Félix Vallotton, « Une affaire d’or », Le Rire n° 84, 13 juin 1896. Source : © Universitätsbibliothek Heidelberg.
En quatre décennies, Félix Vallotton (1865-1925), dont la rétrospective organisée au Grand Palais à Paris s’est achevée en janvier dernier, aura réalisé plus de mille sept cents peintures, quelques deux cents gravures, d’innombrables dessins pour la presse… et une seule histoire en images.
A partir de 1894, Vallotton publie ses dessins dans les revues illustrées parisiennes comme La Revue blanche, Le Courrier français ou Le Cri de Paris. Dans Le Rire, il donne des dessins légendés, qui apparaissent parfois en couverture, mais aussi un compte-rendu en dessins d’un salon de peinture (1), et des illustrations pour des textes de Jules Renard (2).
Dans son numéro du 13 juin 1896, Le Rire publie « Une affaire d’or », onze vignettes réparties en deux pages signées Félix Vallotton. Il s’agit de la seule histoire en images connue de Vallotton. On rappellera que Pierre Bonnard, son ami qui fit comme lui partie du groupe des Nabis, donnera également dans le genre quelques années plus tard, avec Alfred Jarry au texte (« Soleil de Printemps », Le Canard sauvage, n°1, du 21 mars 1903). A la même époque, Le Rire proposait dans ses pages de nombreuses bandes dessinées, le plus souvent en une page, réalisées par Caran d’Ache, Benjamin Rabier, Adolphe Willette, Fernand Fau, l’américain F.W. Howarth ou encore Gustave Verbeck.
Le style graphique de Vallotton se retrouve dans cette histoire parue dans Le Rire : son dessin épuré et minimaliste, sa « ligne claire » et ses formes nettes, ses aplats noirs, ses perspectives écrasées. Cependant si cette histoire en images n’a pas retenu l’attention des commentateurs de Vallotton, c’est qu’elle a beaucoup moins d’impact graphique, de force visuelle que ses séries de gravures sur bois qui font alors son succès. Les vignettes flottent sur cette double page et le cadrage « théâtral » des scènes (les personnages sont représentés frontalement et en pied) est beaucoup moins audacieux et percutant que celui de ses xylogravures. Ici, il semble que les images ont été exécutées sans imagination particulière et sont de simples illustrations du texte.
Qu’en est-il justement de l’histoire ? « Une affaire d’or » débute par la découverte d’une source d’eau dans un village. Malgré son « incoercible goût de fromage », on lui trouve les plus hautes vertus ». Un chimiste est chargé de faire rapidement disparaître ce goût déplaisant et dispose pour cela de crédits considérables. Ces recherches n’aboutissent pas mais l’eau est tout de même commercialisée, en faisant passer son goût pour essentiel à ses qualités. La vente de l’eau miraculeuse est un succès et sa production s’industrialise. Mais la source se tarit et un nouveau chimiste est chargé cette fois de recréer ce fameux goût de fromage avec de l’eau ordinaire. Le budget affecté à ces nouvelles recherches est encore plus important, sans plus de résultats… Dans cette histoire, Vallotton dénonce les méthodes de marketing de l’époque de la fin du XIXe siècle, qui ne changeront guère avec le siècle suivant… Elle rejoint la vision désabusée, l’ironie et l’humour noir qui caractérisent l’œuvre dessinée et gravée de l’artiste, témoin critique de la société de son temps. « Vallotton ne se régale que d’amertume » disait de lui Jules Renard, il faut croire qu’en l’espèce celle-ci a un goût de mauvais fromage…
- « Le Tour au Champ de Mars », Le Rire, n° 27, 11 mai 1895.[↩]
- A l’exemple de « La Maîtresse » qui parut en feuilletons dans Le Rire du 16 novembre 1895 au 4 janvier 1896. Voir : http://livrenblog.blogspot.fr/2009/02/felix-vallotton-jules-renard-la.html[↩]
Un grand merci, cher Antoine, pour cette découverte 🙂 !!!!
À bientôt,
Ch.