. (Suite de la publication de la thèse de Camille Filliot. > Présentation et table des matières ici.)
[Partie II – Les langages de la bande dessinée au XIXe siècle]
Chapitre III. La vocation parodique
L’étude de la bande dessinée à travers ses trois supports principaux a permis de dégager deux aspects essentiels de son usage au XIXe siècle, directement liés aux changements socio-culturels de ce temps. La mise en place progressive d’une organisation industrielle et commerciale du loisir, d’un réseau d’information médiatique et la reconnaissance de l’enfant comme lecteur à part entière amènent la séquence graphique à restreindre les potentialités offertes par sa forme complexe aux objectifs de divertissement et de pédagogie. Dans la presse, elle est progressivement pensée comme une extension du dessin d’humour, même si un message politique peut l’inciter à développer des stratégies de communication plus élaborées ; dans l’imagerie, elle se fait l’adjuvant plus ou moins complaisant des productions scolaires. En marge de cette formalisation, la bande dessinée conserve de son terreau, la caricature, et de ses modèles romanesques, la littérature excentrique, une force d’innovation, d’expérimentation passant par le biais de l’imitation parodique. Des années 1830 à 1900, l’histoire en images ne cesse d’emprunter à d’autres genres, à d’autres modes d’expression, comme le font avant elle les œuvres de Rabelais, de Cervantès ou de Sterne. La parodie est au cœur de l’écriture de fantaisie, c’est elle qui apporte le cadre, le centre, subverti et transmuté pour faire apprécier le principe réactif, l’écart envers ce qui appartient au domaine du figé, de l’académique. Elle est aussi, dans une autre mesure, le moyen de replacer l’œuvre hors-catégorie dans une tradition, valorisée pour son inventivité, et de rappeler du même coup les limites des prétentions à l’originalité – c’est la fameuse liste désenchantée de Charles Nodier (1). D’adaptation ou de réécriture critique la séquence graphique se nourrit de même, pour donner forme à son discours, pour se faire une place dans un marché de l’édition qu’elle intègre par la petite porte. Concurrence, attaque, hommage, affinité ou défi, autant de rapports et d’idées qui motivent l’exploration des champs esthétique, littéraire, scientifique et le dépassement d’une expression strictement comique.
A. Le voyage en images
Le thème du voyage est le plus fréquemment traité par la séquence dessinée au XIXe siècle, qu’elle soit publiée en album, en feuille volante ou par voie de presse. En quelques cases ou en long récit, il fait l’objet de nombreux traitements depuis Le Docteur Festus et Mr Cryptogame de Rodolphe Töpffer jusqu’à La Famille Fenouillard et L’Idée fixe du Savant Cosinus de Christophe. Thierry Groensteen le classe parmi les trois grandes thématiques originelles de la bande dessinée, à côté du Merveilleux et de la Bêtise auxquels il se combine (2). C’est bien le thème du voyage qui fait l’objet, avec le Robinson (1810) déjà cité de François Aimé Dumoulin, d’une adaptation graphique parfaitement inédite, avant même les albums de Töpffer. Si les images y sont encore disjointes, la figure permanente du voyageur leur confère une unité et le motif même du voyage les englobe dans une trame narrative commune. En tant que déplacement d’un point A à un point B, le voyage se veut être un événement impliquant une transformation, le déplacement, rapporté selon une série d’étapes ordonnées par un début et une fin. Il est donc un thème supposant une mise en récit, donnant sens aux différents moments du voyage selon la ligne conductrice de l’itinéraire. La cohérence, et dans une moindre mesure la cohésion, dans l’enchaînement des images sont ainsi favorisées par le motif du déplacement.
Au XIXe siècle, trois principales sources semblent nourrir la narration graphique du voyage : le récit de voyage excentrique, sous-catégorie de l’anti-récit de voyage, lequel remonte aux origines de la littérature occidentale, la caricature de presse et le roman d’aventures, au sens étroit de roman d’aventures géographiques, genre principal, à partir de 1870 en France, de la littérature populaire et enfantine. Ces influences ne se succèdent pas de façon strictement chronologique, et ne sont pas exclusives les unes des autres, d’une part parce que le roman d’aventures est en partie issu de la tradition du récit de voyage et que la caricature agit en continu sur l’histoire en images, d’autre part parce que la bande dessinée dépend alors pour beaucoup d’une relecture, par un dessinateur, d’une œuvre antérieure (une autre histoire en images ou un modèle parodié) qui peut être plus ou moins éloignée. La dimension parodique est également inégale, selon que la bande dessinée s’inscrit à côté du récit de voyage humoristique contre une tradition littéraire, qu’elle pratique la parodie au sens étendu de caricature d’une époque et de ses composantes culturelles, sociales, ou qu’elle oscille entre parodie et adaptation comique d’un genre populaire partageant avec elle certaines caractéristiques.
1. Anti-récit et imagerie du voyage
Daniel Sangsue puis Susan Pickford ont circonscrit et analysé une pratique d’écriture du voyage explicitement pensée contre le récit de voyage traditionnel, qui est dite humoristique (3) ou excentrique (4), avec une composante paratextuelle tenant à la contestation du statut générique et de la mise en livre de l’œuvre. Contestation non plus seulement de la pratique du voyage mais de sa mise en récit, de son écriture, ce genre nouveau se développe au moment où fleurissent les récits de voyage traditionnels, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, lorsque les progrès techniques multiplient les déplacements, dans le cadre d’expéditions scientifiques ou de la démocratisation d’un tourisme voué à devenir « de masse ». Il connaît une certaine faveur avec différents paliers, inaugurée par les œuvres de Laurence Sterne (septième chapitre consacré au voyage de Tristram Shandy et A Sentimental Journey, 1768) suivi en France, après une période de défaveur, par Xavier de Maistre (Voyage autour de ma chambre, 1795) et la publication posthume de Jacques le fataliste de Diderot (1796). L’excentricité littéraire qui sert de substrat à l’histoire en images trouve donc à s’exprimer via la thématique du voyage. Dans le domaine de l’image, le voyage fantaisiste est représenté par The Tour of Doctor Syntax in Search of the Picturesque (T. Rowlandson et W. Combe, 1812) dont le voyageur est l’ancêtre du docteur Festus de Töpffer, les deux personnages affichant la même silhouette, ayant un caractère proche et usant du même moyen de transport (5). Nous voulons parler du premier mode de locomotion utilisé par Festus puisque ce dernier, pour entreprendre son « grand voyage d’instruction », emprunte une malle, une meule de foin, un sac de blé ou encore l’intérieur d’un télescope géant. Parti pour découvrir, pour voir le monde, il n’apprend rien et ne voit rien.
La première caractéristique (thématique) du récit de voyage humoristique est en effet de rejeter les motivations conventionnelles du voyage et/ou, en bande dessinée, d’empêcher qu’elles se réalisent. Dans les histoires en images, on voyage pour échapper aux ardeurs d’une femme avec laquelle on finit par se marier, et découvrir qu’elle a six enfants d’une première union (Mr Cryptogame, Töpffer), pour éviter de répondre à ses obligations civiques mais finir par entrer dans les « hautes fonctions du caporalat » (Mr Boniface, Cham), pour faire le tour de l’Amérique mais ne pas parvenir à dépasser le Havre (Voyage de Paris dans l’Amérique du Sud, Cham) ou pour « remplir le vide de son existence », sur conseil du président de l’Académie des sciences de Valognes (Les Mésaventures de M. Bêton, Léonce Petit).
