Témoin, n° 21, 8 juin 1907
Contexte : À la suite d’une violente crise de la filière viticole, de mars à juin 1907, le Languedoc est le théâtre d’une grande révolte populaire ; le 20 juin, le 17e régiment d’infanterie de ligne se mutine et fraternise avec les manifestants à Béziers. D’importantes mesures politiques de lutte contre la fraude et la surproduction furent ensuite prises. Cette crise est l’objet de deux autres histoires dans le numéro du 22 juin 1907.
33. « Le Midi ne bouge plus », Le Témoin, n° 23, 22 juin 1907
Contexte : Crise viticole et révolte populaire dans le Languedoc de mars à juin 1907 (cf. histoire précédente). Soutenant les viticulteurs révoltés, des centaines de conseils municipaux de la région démissionnent.
Il n’est pas certain que cette planche soit de la main d’Iribe qui donne déjà dans le même numéro une aventure de Mortimer Fifrelyn.
34. « Savoir-vivre », Le Témoin, n° 17, 25 avril 1908
Cette planche est signée des initiales T.F. pour Tobie Flip, l’un des pseudonymes d’Iribe.
36. « L’emprunt », Le Témoin, n° 3, 24 janvier 1909
Contexte : La dénonciation des emprunts russes (et du régime autoritaire du Tsar) est un thème récurrent et important du Témoin. Iribe fait preuve de prescience quant au remboursement des emprunts russes… Il a certainement pensé aussi au scandale du Panama (qui éclate en 1892), impliquant les mêmes acteurs (politiques, presse, banques).
Bibliographie
Paul Iribe, par Raymond Bachollet, Daniel Bordet et Anne-Claude Lelieur, Paris, Denoël, 1982.
Paul Iribe, précurseur de l’Art déco, catalogue d’exposition, Bibliothèque Forney, 1983.
Inventaire du fonds français après 1800, Bibliothèque nationale de Farnce, Département des estampes, tome onzième, 1960 : notice Iribe.
Catalogue de la vente de la collection de Madame Dagny Björnson-Sautreau, Versailles, 1er mars 1981 (dont 93 dessins originaux et tirages à part pour Le Témoin).
Le Témoin (1ère série) est consultable sur Gallica. La collection numérisée est incomplète mais elle permet de consulter 111 numéros de cette revue (sur les 190) pour la période qui courre du n°1 (1ère année) du 20 octobre 1906 au n° 52 (3ème année) du 3 janvier 1909.
Les images reproduites de cet article proviennent de Gallica, sauf la couverture représentant un autoportrait d’Iribe et les histoires n° 22, 27, 34 et 36 qui proviennent de la collection de l’auteur.
- Raymond Bachollet, Daniel Bordet, Anne-Claude Lelieur, Paul Iribe, précurseur de l’Art déco, 1883-1935, Paris, Denoël, 1982, p. 1. Selon les auteurs, Iribe avait donné depuis 1901, avant sa collaboration au Témoin, environ huit cent dessins satiriques dans des revues comme Le Rire, Le Sourire, L’Assiette au Beurre, etc. La créativité multiforme d’Iribe s’exprimera également dans les domaines les plus variés comme l’affiche, l’illustration pour la presse, le livre et la publicité, la création de mobilier et de bijoux, la décoration pour le théâtre et le cinéma, ou encore la direction artistique de films hollywoodiens.[↩]
- Iribe sera plus tard le fondateur et l’animateur d’un autre périodique illustré, Le Mot (1914-1915), à connotation patriotique.[↩]
- La publication hebdomadaire des 190 numéros est régulière jusqu’au 18 juin 1910, puis est irrégulière jusqu’à la fin de l’année. Les collections de la BnF et de la bibliothèque de l’Arsenal sont malheureusement incomplètes. Lors des ventes publiques aux enchères en Île-de-France, à notre connaissance, seules trois collections complètes ou quasiment complètes sont apparues au cours des quarante dernières années. De 1933 à 1935, il reprend Le Témoin, deuxième du nom, au ton plus politique.[↩]
- Ses pseudonymes sont entre autres Marcel Crépin, Mortimer Fifrelyn, Tobie Flip, George Maine, William Porcus, Gaspard Rubish. Selon les auteurs du Paul Iribe (op. cit., p. 53-56), des dessins signés Iribe seraient de la main de Pierre-Émile Legrain et peut être d’un certain Durranc.[↩]
- Ses 35 histoires en images furent publiées ainsi : 1 en 1906, 21 en 1907, 8 en 1908 et 5 en 1909. Le Témoin publie aussi quelques histoires en images de Georges Delaw (7), Fernand Fau (3) et Pierre-Émile Legrain (1).[↩]
- Paul Iribe, op. cit., p. 48.[↩]
- Paul Iribe, op. cit., p. 48.[↩]
- Paul Iribe, op. cit., p. 59.[↩]
- Paul Iribe, op. cit., p. 48.[↩]
- Paul Iribe, op. cit. p. 48.[↩]
- Il brocarde sans grande méchanceté notamment ses confrères juifs Arthur Meyer et Francis de Croisset pour leurs mariages dans la haute noblesse et Adrien Bernheim pour son goût pour les honneurs. Selon Emmanuel Debono et Jean-Paul Thomas, au moins trois niveaux d’antisémitisme peuvent être distingués : 1) « de simples allusions à la judéité, humoristiquement connotées, se référant à un registre banalisé assez généralement répandu dans la société », 2) « L’allusion plus polémique et politique aux origines qui font l’objet d’un mépris plus explicite », 3) un antisémitisme radical et explicite, type à part entière de discours, quasi programmatique. (cf. E. Debono et J.-P. Thomas, in Le PSF, CNRS éditions, 2016, p. 220). Le Témoin se situe dans l’antisémitisme « culturel » de l’époque, du niveau 1, répandu chez les caricaturistes et publications illustrées (L’Assiette au beurre, par exemple).[↩]
- Iribe soutient par l’offre de dessins, comme Steinlen et Hermann-Paul, Luce et Signac et d’autres, le journal Les Temps Nouveaux de Jean Grave et les livres qu’il édite. Pour leur part, Mme Bjornson-Langen et Albert Langen sont des libéraux non conformistes, notamment amis très proches de Steinlen. Le Témoin est un fort opposant de Clemenceau, de sa politique répressive et de la politique étrangère du gouvernement. A noter qu’en mai 1909, la revue d’Iribe déclenche une campagne virulente – et à fort retentissement – en soutien à Victor Méric et Aristide Delannoy mis en prison à la suite d’un numéro du journal Les Hommes du jour dans lequel ils ont représenté le général Amade en boucher du Maroc.[↩]