La puce, le chien et le(s) maître(s)

 

Wilhelm Busch (1832-1908), « Die gestörte und wiedergefundene Nachtruhe, oder : Der Floh », Münchener Bilderbogen n°390, 1865.
© Universitätsbibliothek Braunschweig.

 

Une puce, c’est l’hôte indésirable de ce lit, le prétexte pour Wilhelm Busch (1832-1908) qui nous donne ici une belle série de contorsions muettes d’un dormeur dérangé en plein sommeil.

Dans les années 1860, les Allemands, comme l’auteur de Max et Moritz ou encore Adolf Oberländer (1845-1923), sont devenus maîtres dans l’art de raconter des histoires en images sans légende. Le genre fait de nombreux émules partout en Europe. Ainsi, Caran d’Ache, qui l’importa en France, n’a jamais renié l’influence qu’ont pu avoir sur lui ces maîtres d’Outre-Rhin.

Questionné à ce sujet par Émile Bayard, le dessinateur d’origine russe répond : « Vous dîtes que je me suis très inspiré de Busch et d’Oberländer ; certes, je ne suis pas sans avoir vu l’oeuvre de ces artistes très distingués ; mais laissez-moi vous affirmer que ces noms charmèrent seulement ma prime jeunesse, et que, prévoyant l’ascendant ou du moins l’influence qu’ils auraient plus tard sur ma personnalité, je me privai complètement dans la suite de la contemplation de leur oeuvre. Il existe plutôt, entre ces artistes et moi une similitude de nature artistique, des rencontres d’idées, des saillies parallèles. »  (1)

La planche suivante, parue dans Le Rire en 1895, serait-elle l’une de ces « saillies parallèles » ?

Caran d’Ache (1958-1909), « La Puce », Le Rire, n°58, 14 décembre 1895.

 

Ici, la puce a trouvé refuge chez le chien, couché au pied du lit de son maître, qui se gratte dans tous les sens pour s’en débarrasser. Son spectacle en ombre chinoise contraste en tous points avec celui d’un dormeur immobile dessiné au trait. A la dernière vignette, l’animal est libéré aux dépens de l’homme qui a hérité de l’insecte. Le gag est drôle et réussi, c’est un classique de Caran d’Ache  (2). Mais, plutôt qu’une rencontre d’idée, le dessinateur rend ici hommage à la puce de Wilhelm Busch. Il s’inspire de l’Allemand tout en donnant sa propre version. La dernière position du dormeur en témoigne :

 

 

 

Remarquez qu’à droite de la signature de Caran d’Ache ce n’est pas une tâche d’encre qui figure mais bel et bien une puce. Le dessinateur signifie là qu’il est le complice de l’insecte, tous deux animateurs invisibles de cette histoire.

Plus d’une trentaine d’année après la publication du Rire, Alain Saint-Ogan (1895-1974) donnera également sa réponse à « la question des indésirables » :

 

 

Alain Saint-Ogan, « La puce, le chien et le dormeur… ou La question des indésirables », Dimanche Illustré, décembre 1938. © CNBDI  (3).

 

On n’en attendait pas moins de la part l’auteur de Zig et Puce ! Mais en l’espèce, Saint-Ogan ne fait que reprendre, pour ne pas dire copier, l’histoire de Caran d’Ache. A chacun son maître.

Mise-à-jour du 27-03-2009 : Cet article traduit en italien par Massimo Cardellini est consultable sur Letteratura&Grafica.

 

  1. Émile Bayard, La Caricature et les caricaturistes, éd. Delagrave, Paris, 1900.[]
  2. Cette page sera reprise dans l’album C’est à prendre ou à laisser, édité par Plon en 1898.[]
  3. Cette histoire est recueillie dans le volume 40 des cahiers manuscrits du dessinateur numérisés par le CIBDI.[]
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