Dans la droite ligne de l’anti-récit de voyage et en parallèle aux caricatures de presse, les dessinateurs se livrent, par ailleurs, à la satire du modèle négatif du voyageur, le touriste (6). C’est en touristes que partent dès lors Mr Plumet, en compagnie de sa femme (Des-agréments d’un voyage d’agrément, Gustave Doré) (7), et M. Clopinet, qui conçoit « une fantaisie aussi étrange que géographique » (pl. 1) en voulant visiter l’Amérique. Après une nuit à rêver de danses avec « le dernier des Mohicans », M. Clopinet est décidé, en effet, « à se faire touriste » et entre « tout de suite dans l’exercice de ses fonctions » (pl. 1) en s’affublant de l’attirail nécessaire : sac de nuit, passeport, diligence, étui à chapeau, parapluie et beaucoup de linge. Lors du voyage d’agrément dans les Alpes entrepris par Vespasie et César Plumet, on assiste à la même étape préalable où ils « choisissent un harnachement de touriste » (pl. 3). Ces scènes d’accoutrement, à partir desquelles le personnage entre dans son emploi, fixent l’image archétypale et négative du voyageur (8), déclinée dans des personnages secondaires, la « jeune lady pâle et rêveuse » qui se promène en montagne sur une chaise portée (pl. 12, Des-agréments d’un voyage d’agrément) ou les Anglais croisés par la famille Fenouillard. Avant le tour du monde qui parodie le roman d’aventures, La Famille Fenouillard de Christophe débute par une visite touristique de Paris – dans le journal, ils se rendent à l’Exposition Universelle. Voulant emprunter une « voiture de touristes » (pl. 7), les Fenouillard sont contraints de se serrer pour prendre place dans le véhicule rempli d’Anglais, ce qui vaut à Léocadie de sentir « percer la dent qu’elle devait conserver toute sa vie conte la “perfide Albion” », avant qu’Agénor ne s’aperçoive, au bout d’une heure et quart, que le « cicerone » s’adresse à lui en anglais. La simplicité d’esprit, quasi consubstantielle au personnage de la bande dessinée du XIXe siècle, trouve ainsi une expression rêvée dans le type du touriste qui fait partie, comme l’écrit Roger de Beauvoir, d’une « classe distincte » formant « l’une des surfaces les plus divertissantes de la société française » (9). Vu par le prisme de la satire, le touriste se distingue en effet des voyageurs traditionnels par sa bêtise et sa naïveté, il est, selon l’expression de Jean-Didier Urbain, « l’idiot du voyage » :
Touriste n’est donc pas un mot sans arrière-pensée. Péjoratif, il dépouille dans l’instant le voyageur de sa qualité principale : voyager. Sur ce point, le préjugé ordinaire est formel : le touriste ne voyage pas. Adepte des « circuits », il ne fait que circuler. Cela suffit à faire de ce voyageur un mauvais voyageur : un nomade aux pieds plats. (10)
On songe à la remarque de Daniel, l’un des deux prétendants d’Henriette dans la comédie d’Eugène Labiche et Édouard Martin, Voyage de Monsieur Perrichon (1860), qui se demande « pourquoi les Français, si spirituels chez eux, sont si bêtes en voyage » (acte II, scène II, on retrouve dans cette pièce les mêmes ingrédients satiriques que dans nos bandes dessinées).
Comme le voyage humoristique littéraire du XIXe siècle et la caricature, l’histoire en images se livre à la dénonciation des mauvaises conditions de transport. Dans les pages du Charivari, nombreuses sont les caricatures de Daumier, Cham ou Gavarni qui soulignent l’insécurité et l’inconfort matériel provoqués par l’encombrement ou l’exposition aux intempéries (11). Isolément, beaucoup de cases des histoires en images sont à rapprocher de ces dessins publiés dans les journaux satiriques, tels les intérieurs de train ou de diligence dans Ah quel plaisir de voyager ! (Cham, 1855), dans En Omnibus (Nadar, L’Éclair, 1852) ou dans Un Voyage en omnibus, avec correspondance et autres agréments (Randon, Le Journal pour rire, 17.09.1853). Utilisant les ressources propres à la séquence narrative dessinée, les artistes vont plutôt chercher à caricaturer ce qui s’offre à la vue, lors d’un voyage effectué par le biais des moyens modernes de locomotion. Parmi les « nouvelles machines » (photographie, télégraphe) qui nourrissent les imaginaires esthétique, littéraire, poétique du XIXe siècle, le train, par l’introduction de la vitesse, contribue à imposer de nouveaux types de lecture (l’album, la presse vendue dans les gares), de nouveaux styles d’écriture (notation, sabotage d’images rhétoriques, poésie délibérément prosaïque) et de nouveaux rythmes de lecture. Surtout, il modifie l’appréhension du monde et fait naître une nouvelle imagerie en modifiant le descriptif en littérature et la représentation en art :
Le train, en multipliant les occasions de mise en exposition du réel, apporte une révolution du spectaculaire en général, donc du regard, cet « organe » du siècle selon Balzac. (12)
Entrée dans le régime de la vitesse, la littérature se trouve profondément transformée, le train y devient un référent commun suscitant une sémiologie nouvelle, mise en images par la bande dessinée. Par le rythme d’abord, elle joue de la distribution des images et du principe de la séquence pour signifier combien l’itinéraire balisé, imposé et rectiligne du chemin de fer est synonyme d’ennui, de monotonie. Comme le souligne Philippe Hamon, le premier voyage de La Famille Fenouillard, pour « voir » Paris et l’Exposition Universelle, présente des vues de train (13). Le regard est mis à l’épreuve dès l’entrée dans la gare où Agénor Fenouillard, comme le narrateur, déplore l’illisibilité des affiches ; il trouve une solution au problème en montant sur une chaise et Christophe de renvoyer la question au lecteur en scindant l’image en deux cases (« Les dimensions du dessin précédent nous ayant forcé de couper en deux M. Fenouillard, cette figure est simplement destinée à montrer la suite de l’excellent négociant aux personnes d’une intelligence bornée et d’une imagination faible », pl. 3), suivies d’une case « vidée » par la chute du personnage : n’y sont visibles qu’une main et le parapluie, emblème du bourgeois. Le dessinateur use ensuite du principe de la rime visuelle qui, en annulant l’effet de la séquence où chaque case doit être renouvelée, suggère encore un manque laissant le voyageur dans une frustration certaine. Aux planches 5 et 6 (fig. 82), il reprend une même vignette à deux pages d’intervalle, assortie de légendes différentes – à noter que l’effet n’apparaît pas dans l’épisode du Petit Français illustré, il est donc minutieusement pensé lors de l’adaptation en album, où il est rendu prégnant par la succession directe des planches. Soulignant l’importance du verbal dans les séquences de Christophe, Benoît Peeters le commente en écrivant que l’« image, à elle seule, montre peu ; c’est le commentaire qui la rend éloquente » (14). Au contraire, il nous semble que Christophe offre ici l’exemple d’un supplément de sens apporté par le seul fait de l’itération graphique.
Fig. 82 – Christophe, La Famille Fenouillard, éd. A. Colin, 2004, détails pl. 5 et 6.
Dans les deux cases, séparées par une péripétie, la composante féminine de la famille « commence à interroger l’horizon dans l’espoir d’y découvrir la tour Eiffel » (pl. 5). Avant même que le texte ne dise l’échec (attendu) de l’entreprise dans une tierce image – « Il en résulte qu’à Paris, la famille n’a pas découvert la tour, mais a récolté un violent torticolis » (pl. 6) – la rime visuelle dit l’ennui et la platitude du voyage où ces dames ne trouvent d’autres « loisirs » que celui de reprendre « l’occupation qui est d’explorer attentivement les nuages dans le but d’y découvrir la tour Eiffel » (pl. 6). Puisqu’il n’y a pas de changement, de transformation, la séquentialité graphique paraît interrompue mais c’est pour mieux rendre l’arrêt du temps, la vaine pause contemplative qu’impose paradoxalement le déplacement en train. Le texte sous l’image, lui, ne fait que souligner ce qui est à l’œuvre dans la succession biaisée des images. Cette suspension de la narration par l’image n’en est donc pas une, la répétition exploitant plutôt un effet de citation propre au medium :
La reprise d’une même vignette à deux emplacements d’une bande dessinée, contigus ou distants, ne constitue pas une duplication parfaite. La deuxième occurrence d’une vignette est déjà différente de la première par le seul fait qu’un effet de citation s’y attache. La répétition fait surgir le souvenir de la première occurrence, s’il s’agit d’une rime (répétition distante), ou manifeste une insistance singulière, si les deux occurrences sont contiguës. (15)
Dans les Impressions de voyage de Mr Boniface, Cham renforce effectivement le procédé lorsqu’il place, à la planche 7 (fig. 83), trois images quasi identiques sur la même planche et casse par leur dimension (des images-bandeaux), par leur disposition (l’une en dessous de l’autre, mimant le plan tristement horizontal du chemin balisé) et par leur contenu (un alignement d’arbres sommaires) la relative homogénéité de l’album. Le voyageur traverse en diligence une campagne qui prend ironiquement, hors de Beauvais, « un aspect vif et riant ». « Trouvant le paysage monotone, M. Boniface tourne ses regards du côté opposé » mais l’horizon reste le même. À la case suivante le personnage s’endort, et à celle d’après, il « se réveille en apercevant le paysage du chapitre XIV », renvoi mettant précisément l’accent sur l’élaboration de l’œuvre, la composante graphique étant interrogée dans ses propres codes figuratifs lorsque la dernière image s’efforce de « faire tableau » à partir de la triste vue : « Nature morte adroitement combinée avec la nature vivante », sur cette citation « Toujours la nature embellit la beauté », vers baudelairien attribué à « Ponchard » ! Distribution (16) et répétition des images, jusqu’à la gradation de la parodie picturale et romantique, accompagnent ainsi l’écriture graphique dans la notation de l’uniformité du paysage observé en voyage. Dans cet album d’Impressions de voyage, Cham emploie ainsi, pour caricaturer ce que donne à voir le déplacement moderne, les ressources du montage comme de l’image unique, lesquelles prennent sens dans la confrontation au reste des cases.
Fig. 83 – Cham, Impressions de voyage de Mr Boniface, Paulin, 1844, pl. 7. Source : Cibdi.
Ailleurs, le schématisme symbolique lui permet d’accuser la vitesse du train lancé sur le « grand chemin de fer de Folkon » – la campagne semblant « courir devant lui à raison de 40 lieues à l’heure » se concrétise en une maison et des arbres flanqués de jambes, dont le dessin se perd en gribouillis (17) (pl. 22 et pl. 23) –, le dessin rudimentaire de mimer la pauvreté d’« un point de vue nautique » (pl. 16), le gros plan subjectif – « Ce qui contrarie horriblement notre voyageur, c’est de voir entrer les souliers du postillon dans la composition des paysages qui se déroulent à sa vue » (pl. 8) – et la paralipse graphique de signifier l’obstruction du champ de vision – la « Vue de Londres » (pl. 23, fig. 84) est empêchée par un écran de fumée. Ces procédés, confrontant la fixité du voyageur-spectateur au déroulement orienté et irréversible du paysage, sont les équivalents graphiques (et comiques) des nouvelles catégories descriptives en littérature, où le flou, le brouillé, l’effacement, le « défilé » sont rendus par les plumes de Paul Verlaine (La Bonne Chanson, « Le paysage dans le cadre des portières, / Court furieusement »), de Théophile Gautier (Fusains et Eaux-fortes, « Les arbres fuyaient à droite à gauche comme une armée en déroute »), de Victor Hugo (lettre IV évoquant son voyage en Belgique, en 1837, « La rapidité est inouïe. Les fleurs au bord du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches […] les villes, les clochers et les arbres dansent et se mêlent follement à l’horizon ») puis d’Émile Zola, dont le roman du train, La Bête humaine (1890), contient une scène de défilement digne d’un effet de pré-cinéma (18). La peinture impressionniste rend également compte de ces nouveaux regards confrontés à une modernité symbolisée, pour Claude Monet, par l’intérieur de La Gare Saint-Lazare (1877). Aussi, comment ne pas penser, devant la case où Mr Boniface observe Londres embrumée (fig. 84), aux toiles du britannique William Turner (1775-1851), telle Pluie, vapeur et vitesse – The Great Western Railway (peinte en 1844, année de publication de l’album de Cham (19)).
Fig. 84 – Cham, Impressions de voyage de Mr Boniface, Paulin, 1844, détail pl. 23. Source : Cibdi.
Les effets visuels sont ainsi nombreux qui ponctuent les périples parodiques, ils sont à relier aux cases noires et autres paralipses dessinées interrogeant la capture du monde, et son rendu réaliste, au moment de la popularisation des instruments optiques (20). Dans le cadre de la parodie du récit de voyage, ils poussent dans ses retranchements le principe de la description, noyau du récit et preuve de sa véracité. La question de l’authenticité du récit, du témoignage oculaire, fait l’arrière-plan ironique de ces procédés, les images étant données dans leur prétendue réalité perceptive. Ces vues empêchées ou banales sont également le contrepoint à l’extraordinaire qui fait la magie du voyage, les dessinateurs, comme les auteurs de récits de voyages humoristiques, réalisant de la sorte « un certain nombre de renversements comiques qui promeuvent l’infime, l’insignifiant au détriment du monumental » (21). Gustave Doré s’amuse lui aussi de ces découvertes dérisoires, lorsqu’il amène César Plumet à « verser une larme de désillusion » à la vue d’un champ de choux porté à son attention par le guide touristique (Des-agréments d’un voyage d’agrément, pl. 6), ou qu’il force le narrateur du Voyage en Allemagne à se courber pour admirer, sur le conseil du guide, les « monuments d’Agrippa » qui se résument à trois pierres (Le Journal pour rire, 02.05.1851). Comme Cham, il use de l’écriture et de la rime graphiques pour renforcer la platitude de certaines scènes. Dans les Des-agréments d’un voyage d’agrément, une « promenade sur le lac par la brise du soir » est rendue par un dessin sommaire et un point de vue reculé qui place la vague barque des touristes au beau milieu d’une calme étendue d’eau : « Le parasol de Mme Plumet s’étant envolé, Mr Plumet croit devoir informer Vespasie qu’elle vient d’assister à une tempête sur le lac » (pl. 3). Dans le Voyage en Allemagne, trois vues quasiment identiques, accompagnées de légendes aussi répétitives, représentent du dessin le plus rudimentaire la « partie du Rhin qui s’étend de Bacharach à Obervesel », la « partie du Rhin qui s’étend d’Obervesel à Ittheim » puis la « partie du Rhin qui s’étend de Ittheim à Bengen ».
Transparaît, dans cette représentation des sites visités, une satire de la théorie esthétique du pittoresque notamment définie par William Gilpin comme « that kind of beauty which is agreeable in a picture », dans An Essay upon Prints (1768) (22). Déjà présente dans The Tour of Doctor Syntax in Search of the Picturesque (23), l’imitation parodique du style pittoresque se remarque particulièrement dans le Voyage en Allemagne (Le Journal pour rire, 1851) où Gustave Doré se plaît au dessin, selon des perspectives plus qu’aléatoires, de l’habitat allemand. Les principes du pittoresque selon Gilpin, comme l’irrégularité ou « the roughness » (la rudesse, l’accidenté), sont ici poussés à l’extrême. L’épisode de la visite des ruines dominant le village – où un couple de poètes, en pleine méditation sur le haut d’une tour, est bientôt recouvert par la faune et la flore tandis que l’édifice s’effondre progressivement, fig. 85 – parodie les théories d’Uvedale Price (An Essay on the Picturesque, 1796), inspirées de Gilpin, qui voient dans la ruine, la carrière ou tout terrain dévasté et marqué par l’écoulement du temps et les progrès de la végétation le modèle du motif pittoresque (24).
Fig. 85 – G. Doré, détails extraits de Voyage sur les bords du Rhin, n° 175, Journal pour rire, 6 juin 1851. Source : Gallica.bnf.fr
Dans les Des-agréments d’un voyage d’agrément, publiés la même année que ce feuilleton du Journal pour rire, Gustave Doré s’attaque encore aux images nées du voyage et à leur dimension pittoresque, à travers l’album de voyage que César Plumet achète « pour y jeter ses impressions », « édité par Aubert avec quelques retouches du célèbre Gve. Doré », et que le lecteur est censé lire après l’indication, ouvrant sur le second niveau diégétique, « La 1ère page commence ci après… T.S.V.P » (pl. 3). Les dessins majoritairement ne changent pas de style, contrairement aux légendes qui sont écrites à la première personne. Seuls quelques-uns sont donnés explicitement comme étant de la main du touriste, ils se distinguent alors, servant la caricature du bourgeois incapable, par leur nullité : un sapin totalement régressif (et biffé, Plumet reconnaissant non pas son manque de talent mais l’incomplétude intrinsèque de l’artefact, pl. 10), des calculs mathématiques inexacts (pl. 19), une case zébrée par manque d’imagination (« je ne sais que mettre à cet endroit », pl. 20) – solution graphique typiquement excentrique, appelant à prendre conscience de la page dans sa dimension physique, comme le blanc laissé par le narrateur dans Tristram Shandy pour que le lecteur y inscrive « son juron le plus familier » (25). Lorsqu’il est question des réalisations graphiques de Plumet mais que le point de vue de l’image reste extérieur, le dessinateur continue à parodier la création en considérant toujours la page comme le fac-similé de l’album du voyageur : à la planche 10, l’empreinte du pas du Savoyard que croque Plumet porte effectivement sur la page. À la planche 21, tandis que Plumet dessine « l’intérieur pittoresque » d’un chalet, « une tendre vache » lèche son dessin : l’effet de l’accident n’est pas représenté mais Doré dessine le museau de la vache qui masque une bonne partie de la case. Sont mêlés ici jeu sur les différents niveaux narratifs et exceptionnelle mise en abyme (26), avec une désinvolture offerte par la marginalité du medium, qui procède également des traits du roman moderne (multiplication de récits enchâssés, métalepses et mises en abyme). La parodie du support (celle de l’album de voyage, volontiers mondain) croise l’auto-parodie (celle de l’album narratif, objet en devenir) qui culmine dans l’autoportrait du dessinateur (pl. 22) et fonctionne comme une invitation à l’exercice de la conscience critique de l’œuvre, en forme de défi. À travers ces détails qui se font ostentatoires, Gustave Doré trouve un autre moyen de confronter la logique rectiligne et accumulative du voyage (représentée par la mise en page régulière, pl. 13) au zigzag, à l’imprévu fantaisiste (pl. 8, avec le mouvement en Z, passage où les touristes se sentent en danger) : « le détail, c’est ce qui rompt le “fil” ou la “ligne” du récit par une unicité d’apparition et par une a-fonctionnalité pure » (27).
La parodie de l’album de voyage se retrouve dans les deux volumes Impressions lithographiques de voyage par M. M. Trottman & Cham et Nouveaux voyages et nouvelles impressions lithographiques, phylosophiques & comiques de M. M. Trottman et Cham, publiés en 1845 et 1846. Elle se fait, cependant, moins audacieuse, et n’engage pas de mouvement réflexif, en ce qu’elle imite, pour partie, la méthode de la compilation de gravures, de dessins ou de photographies, propre au support. « Emporté par l’amour des voyages et par la diligence » (pl. 1, vol. 1), M. Trottman visite successivement la Belgique, la Hollande, la Russie, l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et la Turquie. Le trajet importe peu, il se résume à une seule case – « Par le plus grand hazard (sic), la Newa ayant dégelé, Mr Trottman quitte avec empressement cet heureux pays d’ours » (pl. 11, vol. 1). Les étapes seules importent, qui offrent l’occasion d’imposantes compositions où l’art du dessinateur est sublimé par la technique lithographique, en exergue dans l’intitulé, les contrastes entre lignes appuyées et fondus de gris étant particulièrement bien rendus par les ateliers réputés de Rose-Joseph Lemercier. Les légendes se mettent au diapason de cette parodie de genre, elles se font souvent descriptives et multiplient les verbes de perception lorsque les cases présentent les choses vues, admirées, montrées, aperçues par M. Trottman. De nombreuses « vues prises », sur le vif parfois, émaillent l’album : « Vue générale d’un paysage Flamand » (pl. 2, vol. 1), « Vue prise au moment où les digues ont besoin de quelques réparations » (pl. 6, vol. 1), « Vue générale de l’Italie à vol d’oiseau » (il s’agit d’une botte portant l’inscription Italie, pl. 5, vol. 2). Les albums accusent une structure feuilletonesque typique du récit de voyage (conditionnée également par la parution dans Le Charivari) où s’enchaînent les différentes étapes ; elle est mise en relief par l’intitulé des escales placé en haut des planches – « Mr Trottman en Belgique », « Mr Trottman en Hollande », etc. Représentatifs de la manière dont est traité (thématiquement) le voyage en bande dessinée, ils font se rejoindre dépaysement, par une collection de poncifs géographiques, et aventure, par le hasard. Cham emploie le mot, dans la citation donnée plus haut, significativement écrit en anglais, « hazard », où il signifie « risque, péril » et fait signe vers le romance anglo-saxon, concept repensé au XIXe siècle en Angleterre – il puise ses racines dans le roman médiéval. Opposé au novel, désignant un type de littérature réaliste, le romance renvoie à une littérature d’imagination et de fantaisie, il est un mode de fiction déterminé moins par une forme spécifique que par une relation au réel caractérisée par une volonté accrue de rompre avec le monde quotidien. Le merveilleux et l’extraordinaire fondent cet écart au réalisme en tant que vraisemblable, qu’ordre du probable : « contre la prétention à une lecture exacte du monde, il développe une métaphore du récit comme jeu commandé par le principe de plaisir » (28). La définition du romance correspond à celle du roman d’aventures que Cham, parmi les autres dessinateurs, met en œuvre dans les voyages de M. Trottman. S’il reste difficile à circonscrire en tant que genre, le roman d’aventures observe deux invariants, à savoir l’importance de l’événement (traduite formellement par une structure épisodique et thématiquement par des types d’action dangereuse) et la nécessité du dépaysement (par l’élaboration d’un cadre géographique, historique ou social, d’un style et d’une logique de l’extraordinaire, de l’hasardeux). Aussi pour M. Trottman le voyage tourne-t-il à l’aventure, en ce sens que l’itinéraire se dessine en fonction des aléas et des événements imprévisibles qui surviennent : sur le bateau qui le mène en Russie, « le vent ayant soufflé nord, le capitaine et la moitié de l’équipage sont gelés » (pl. 7, vol. 1), en Irlande, « la secte des Rebeccaïtes met le feu à la maison », Trottman est arrêté par la police, « toujours intelligente » (pl. 20, vol. 1), en Espagne, il « tombe sur un gros de Guérillas Espartériste » (pl. 1, vol. 2), il est délivré par les troupes constitutionnelles qui l’arrêtent « comme chef de Guérillas » (pl. 2, vol. 2), etc. C’est comme antiphrase mais aussi dans le sens de sort, de fortune qu’il faut entendre les expressions « par bonheur » décrivant ces événements. La parodie du récit de voyage passe alors par la parodie de l’aventure. Dans le récit de voyage humoristique romanesque, il y a à la fois rejet du voyage strictement utilitaire, comme progression rectiligne, et remise en cause, comme dans le texte excentrique en général, de la structure linéaire et totalisante du récit classique (uni, homogène). Le cheminement aléatoire, au gré des humeurs, est préféré par le voyageur proprement « ex-centrique » à la ligne droite et rationnelle du voyage classique (29). Dans les Voyages en zigzag, Rodolphe Töpffer fait de la figure serpentine le principe des déplacements organisés avec ses élèves. La flânerie, le détour, l’esprit de découverte qui n’évite pas les itinéraires tortueux remplacent les parcours balisés et les « rubans », ces lignes droites ennuyeuses :
Au zigzag s’oppose ce que Töpffer appelle la « spéculation », c’est-à-dire le raccourci, le trajet que l’on suppose plus court (d’où le terme spéculation) et qui est la tentation constante du jeune voyageur impatient (30).
Dans le récit de voyage excentrique, divers procédés structurels, la digression en tête, sont alors mis en œuvre pour traduire cette conception de l’écriture comme du déplacement (31). Dans la bande dessinée, la posture parodique passe par une « excentricité par déveine » qui, tout en s’inscrivant en parallèle au zigzag littéraire, caricature le principe de l’aventure. Non seulement les événements n’y sont en rien des expériences mettant la vaillance du personnage à l’épreuve (ils se résument à des faits absurdes, malheureusement ordinaires ou à l’inverse exceptionnels, et à des péripéties, au sens étymologique du terme, entravant la marche du voyage), mais ils s’accumulent à une allure vertigineuse, limitant davantage leur portée, et provoquant un enchaînement de faits tout aussi absurde, jusqu’à empêcher le voyage de se faire. Chez Rodolphe Töpffer, comme chez d’autres écrivains du XIXe siècle, une posture idéologique (32) sous-tend la double écriture du voyage : littéraire, elle fait place aux plaisirs de jeux linguistiques (33) et graphiques ; séquentielle, elle donne corps aux idiomes du monde moderne. Dans Naissances de la bande dessinée, Thierry Smolderen démontre combien le langage de la bande dessinée, pensé comme une mécanique répétitive, entraînante et incontrôlable, comme « un chemin de fer » d’images, est une forme parfaitement ironique sous le crayon de Töpffer, imaginée pour caricaturer un monde industriel abrutissant (34). Au lecteur, averti au seuil de l’album, de mesurer l’écart entre les deux traitements du voyage :
Propulsé d’image en image comme une locomotive sur des rails – ou comme un orateur ânonnant machinalement son discours – le lecteur moderne qui aurait oublié la loi fondamentale de la pensée vivante « qui est de ne se répéter jamais », perdu le secret des voyages en zigzag et de la lecture serpentine d’un tableau intriqué, n’a aucune chance de percer à jour cette allégorie de la pensée nulle, qui, pourtant, le concerne directement – et il ne rira pas. (35)
Fig. 86 – R. Töpffer, Le Docteur Festus, éd. J. Kessmann aquarellée, 1846, pl. 61. Source : Coll. Bibliothèque de Genève (Ve2523).
L’idée fixe est l’ingrédient privilégié de la syntaxe anti-progrès qui culmine, dans Mr Cryptogame, dans l’image du tourbillon (36). Cette spectacularisation, cette violence des actions, remotivée par l’usage qui est fait dans le récit d’aventures des événements périlleux, est particulièrement relayée par les continuateurs de Töpffer. Les images d’éclatement (Mr Cryptogame, pl. 194), de projection dans les airs (Le Docteur Festus, pl. 35-36), d’explosion (fig. 86) sont déclinées dans de nombreuses histoires en images, Voyage de Paris dans l’Amérique du Sud de Cham et Les Mésaventures de M. Bêton de Léonce Petit notamment, où semble se matérialiser le concept philosophique invoqué lors de l’étape lyonnaise du voyage en Europe de Tristram Shandy :
CONTRARIÉTÉ
sur
CONTRARIÉTÉ. (37)
Dans l’album de Léonce Petit, l’aventure est lancée par la jalousie du mécanicien, symbole de cet industrialisation aveugle, qui ne cesse de penser, comme une idée fixe en leitmotiv, à « la sœur de son âme » installée près de M. Bêton. Devenu fou de jalousie, il lance la machine qui file « trente trois lieues à l’heure » (pl. 15) et finit par entrer en collision avec un convoi chargé de bétail – singulière préfiguration de Jacques Lantier, le mécanicien à la folie meurtrière de La Bête humaine (Zola, 1890).
À mesure que l’on avance dans le siècle, la charge satirique à l’égard des méthodes de voyage à l’ère industrielle et du récit de voyage comme mode littéraire ne se perd pas totalement mais se trouve supplantée par la nécessité de rivaliser avec un concurrent direct de l’histoire en images : le roman d’aventures, catégorie de la littérature populaire et de jeunesse, dont l’apogée se situe dans les années 1860-1940.
2. Sur les pas du récit d’aventures
À partir du moment où, dans les années 1870 en France, le roman d’aventures est balisé en tant que genre populaire et à destination de l’enfance, il se prête aux reformulations parodiques au point que perce une forme spécifique et dominante, le « roman d’aventures humoristiques » (38). Influencée par les œuvres de Jules Verne (Le Tour du monde en 80 jours, 1873, L’École des Robinson, 1882, Le Testament d’un excentrique, 1899), l’écriture humoristique de l’aventure est une manière plaisante de s’inscrire dans le genre en en transposant les contraintes dans le registre comique. Des auteurs comme Paul d’Ivoi (Le Sergent Simplet, 1895, Le Capitaine Matraque, 1906) ou Ernest d’Hervilly (L’Île des parapluies, aventures du gâte-sauce Talmouse, 1891, Chasseurs d’édredons, voyages et singulières aventures de M. Barnabé, 1896) mettent ainsi l’accent sur une distance ludique par rapport à l’aventure. Or, parce que le roman d’aventures procède du récit de voyage, certains procédés de ces réécritures comiques se retrouvent dans le voyage en images. Matthieu Letourneux évoque une logique encyclopédique, « revisitant à la va-vite, et avec la désinvolture d’une série de farces et de quiproquos, l’ensemble des possibles narratifs du genre » (39). C’est précisément de la sorte qu’opère Cham dans les deux volumes des Impressions lithographiques de voyage, comme dans d’autres albums où les personnages sont envoyés d’un bout à l’autre du globe. Version parodique du voyage sentimental, Mr Papillon, au sous-titre évocateur L’amour autour du monde, voit le personnage à la recherche d’une épouse se rendre en Angleterre, à Cadix, en Chine, en Laponie puis en Corse. Dans L’Art d’engraisser et de maigrir à volonté, Mr Legras et Mr Lesec parcourent l’Algérie, l’Italie, la Turquie, le Caucase et l’Inde, dans l’espoir de perdre du poids pour l’un et d’en prendre pour l’autre (40). Chaque séquence de ces odyssées y est l’occasion d’un stéréotype (contrefaçons belges, brouillard de Londres, couscous africain, corrida espagnole, etc.), organisé selon un schème fortement épisodique.
À la parodie du dépaysement géographique, les dessinateurs adjoignent celle de l’exotisme social. Qu’ils prennent pour thèmes les « parties de plaisir » – noms donnés aux visites dominicales, par les Parisiens, de la proche banlieue rurale – ou les séjours prolongés à la campagne, ils s’attachent à leur donner le caractère d’une véritable aventure. Le récit de voyage touche ainsi à la satire des comportements, des pratiques contemporaines. Le feuilleton Histoire d’une invitation à la campagne de Gustave Doré (Le Journal pour rire, 1849), et l’album de Cham Pincez-moi à la campagne !!, voient tous deux un citadin invité à se rendre dans le château d’un ami situé en province. Le voyage jusqu’à la villégiature de la Marquise de la Coquardière, dans le second titre, prend la tournure d’une longue expédition : Mr de Croquoison rate son train, emprunte un omnibus pendant trente-six heures puis se dirige « pédestrement » vers le château qui se trouve à sept heures de la station. M. Berniquet, sous le crayon de Doré, éprouve quant à lui un sentiment d’étrangeté dès son arrivée en terre inconnue où il demande son chemin à « un indigène qui lui donne pour indication que le châtiau de M. Godinot est à quatre petites demi-lieues, entre matin et soir, quand on a tourné vers le champ à Glaude ». Dans les deux histoires, des épisodes similaires : accueil hostile par le chien de garde, visite des lieux (jardin, basse-cour et « antiques » du parc de Godinot), découverte des activités rurales. Usages alimentaires, habitat, insectes, vêtements, tout paraît curieux et inquiétant aux visiteurs. Cette image d’une vie rurale quasi sauvage, que Daumier relaie en caricature, résulte de l’importante scission au XIXe siècle entre habitant des villes et habitant des campagnes. Isolé dans son propre environnement, l’individu cherche à découvrir des lieux inhabituels – curiosité à laquelle répondent les Histoires campagnardes de Léonce Petit – mais reste enfermé dans son propre système :
Le désir d’aller chercher à la campagne, si peu accueillante, les commodités de la ville, témoigne de l’incapacité de s’approprier réellement cet environnement, c’est-à-dire de définir sa propre situation par rapport à cette expérience. C’est pourquoi la campagne, devenue accessible sans danger, continue d’apparaître comme un vis-à-vis étranger et même dangereux. (41)
En bande dessinée, la caricature sociale (42) croise ainsi celle du récit d’aventures, le citadin invité à la campagne affrontant coup sur coup des « épreuves » récurrentes, avant une délivrance qui n’a rien de triomphale.
Les dessinateurs confrontent également leurs personnages à la « sauvagerie », non plus de la ruralité, mais du pays lointain, de l’espace non défriché qui s’oppose, typiquement dans le roman colonial, à la civilisation. Comme une sorte de creuset, la séquence graphique rassemble toutes les expressions de l’imaginaire de la sauvagerie. Parodiant les missions de civilisation, Cham ridiculise les expéditions coloniales dans les Épisodes de l’histoire d’une nation sauvage, ou les bienfaits de la civilisation (L’Illustration, 1846) (43), quand M. Guesde et Edmond Morin véhiculent les préjugés racistes dans le Voyage de M. Pierre Vespuce aux Antilles (Le Journal pour rire, 1851). L’histoire en images pour l’enfance décline elle aussi toutes les formes de rapport à l’étranger, dans l’Imagerie artistique s’expriment la barbarie du sauvage mais aussi sa pureté originelle. Le traitement du voyage exotique dans ces feuilles populaires va du plus sérieux et inquiétant au plus humoristique et parodique (44). La mission d’exploration, par exemple, est un condensé de récit d’aventures classique sous le crayon de Marius Monnier (Le commandant La Fureur-des-Flots, s17-n7), ou une version parfaitement farfelue par Louis Le Rivérend (L’explorateur, s11-n16), un dessinateur qui donne, en outre, une feuille retraçant Les chasses de Tartarin (s14-n17, 1902).
Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon, ce récit d’aventures burlesques qu’Alphonse Daudet (1840-1897) publie en 1872 chez Dentu (45), pourrait avoir comme sources d’inspiration trois bandes dessinées. Les deux premières sont les feuilletons réalisés par Benjamin Roubaud (Les Aventures de Scipion l’Africain, L’Illustration, 1845) et par Monta (La Caravane de M. Bibloteau en Afrique, Le Journal pour rire, 1849). Une même image d’un Orient de fantaisie sert de cadre à ces personnages qui y vivent des aventures prodigieuses, au point que Dominique Bernasconi évoque une filiation :
Ainsi le mythe survit ; d’ailleurs la bande dessinée ne cherche pas à le détruire. En reprenant les différents éléments de l’Algérie pittoresque elle contribue même à le populariser. Simplement c’est une vision comique qu’elle nous offre et non de grands élans romantiques et passionnés.
Le problème reste posé de savoir si Daudet avait vu les dessins de Roubaud et surtout de Monta. De troublantes ressemblances permettent de le laisser supposer, ce qui ne diminue en rien l’importance première de l’expérience personnelle de l’auteur (46).
De même, l’on peut se demander si Alphonse Daudet, qui s’est inspiré pour son récit du très populaire Jules Gérard (dont Gustave Doré illustre le récit, La Chasse au lion, en 1855) (47), n’aurait pas eu connaissance de l’album de Victor Adam, Mr de la Lapinière, désigné dès le sous-titre comme le « successeur imaginaire de Gérard le tueur de lions » (1851, cat. n° 42). Cette hypothèse est d’autant plus intéressante que l’œuvre de Daudet est traversée d’images, de l’oncle Baptiste qui « passait son temps à colorier des images de journaux illustrés » comme Le Charivari ou L’Illustration dans Le Petit Chose (1868), aux photographies d’André Maranne dans Le Nabab (1871), en passant par le personnage éponyme obsédé, dans Tartarin dans les Alpes (1885), par « le dessin fameux de Gustave Doré » et dont l’arrivée au sommet du Jungfrau est célébrée « par une de ces répercussions spectrales », laquelle dessine un Tartarin géant dans le ciel. Ami et compagnon de jeunesse d’André Gill, qui réalise, nous l’avons vu, des bandes dessinées pour la presse, l’écrivain dédie Tartarin au peintre Gonzague Privat et réalise des petits croquis dans les marges de ses manuscrits faisant montre d’un « vrai talent de caricaturiste » (48). Caricature du bourgeois à la recherche d’aventures, M. de la Lapinière « tombe en extase devant le portrait du grand tueur de lions » (pl. 1) et décide de partir effectivement sur ses traces après avoir lu ses exploits publiés en feuilleton dans le Journal des Chasseurs. Comme on s’en doute, il n’arrive à rien mais, « poussé par son idée fixe » (pl. 12), il finit par rencontrer Gérard, « le fameux tueur de lions » (fig. 87). Sans s’y attarder, Adam livre les représentations conventionnelles, les scènes de genre présentes dans toutes les séquences, et dans les récits illustrés de la presse, ayant trait au continent africain qui montrent l’apprenti chasseur (cousin de Mr de la Canardière d’Henry Émy, 1846) fumant le chibouk, allongé sous la tente d’un Bédouin ou mangeant du couscoussou (pl. 18-19). Là encore, se rappelle son talent de lithographe : « Sans jamais avoir quitté Paris, il a dessiné pendant un demi-siècle des personnages de tous les pays, des Africains, des Américains, des Lapons, des Turcs, des Chinois, donnant le goût de l’exotisme à plusieurs générations qu’ont enchantées les “figures par Victor Adam” » (49).
Fig. 87 – V. Adam, Mr de la Lapinière, H. Gache éditeur, 1851, pl. 18. Source : Coll. de l’auteur.
Jules Verne se serait inspiré, pour sa part, des expériences de Nadar en matière d’aérostation pour Cinq semaines en ballon (1863), l’un des Voyages extraordinaires publiés, en partie, en feuilletons dans le Magasin d’éducation et de récréation de Pierre-Jules Hetzel (50). À l’adresse de la jeunesse, le voyage se fait des plus dépaysants en ce qu’il fraye avec le fantastique, une tentation forte du genre (51). Généralement, la vraisemblance merveilleuse du voyage romanesque se trouve toutefois dégonflée dans la case finale du récit graphique, par le biais du rêve (52) – comme le fera Winsor McCay, à partir de 1905, dans les aventures de Little Nemo in Slumberland. Ce subterfuge, permettant d’introduire l’extraordinaire de l’aventure tout en le maintenant finalement à distance, dans une forme de parodie ludique proche de celle du récit d’aventures humoristiques, est également employé dans la séquence « pour adulte ». Publié dans La Terre illustrée, du 8 novembre 1890 au 25 avril 1891, le Voyage de M. Blandureau autour du monde (non signé) voit un ex-pharmacien, enthousiasmé par les récits de Stanley et Nordenskjöld, se décider à « faire le tour du monde ». Il se rend donc à la gare de Tripaton-les-Mules, où il achète un « billet circulaire » pour lui et son chien Totor. Son navire ayant fait naufrage, il est secouru par un scaphandrier qui l’amène dans sa maison « à trois cent mètres au-dessous du niveau de la mer » pour lui présenter sa femme « La Phoquesse ». Fait ensuite prisonnier sur une île déserte, l’aventurier est contraint d’épouser la guenon Gabichette, fille du roi Singe XIV. Après des rebondissements non moins étranges, Blandureau se réveille enfin, sain et sauf, dans son lit. Fiction rocambolesque et images de mondes inconnus et sauvages se conjuguent ici pour rivaliser avec le roman d’aventures. Un précédent feuilleton paru en 1874 dans Le Journal amusant semble avoir inspiré cette histoire. Il s’agit d’Une Aventure au Gabon de Gilbert Randon, dans laquelle le savant Bugnalarose part en Terre d’Afrique à la recherche du macrodontia cervicornis qui manque à sa collection de coléoptères (53). Comme dans le voyage de Blandureau, un indice du caractère cauchemardesque du périple est donné dès le début, où l’on voit Bugnalarose dans son lit, rêvant du coléoptère.
Adoptant aisément les traits du rêve (un enchaînement plus ou moins continu d’images façonnées par un écran mental), la bande dessinée trouve dans l’onirisme un formidable prétexte à son extravagance thématique, et ce dès ses débuts. Dans l’excursion entreprise par le docteur Festus, la part du rêve est déjà présente. Après les folles péripéties que lui fait subir Töpffer, le personnage se réveille finalement dans son lit et « s’imagine qu’il n’a pas quitté le logis, et, tout en contemplant l’aurore, il songe au beau rêve qu’il a fait » (Le Docteur Festus, pl. 87). Est-ce parce qu’il n’a rien vu que Festus croit ne pas avoir voyagé ? Affirmant la parodie du récit de voyage scientifique, tellement fantaisiste qu’il en a la consistance du rêve, le motif onirique semble avoir amusé Töpffer au point qu’il aurait envisagé une suite aux aventures romanesques de Festus, dans laquelle son personnage aurait rêvé qu’il voyage au lieu de voyager en croyant rêver (54). À l’autre extrémité de notre corpus, une lecture de La Famille Fenouillard donne un rôle prépondérant au rêve. Après leurs premières excursions à Paris et sur les côtes normandes, les Fenouillard débutent une aventure lointaine mais fortuite : embarqués par accident sur un transatlantique qui les conduit en Amérique, ils font la rencontre de nombreux peuples, dont les Sioux et les trappeurs Canadiens, les Japonais, les Papous cannibales et les populations du Moyen-Orient et d’Espagne. Agénor, qui dans sa jeunesse « a failli avoir un quatorzième accessit de géographie », ne manque pas dans chaque contrée qu’il visite d’émettre des observations scientifiques voire même ethnologiques (55). Comme les Voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne (1879) d’Albert Robida, La Famille Fenouillard constitue une parodie du récit d’aventures qui, cette fois, s’ingénie à mettre à nu les ficelles du genre – voyage fortuit, opposition caricaturale des « sauvages » et des « civilisés », enchaînement des péripéties et des modes de déplacement insolites, retour triomphal inespéré et non mérité, absence totale de logique réaliste normalement en tension avec l’irréalisme. Il y a inversion des valeurs du récit d’aventures et reformulation parodique du pacte de lecture, comme dans d’autres voyages en images de Bast ou de Nadal, publiés par les illustrés au début du XXe siècle (56). Sur la base de l’examen de la bande dessinée, qu’il juge « plus géopolitique qu’on ne le pense », et des connaissances scientifiques de Christophe qui ne pouvait, selon lui, ignorer les travaux du neurologue Jean-Martin Charcot (1825-1893), Jean-Michel Hoerner postule la mise sous hypnose des Fenouillard par le personnage du Docteur Guy Mauve :
Dans la mesure où ils ressembleraient à des « animaux dits hibernants », selon le docteur Guy Mauve qui les assiste, ils ne voyageraient pas tout à fait dans la réalité, ils n’exploreraient que leur subconscient et seraient des touristes qui ne sont jamais partis. (57)
Cette hypothèse l’amène à concevoir l’hypnose comme une thérapie qui consiste à transformer les Fenouillard en véritables héros. La critique d’un tourisme snob et ostentatoire, qui nourrit le comique de Christophe, est ainsi formulée par les faux voyages de la famille. Alors que le tourisme de masse commence à se développer à la fin du siècle, le tour du monde de la famille Fenouillard est à lire comme la caricature du voyage réalisé dans l’idée d’une promotion et d’une valorisation sociale (58).
C’est en parallèle à la caricature sociale, également, que l’histoire en images s’intéresse aux inventions du XIXe siècle pour représenter des aventures extravagantes. Les différentes expérimentations en matière de navigation aérienne enrichissent l’imaginaire des dessinateurs, et plus précisément celui de Cham qui donne à voir différentes tentatives d’envol, malheureuses le plus souvent, comme celles de M. Potard, « jaloux du succès de M. Green » (59). Conservés au Musée de la bande dessinée d’Angoulême, deux manuscrits attribués au caricaturiste font état de son intérêt pour ce thème fortement visuel, comme le montrent les fascicules abondamment illustrés de John Grand-Carteret et Léo Delteil, La Conquête de l’air vue par l’image (1495-1909) (60). Le premier manuscrit, intitulé Impressions de voyages aériennes et maritimes de Mr. A. A. N. Trouillard, épicier de la veille (61), rend compte d’une aventure totalement saugrenue commencée à l’aide d’un ballon gonflé à l’hydrogène. Le second, Nubis, le voyage dans la lune, raconte une ascension en ballon, celle de Mr Nubis qui « prend lune » et se trouve confronté aux étranges comportements des « moutards » qu’il rencontre (62). Le voyage rejoint alors la science-fiction, dans des séquences qui sont le pendant comique, au second degré, des voyages extraordinaires et autres romans d’anticipation comme en propose Albert Robida (Le Vingtième siècle, 1883). Thierry Groensteen évoque une parodie croisée à propos du Voyage d’un âne dans la planète Mars (1867) de Gabriel Liquier (63). Le dessinateur emprunte d’abord au voyage interplanétaire, rappelant en cela L’Autre monde de Cyrano de Bergerac (64), et au contemporain De la Terre à la Lune (1862) de Jules Verne. Le retour de l’âne est ensuite repris d’un épisode des Aventures du Baron de Munchhausen dans lequel le Baron, qui a réellement existé, se vante d’avoir fait le voyage jusqu’à la lune en chevauchant un boulet de canon (65).
L’aventure du voyage comme thématique privilégiée de la bande dessinée au XIXe siècle prend ainsi différents chemins, qu’elle se place dans le prolongement d’une tradition parodique littéraire, qu’elle se plie à la vocation satirique des caricaturistes (En matière de politique également, avec Proudhon en voyage (1849, collection des Albums comiques à un franc), où Cham envoie le socialiste dans les « espaces célestes » puis sur la lune qu’il finit par remplacer, plongeant « dans un profond étonnement ce pauvre M. Leverrier ! ».)), qu’elle pousse le modèle populaire aux confins de l’absurde et de l’invraisemblable ou qu’elle se fasse miniaturisée à destination de l’enfance. Le nombre d’histoires en images, publiées ou manuscrites, qui prennent le voyage pour sujet, tant en France qu’à Genève, témoigne du caractère germinateur de la thématique.
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- « Et vous voulez que moi, plagiaire des plagiaires de Sterne –
Qui fut plagiaire de Swift –
Qui fut plagiaire de Wilkins –
Qui fut plagiaire de Cyrano –
Qui fut plagiaire de Reboul –
Qui fut plagiaire de Guillaume des Autels –
Qui fut plagiaire de Rabelais –
Qui fut plagiaire de Morus –
Qui fut plagiaire d’Érasme –Qui fut plagiaire de Lucien – ou de Lucius de Patras – ou d’Apulée – car on ne sait lequel des trois a été volé par les deux autres, et je ne me suis jamais soucié de le savoir…
Vous voudriez, je le répète, que j’inventasse la forme et le fond d’un livre ! le ciel me soit en aide ! Condillac dit quelque part qu’il seroit plus aisé de créer un monde que de créer une idée », C. Nodier, Histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux, 1830, p. 26.[↩]
- T. Groensteen, La Bande dessinée en France. Considérations sur un art populaire et méconnu, Paris, Angoulême : Ministère des Affaires Étrangères, CNBDI, 1998, p. 16.[↩]
- D. Sangsue, « Le Récit de voyage humoristique (XVIIe – XIXe siècles) », Revue littéraire de France, n° 101, 2001, article repris dans La relation parodique, du même auteur, en 2007.[↩]
- S. Pickford, Le Récit de Voyage Excentrique de Laurence Sterne à Gustave Doré : Naissance et évolution d’un genre européen, thèse de Doctorat : Université Toulouse II – Le Mirail : 2006.[↩]
- « Il existe également un parallèle évident entre les deux personnages, tous deux des érudits candides, tous deux grands et maigres avec des traits exagérés – le menton pour Syntax, le nez pour Festus (surtout dans la version de 1829). Tous deux décident un beau matin d’entreprendre un voyage à cheval (ou à mulet) à la recherche de leur marotte – le pittoresque, l’instruction. Tous deux connaissent des aventures comiques en série. Le deuxième dessin du Festus de 1840 est une citation directe de la première gravure de Syntax », S. Pickford, Le Récit de Voyage Excentrique de Laurence Sterne à Gustave Doré, 2006, p. 640.[↩]
- Dès 1816, le néologisme « touriste » – emprunté à l’anglais tourist, mot lui-même formé à partir du terme français « tour » – apparaît dans la langue française et prend rapidement un sens péjoratif, « désignant d’abord les riches voyageurs anglais qui sillonnent l’Europe, puis tout voyageur se déplaçant pour son plaisir, il tend progressivement à correspondre au voyageur qui voyage pour voyager, c’est-à-dire sans discernement », D. Sangsue, « Le Récit de voyage humoristique (XVIIe – XIXe siècles) », Revue littéraire de France, 2001, p. 1153. Sous la plume de Laurence Sterne, dans A Sentimental Journey, ou celle de Rodolphe Töpffer dans Voyage autour du Mont-Blanc, l’image du mauvais voyageur se divise selon une typologie dressée des « espèces » touristiques. Ce classement satirique se retrouve dans la littérature panoramique et notamment dans La Physiologie du voyageur (1841), illustrée par Daumier, qui en fait un « tripède nomade, qui tient à la fois du cerf pour les jambes, de la pie pour le ramage et du singe pour son penchant à l’émulation », M. Alhoy, La Physiologie du voyageur, 1841, p. 5 ; cité par Marc Boyer, Histoire générale du tourisme du XVIe au XXIe siècle, Paris : l’Haramattan, 2006, p. 186.[↩]
- Une réclame placée dans Le Journal pour rire (12.03.1852) présente ainsi l’album : « L’auteur raconte les impressions de voyage de M. Plumet, ex-passementier de la rue Saint-Denis, qui visite les Alpes en compagnie de madame Vespasie, son épouse. C’est une délicieuse bouffonnerie qui amusera tout le monde, mais surtout ceux qui, dans leurs promenades de touristes, ont eu l’occasion et la bonne fortune de rencontrer quelque badaud de Paris faisant un voyage d’agrément ».[↩]
- Comme dans les Voyages en zigzag de Töpffer, la satire du tourisme passe aussi par la mise en évidence de la « marchandisation » de la Suisse, à laquelle est consacrée la planche 18 des Des-agréments d’un voyage d’agrément. Chaque case y présente une nouvelle « industrie » propre au pays – le tir de canon, le chant « la la hou hou » de « deux petits Suisses », la lutte de « deux Tyroliens », le verre de lait, etc. – imposée aux voyageurs et pour laquelle est demandée une rétribution. En juin 1852, une double page du Journal pour rire est consacrée à un autre voyage en Suisse dessiné par Doré, avec l’histoire déjà citée d’Une Ascension au Mont-Blanc, comme quoi l’on peut trouver le bonheur sous la neige, identifié comme un « fragment de l’album d’un jeune boursier, M. B*** » qui, à la suite d’une perte financière, envisage son suicide dans les hauts glaciers. Arrivé en Suisse, le personnage constate amèrement que les produits locaux et typiques du pays visité sont remplacés par des importations françaises : le costume d’un postillon de Longjumeau fait office d’habit bernois, l’absinthe à Lausanne vient de Paris, le fromage qu’on lui propose à Gruyère est du brie et un chalet montagnard se révèle être un cabinet de lecture où l’on peut feuilleter Le Journal pour rire (à la une duquel figure le feuilleton de Doré et Bourget, L’Homme aux cent mille écus, paru en 1850). Une même critique se retrouve dans le feuilleton La Suisse en 1840, déceptions et mésaventures d’un voyage de plaisir (Le Papillon, 1889-1890). Avant les légendes écrites a posteriori, la satire émane des dessins du peintre Jean DuBois : « Au cours des voyages qu’il effectue pour dessiner les sites les plus célèbres de la Suisse, il observe l’exploitation de la gent touristique par les indigènes, les hôteliers, porteurs, guides et voituriers. Il constate que la renommée de certains lieux est surfaite, que le charme des Bernoises en costume national laisse souvent à désirer. C’est pourquoi, tout en préparant dans ses petits albums des tableautins idylliques, il s’amuse à dévoiler l’envers de ces décors romantiques. […] Les pochades qu’il jette sur ces feuilles de récupération sont d’une verve et d’une cruauté que l’on n’imaginerait pas sous la plume du délicat miniaturiste », P. Chaix, « Trois générations de caricaturistes amateurs genevois du 18e au 19e siècle », Revue du Vieux Genève, n° 20, 1990, p. 37.[↩]
- Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du dix-neuvième siècle publiée par Léon Curmer, édition présentée et annotée par Pierre Bouttier, Paris : Omnibus, 2004, vol. II, p. 336.[↩]
- J.-D. Urbain, L’idiot du voyage : histoires de touristes, Paris : éd. Payot & Rivages, 2002, p. 16.[↩]
- À ses débuts, la locomotive empruntée pour les voyages d’agrément était constituée de trois types de voitures, réparties en trois classes : les wagons de la 3ème classe, la moins confortable, étaient de simples caisses à ciel ouvert, montées sur quatre roues, avec ou sans bancs. Couverts et munis de banquettes et de rideaux, les wagons des classes supérieures n’étaient pas chauffés. Contre l’inconfort des voitures de 3ème classe, une véritable campagne de presse fut engagée par des journalistes, qui conduisit à l’arrêté du 29 février 1844, prescrivant de couvrir les voitures et de les fermer au moins avec des rideaux ; à partir de 1850 les vitres renforcent leur isolation ; S. Vergeade, « Un aspect du voyage en chemin de fer : le voyage d’agrément sur le réseau de l’Ouest des années 1830 aux années 1880 », Histoire, économie et société, n°1, 1990, pp. 113-134.[↩]
- P. Hamon, Imageries, 2007, p. 368.[↩]
- « Les premières “cases” de la première planche publiée de la première bande dessinée (sic), La Famille Fenouillard, déjà évoquée, représentent des vues de trains (cases où l’on voit depuis le train, le train, dans le train) », ibidem, p. 372.[↩]
- B. Peeters, Case, planche, récit, 1998, p. 90.[↩]
- T. Groensteen, Système de la bande dessinée, 1999, p. 176.[↩]
- « When Mr. Boniface is on a boring coach voyage, for example, we are forced to follow the endless landscape across the horizontal page » : « Quand M. Boniface fait son ennuyeux voyage en diligence, par exemple, nous sommes obligés de regarder en suivant le paysage sans fin qui occupe horizontalement la page », P. Mainardi, « The Invention of Comics », Nineteenth-Century Art Worldwide, [en ligne], http://www.19thc-artworldwide.org/index.php/spring07/145-the-invention-of-comics (consulté le 15.05.2016).[↩]
- Baric copie le procédé dans une case où « La vapeur chasse le train, le train chasse tout derrière lui », elle montre deux maisons et une rangée d’arbres dotés de jambes, La partie de chasse de M. Choublanc, Le Journal amusant, 04.09.1875. [↩]
- P. Hamon, Imageries, 2007, pp. 369-370 et p. 384 pour les citations de Victor Hugo et de Théophile Gautier. Parmi ces « nouveaux actes du regard » que suscite l’imaginaire du chemin de fer, figure en bonne place le strip déjà cité de Caran d’Ache, Une Vache qui regarde passer le train, rapproché lui aussi du film d’animation et qui suggère, par la plate répétition des images, tout à la fois l’ennui et l’écoulement du temps. Dix ans après sa publication, Henri Avelot change le point de vue et propose un dessin intitulé Le Train qui regarde passer la vache, « dédié respectueusement à l’auteur de : La Vache qui regarde passer le train » (Le Rire, 26.01.1901) : de multiples traits de mouvements entourent le ruminant furtivement aperçu.[↩]
- L’album des Impressions de voyage de Mr Boniface fait suite au premier séjour de Cham à Londres, en 1842. Il séjourne chez son beau-frère et y côtoie la haute société de la capitale anglaise, dont il conserve une amitié avec des personnalités littéraires comme Dickens. Grâce à Philipon, il devient également l’ami des éditeurs et imprimeurs Vizetelly qui le mettent en rapport avec le monde artistique de Londres. Il y dessine pour la presse anglaise (rappelons qu’il crée, en 1850, le journal Punch à Paris, sur le modèle du Punch londonien). Inachevée, une bande dessinée de Cham apparaît ainsi dans les pages du journal The Man In The Moon, sous le titre The Foreign Gentleman in London ; or, The English Adventures of M. Vanille ; voir D. Kunzle, The History of the Comic Strip, vol. I, 1973, p. 308. Félix Ribeyre évoque, également, sa collaboration pour un « album comique » que les frères Vizetelly avaient en préparation, ainsi qu’une parodie, dans Pictorial Times, de Péri, un ballet-comique de Théophile Gautier et Corally, représenté à l’Opéra de Paris en 1843 et monté à Londres l’année suivante, au moment où Cham se trouvait dans cette ville ; F. Ribeyre, Cham, sa vie et son œuvre, 1883, pp. 172-190.[↩]
- Signalons une série de caricatures parodiant l’Album d’un voyageur en Suisse, dessinée par Majos et publiée dans L’Éclair en 1853. Plusieurs effets se rapportent à l’album de Gustave Doré, Des-agréments d’un voyage d’agrément, dont un carré entièrement noir, représentant l’aspect que prend le paysage observé pendant toute une soirée sans lampe.[↩]
- D. Sangsue, « Le Récit de voyage humoristique (XVIIe – XIXe siècles) », Revue d’histoire littéraire de France, 2001, p. 1146.[↩]
- « Ce genre de beauté agréable dans une peinture » ; cité par S. Pickord, Le Récit de Voyage Excentrique de Laurence Sterne à Gustave Doré, 2006, p. 511.[↩]
- Ibidem, pp. 530-544.[↩]
- Alfred Darjou représente lui aussi, dans l’album Voyage comique et pittoresque en Bretagne (1859), un site où les habitations sont chancelantes, dessiné sur une planche où les cases (l’autre représente la diligence empruntant un pont suspendu, comme dans Mr Boniface) sont exceptionnellement étirées sur toute la hauteur de la feuille : « Cependant vous arrivez à Auray en passant par Vannes, toujours à la recherche du pittoresque », pl. 7.[↩]
- L. Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, 1998, p. 476.[↩]
- « […] est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient », L. Dällenbach, Le Récit spéculaire, Paris : Éditions du Seuil, 1977, p. 18.[↩]
- P. Hamon, Imageries, 2007, p. 388.[↩]
- M. Letourneux, Le Roman d’aventures : 1870-1930, Limoges : Presses Universitaires de Limoges, 2010, p. 21.[↩]
- D. Sangsue, « Le Récit de voyage humoristique (XVIIe – XIXe siècles) », Revue d’histoire littéraire de France, 2001, p. 1142.[↩]
- Ibidem, p. 1159.[↩]
- Voir S. Pickford, Le Récit de Voyage Excentrique de Laurence Sterne à Gustave Doré, 2006, chapitre 3 « Le texte comme voyage, la lecture comme déplacement : l’espace du récit », pp. 121-151.[↩]
- « Il y a en effet derrière le parti pris anti-spéculatif du voyageur töpfferien une conception du temps, de l’espace, de la dépense qui n’est pas en phase avec les impératifs du monde industriel et capitaliste qui se met en place à cette époque », D. