Portrait de Caran d’Ache par Cappiello, extrait de 70 dessins de Cappiello, Floury éd., 1905.
En 1902, Caran d’Ache n’a plus à faire ses preuves. Dessinateur solidement installé dans la presse parisienne, il donne chaque semaine une page au Figaro ainsi qu’au Journal, et ses meilleures planches sont compilées en album. Cependant l’artiste reste discret. Aucune monographie ou exposition ne lui sera consacrée de son vivant (1). Un texte important, passé inaperçu jusqu’alors, fut pourtant publié sur ce dessinateur majeur de la fin du XIXe siècle.
En 1902, le jeune Elie Faure (1873-1937), médecin tout juste diplômé, débute sa carrière de chroniqueur d’art dans le journal L’Aurore, pour lequel il réalise les comptes-rendus de Salons. Dans le numéro du 13 septembre 1902, il signe un article sur Caran d’Ache qui paraît en une du quotidien (2).
Il est plutôt étonnant de trouver un article sur Caran d’Ache dans L’Aurore. Le journal de Georges Clémenceau, principal porte-parole du camp dreyfusard, est célèbre pour avoir publié en janvier 1898 « J’accuse…! » d’Emile Zola, tribune qui marqua le début de l’Affaire. Caran d’Ache est du côté des militaires dont l’honneur est, pour lui, bafoué. Son engagement prendra la forme d’un journal, Psst…!, qu’il crée et dessine entièrement avec son ami Forain (3). Les virulents dessins politiques qu’il y donnera ne rebutent pas Elie Faure, pourtant totalement engagé dans l’affaire Dreyfus aux côtés de Zola. Dans son article sur le dessinateur, Faure est des plus élogieux pour Caran d’Ache, allant jusqu’à se demander « s’il ne faut pas voir en lui le type le plus accompli de dessinateur humoristique — les Japonais excepté — que les arts plastiques aient peut-être encore produit ». Tout juste, lui reprochera-t-il son penchant politique : « Il est réactionnaire, c’est vrai, mais il ne l’est ni méchamment comme Forain, ni sottement comme tel autre. Ses enthousiasmes ne vont jamais sans ironie. »
Elie Faure, qui écrira par la suite de nombreuses monographies d’artiste, est d’un caractère ouvert et éclectique. Dans Histoire de l’art, son œuvre la plus connue aujourd’hui dont le premier tome paraîtra en 1909,il s’intéresse à toutes les formes de la création artistique, de tous les pays et de toutes les époques. Ses centres d’intérêts vont aussi bien à la peinture, à la sculpture et à l’architecture qu’à la danse, au cinéma et à la musique. Son article sur Caran d’Ache lui permet d’aborder l’art de la caricature qui, pour lui, « n’est point inférieure à ce qu’on est convenu d’appeler “le grand art” quand elle consent comme lui à puiser exclusivement dans la vie (…). Il n’y a pas d’art supérieur ; il n’y a pas d’art inférieur : il y a des intelligences et des médiocrités. »
Voici le texte complet de l’article d’Elie Faure paru dans L’Aurore du 13 septembre 1902, que nous avons illustré de dessins de Caran d’Ache :
« Hermann-Paul et Forain cherchant l’un et l’autre à exprimer par l’association du mot et de la ligne les réactions des milieux sociaux sur les égoïsmes individuels et apportant une passion douloureuse chez le premier, hargneuse chez le second, à la dissection de l’automate contemporain ; Sem appliquant sa cruauté paisible à déchirer de grimaces hideuses les masques de chair qui dissimulent l’ordure intellectuelle de la haute société de ce temps ; Cappiello s’attachant à rénover l’art de l’affiche par les sobres symphonies en teintes plates qu’il sertit de ses brusques silhouettes, Caran d’Ache me paraît être le premier caricaturiste proprement dit de notre époque.
Je me demande même s’il ne faut pas voir en lui le type le plus accompli de dessinateur humoristique — les Japonais excepté — que les arts plastiques aient peut-être encore produit. Car il est caricaturiste, exclusivement. Et quand Léonard de Vinci ou Daumier, par exemple, riaient au spectacle du drame humain, leur rire, comme celui de Rabelais, de Shakespeare ou de Molière, c’était l’écume bruyante de la surface, sous qui détruit et crée la mer profonde.
Il est presque impossible à Caran d’Ache, au contraire, de voir l’humanité autrement que sous un angle comique. Toujours à l’affût devant la vie, devant toute la vie, car il promène son enquête goguenarde de la ville à la campagne, de l’équateur au pôle et de Paris aux antipodes, pressentant tout ce qu’il n’a pas vu avec un instinct si parfait qu’il semble tout avoir vu, il sait immédiatement dégager du drame quotidien les quelques traits de profondeur ou de surface sous lesquels tout fait, tout être et toute chose peut apparaître à travers les lentilles grossissantes d’un optimisme imperturbable. Cela avec une certitude, une précision, une force qui deviennent évidence à nos yeux et concentrent en nous des éparpillements de joies passagères que tous nous avons éprouvées sans être capables d’en reconstituer seuls un spectacle de constante ironie.
Le dessin de Caran d’Ache a la rigueur démonstrative d’un théorème de géométrie. Avec la même sûreté qu’une équation entraînant la solution d’un problème, il provoque le rire ou le sourire. D’un bout à l’autre de la page, l’intention ironique naît, grandit, se précise, s’affirme, pour aboutir à un dernier dessin qui est le C. Q. F. D. de la proposition. Caran d’Ache est le géomètre de l’ironie.
Sa technique, elle-même a quelque chose de mathématique. Alors que le sculpteur et le peintre et presque toujours même le dessinateur voient par volumes ou par taches, Caran d’Ache voit par points et par traits. Et c’est par là qu’il est grand caricaturiste. C’est le trait essentiel, c’est le point essentiel où vient s’accrocher sa sensation qu’il fixé instantanément et pour toujours en une case de sa mémoire — car Caran d’Ache comme les Japonais, ses frères, travaille évidemment de mémoire — éclairée par un œil à qui rien ne peut échapper. L’effet comique jaillit alors de l’exagération des dominantes de son impression première, dont il sait établir les rapports nécessaires sans lesquels ses formes manqueraient de logique et ne répondraient pas à la réalité. Le trait, le point qui l’ont frappé et les rapports qui les unissent. Il néglige tout le reste, il oublie tout ce qui peut affaiblir ou faire dévier la sensation. Son dessin est plus qu’une synthèse, c’est un schéma.
Ce schéma vit puisqu’il exprime tous les signes extérieurs de la vie : la vérité de l’expression, la justesse de l’attitude, surtout la précision du mouvement. C’est par un fouillis de mouvements précis projetés en ombres nettes que Caran d’Ache a su trouver les effets prodigieux de son Epopée du Chat-Noir.
Caran d’Ache, Charge de cuirassiers. Plaque du tableau 43 de l’acte II (Chargez !) de L’Epopée. Collection Musée des armées, Paris.
Dans le tumultueux silence, des ombres défilaient, confuses et distinctes, animées par la justesse des rapports des mouvements associées, d’un mouvement à la fois individuel et collectif. La plupart des peintres militaires tentent de faire naître le fracas de la bataille de la complexité inextricable des attitudes, de la bigarrure des uniformes, du vol des fumées, de la fureur des faces. Caran d’Ache simplifie tout. Un enchevêtrement logique de schémas monochromes, et le tonnerre des multitudes militaires se lève violemment sur l’histoire.
Le schéma vit. Une ligne à peine allongée ou raccourcie ou déformée indique l’attitude ou le mouvement avec une sûreté qu’on qualifierait volontiers de fulgurante, tant elle donne l’immédiate et courte sensation qu’elle ne pourrait l’indiquer autrement ; à un point déplacé d’un millimètre et affectant avec un trait des rapports imperceptiblement modifiés d’un dessin à un autre, il fait exprimer réellement tout ce qu’il veut. Voyez les figures de ses personnages : avec le point de l’œil, le trait de la paupière et le trait du sourcil, le trait de la bouche et l’arête du nez, il dit tous les états d’esprit qui se succèdent en eux. Le point de l’œil est étonnant. Il fuit d’un angle à l’autre de l’orbite, voisine avec le sourcil, se cache par instant sous la paupière, parfois sort entièrement de la face ou va se poser sur le verre du lorgnon. Et toujours il est à sa place, exactement, disant exactement ce que l’artiste a voulu lui faire dire.
Caran d’Ache, « Impôt sur le flirt », Le Figaro du 17 février 1902. Source : Gallica.bnf.fr
Caran d’Ache, comme tous les vrais maîtres, progresse continûment. Je feuilletais ces jours-ci ses premiers albums. Certes, un dessinateur merveilleux s’y annonce, mais le trait vacille encore, le point semble hésiter à prendre sa vraie place, la silhouette imprécise s’encombre de détails inutiles, la ligne essentielle parfois s’efface devant la ligne secondaire qui enlève tout caractère à la composition. Dans ses derniers dessins au contraire il n’y a rien, et rien ne manque. Parce qu’il insiste toujours où il faut et de ce qu’il faut il donne vraiment aux êtres qui l’intéressèrent plus de vie qu’ils n’en ont en réalité. Il parvient même à schématiser des schémas. Des jouets d’enfants, par exemple, indiqués par quelques traits brefs, vivent d’une vie mécanique et fragile, plus intense et plus comique encore que la vie du jouet réel, sans pour cela cesser d’être une vie de jouet.
Est-ce à dire que Caran d’Ache supprime le détail ? Non. C’est même souvent par le détail qu’il fixe l’attention et provoque le rire. Mais c’est par le détail essentiel. Dans ses synthèses les plus hardies il y a presque toujours un grand nombre de détails dont chacun est lui-même une synthèse et une nécessité. Dans la figure, dans le costume, dans le décor ou le paysage, pas un détail — aussi infime soit-il — qui n’ait sa signification. Dans le dessin suivant, jamais il n’oublie, mais jamais non plus il n’exagère la moindre particularité du dessin précédent. Et de cette impassible et discrète répétition nait peu à peu une impression de joie croissante à laquelle il n’est pas possible de résister, il ne laisse rien au hasard, il sait qu’une pierre mal placée peut faire crouler l’édifice. Tout a son expression : un doigt est soucieux, une cravate est courroucée, un soulier est dédaigneux, une barbe est mélancolique, un lorgnon est élégiaque, un gilet de flanelle est amoureux. Comme le visage, chaque partie du corps ou du costume a sa physionomie, et une physionomie en parfaite concordance avec la physionomie générale de la composition. Les objets isolés eux-mêmes revêtent un aspect caricatural et prennent une part déterminée à la démonstration d’ironie. Un mouchoir sur un meuble, un drapeau, une chaise, un chapeau à une patère, sont des personnages actifs qui portent en leurs plis, leur rigidité, leurs affaissements ou leurs reflets, une déception ou une joie d’orientation identique à celle du personnage principal. Je me souviens d’un ex-gentleman qui avait parcouru les mers, les déserts et les pôles dans le désespoir et la misère et dont une manchette, du premier ou dernier dessin, restait irréprochable et blanche à son poignet décharné, alors que de jour en jour ses vêtements se faisaient plus rares, plus déguenillés, plus sordides. Du contraste entre le paquet de loques qui habillait l’ex-gentleman, d’ailleurs toujours reconnaissable quoique de plus en plus attristé et l’immuable témoin de sa splendeur ancienne, naissait pour s’enfler d’épisode en épisode une onde d’émoi comique et peut-être un peu douloureux.
Caran d’Ache, « L’humanité. Jugé par le policier Javert des Misérables (V.H.) », Le Journal du 20 février 1902.
Repris dans l’album Gros et détail (Plon, 1907).
Ce qui assure à l’œuvre de Caran d’Ache un caractère magistral, c’est que son art, aussi libre qu’il soit, est toujours de découverte et jamais d’invention. Il a le respect permanent de la vie qu’il interroge. Tandis que la plupart des caricaturistes tentent de provoquer le rire par l’invention d’une physionomie ridicule, d’un geste outré, d’un accoutrement grotesque, suivant en cela les peintres, les sculpteurs aimés du public que l’exception seule paraît intéresser, Caran d’Ache habille normalement des personnages normaux, et c’est dans les manifestations de leur vie quotidienne qu’il trouve le point ou le trait sur lequel il faut appuyer. Il ne tient nullement à créer des types caricaturaux, à ridiculiser une classe, une idée, un individu. Il traduit la vie comme il la voit.
Quelle que soit en effet la nationalité, la classe sociale ou la profession du personnage de Caran d’Ache, il conserve les caractères dominants de sa nationalité, de sa classe sociale et de sa profession. C’est à peine si l’artiste les accentue, mais jamais il ne se trompe sur la direction à donner à cette accentuation. Là encore son instinct du détail essentiel le sert merveilleusement. Ces deux redingotes ne différent qu’à peine, et pourtant l’une est celle d’un médecin et l’autre est celle d’un notaire. Mémo il saisit et fait du premier coup saisir les variations imperceptibles qu’imprime le caractère particulier de l’individu au caractère général de sa nationalité, de sa classe ou de sa profession. Deux Anglais, deux paysans, deux soldats, deux prêtres, deux femmes du monde de Caran d’Ache ne se ressemblent jamais et restent pourtant, des ongles aux cheveux, des souliers au chapeau, Anglais, paysan, soldat, prêtre, femme du monde. Les états d’esprit de l’individu modifient même, et juste de ce qu’il faut, sa physionomie et son costume sans altérer son caractère. Ces lunettes, je le jure, sont les lunettes d’un pharmacien français exaspéré, ce chapeau ne peut appartenir qu’à un infortuné juge allemand auquel se révèlent ses infortunes conjugales, cette bague orne certainement la phalange d’un écumeur de Casinos à qui la déesse Veine fut indulgente — ou peut-être le dieu Mercure — ce soulier de nonne persécutée chausserait mal le pied de M. Combes, cette rosette est bien celle d’un vieux paléographe en enfance, et ce cigare visse une joie silencieuse derrière la face impénétrable d’un transatlantique qui débarque à Paris.
La structure et l’esprit des hôtes elles-mêmes, qu’elles soient libres ou domestiquées, n’ont pas de secret pour lui, et c’est comme lorsqu’il s’agit des hommes, par l’exagération légère de leurs particularités qu’il parvient à déterminer leur norme caricaturale. Là aussi, ses ressources sont infinies parce qu’il sait tout voir par éclairs brefs, tout fixer en notes brèves, et attirer du premier coup l’attention, avec une sûreté qui provoque nécessairement la joie, sur le caractère anatomique essentiel de chaque animal, qu’a peine avant lui nous avions entrevu.
Je ne sais pas d’artiste qui connaisse mieux le cheval, dont par toute son œuvre l’épopée s’éparpille en mille compositions et dont il n’a pas toujours ri, car il a signé de prodigieuses chevauchées, les plus impressionnantes peut-être qui soient sorties du crayon d’un dessinateur : cheval d’arme, cheval de course, cheval de fiacre ou de charrue, la saillie des tendons, des os et des jointures, la courbe de l’échine et le squelette de la face, l’allure, le port de l’oreille nous disent les services qu’il a rendus, son âge, sa race et la profession de son maître. Et la galerie est complète : ce bloc de lard sur pattes courtes, ailé de deux oreilles et vrillé d’une queue, c’est un porc ; ces jambes torses sont un chien basset ; et ce canard tout en boîterie, ce mouton tout en nez, ce tigre tout en mâchoire, cet aigle tout en bec, et sa tête plate et ses yeux durs ! Il n’hésite jamais et chez la bête aussi bien que chez l’homme exprime les plus fines nuances des variations de l’instinct ; une langue tirée, une patte levée, la direction d’un œil, le soulèvement d’une paupière ou d’une oreille, la torsion d’un cou, l’allure d’une course, et ce chien est amoureux, ce cheval irrité, ce reptile joyeux, cet oiseau mélancolique, ce cochon malicieux. Notez qu’il n’obtient pas ces effets par le facile procédé qui consiste à doter la bête d’une physionomie humaine : elle garde sa physionomie animale et c’est une joie, une tristesse, une colère animale que dénote son attitude ou sa physionomie.
Caran d’Ache, images extraites de L’Écho de Paris, Supplément illustré du 2 avril 1893. Repris dans l’album Bric-à-brac (Plon, 1893).
Caran d’Ache a beaucoup d’esprit. Sa légende, toute en mots justes, en phrases brèves, en raccourcis audacieux, s’adapte étroitement au dessin qu’elle suit trait par trait et point par point et dont elle a l’allure schématique. Mais bien loin de paraître l’avoir inspiré, on dirait qu’elle cherche à l’expliquer. L’artiste semble s’amuser de son propre croquis, en découvrir l’ironie et la décrire.
Caran d’Ache est un optimiste. Sa joie est toujours indulgente en effet, et c’est sans férocité aucune qu’il s’amuse de tout et de tous. Il n’est pas possible de lui en vouloir, car il découvrira le côté caricatural de ses amis avec autant de satisfaction flegmatique que celui de ses ennemis, en admettant qu’il puisse avoir des ennemis. Il a vu la barbe austère de M. Brisson et le polygone glacé qui sert de ligure à M. Waldeck-Rousseau, mais l’immense nez et le crâne exigu de M. Déroulède ne lui échappèrent pas plus que la niaise hauteur de feu M. Faure qu’il appelait — ce surnom vaut la peine d’être recommandé aux historiens futurs — Félix-le-Bel. Il est réactionnaire, c’est vrai, mais il ne l’est ni méchamment comme Forain, ni sottement comme tel autre. Ses enthousiasmes ne vont jamais sans ironie. Il aime les bonnes d’enfants, les pompiers et les militaires, peut-être même M. Deschanel, mais quand il s’attendrit sur eux il semble aussi se moquer de lui-même. Est-ce franchise, est-ce malice ? Ses « patriotes » ont l’air aussi bêtes que ses « intellectuels » ont l’air ennuyeux. Il sourit.
Voici donc un très grand caricaturiste. Son œuvre suffit à nous démontrer que la caricature n’est point inférieure à ce qu’on est convenu d’appeler « le grand art » quand elle consent comme lui à puiser exclusivement dans la vie, et qu’elle lui est supérieure de toute la distance qui sépare un individu d’un homme collectif quand elle s’en inspire et qu’il l’a perdue de vue. J’ai écrit un jour ici-même que Caran d’Ache était plus près des Grecs que M. Bouguereau et je tiens à le répéter. Caran d’Ache aime la vie. Il ne diffère de Phidias qu’en ce qu’il la voit autrement. Il n’y a pas d’art supérieur ; il n’y a pas d’art inférieur : il y a des intelligences et des médiocrités.
Caran d’Ache, « Zeuxis et Phidias ou Deux Chefs-d’œuvre », Le Canard sauvage, n° 2, 28 mars 1903.
Repris dans l’album Gros et détail (Plon, 1907) sous le titre « Rosserie antique ». Source : Töpfferiana
Pourquoi cependant les maîtres graves de la forme font-ils chanter en nous des harpes, pourquoi leur forme d’expression éveille-t-elle au fond de notre obscurité intérieure des lueurs d’humanité plus révélatrice et par qui nous voyons en eux des évocateurs de vie essentielle ? C’est que l’œuvre chez eux naît de l’émoi au lieu de prendre source dans le souvenir de l’émoi. C’est qu’une sensation directe est capable de projeter hors de l’être qui la ressent une œuvre non pas plus vivante, mais plus émue que ne le peut faire l’écho d’une sensation. C’est que l’artiste alors prend corps à corps la vie, au lieu de féconder son ombre. Entre la matière et la sensibilité de Phidias, il n’y a pas d’intermédiaire ; il y en a un, la mémoire, entre la matière et la sensibilité de Caran d’Ache.
Cela n’empêche pas Caran d’Ache d’être quelqu’un. ».
(Source : Elie Faure, « Caran d’Ache », L’Aurore du 13 septembre 1902.)
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- Une seule exposition, Caran d’Ache’s Caricatures, eut lieu à la Fine Art Society de Londres en mai 1898.[↩]
- Ce texte sera repris dans une version différente sous le titre « Caricature et caricaturiste » dans son ouvrage Formes et Forces (H. Floury, 1907, p. 107-125).[↩]
- A ce sujet, voir notamment : Bertrand Tillier, « Virulences verbales et graphiques au cœur de l’affaire Dreyfus : le Psst…! de Forain et Caran d’Ache », Ridiculosa n° 6, 1999. Consultable en ligne ici : http://www.eiris.eu/index.php?option=com_content&view=article&id=348:virulences-verbales-et-graphiques-au-cur-de-laffaire-dreyfus&catid=70&Itemid=124[↩]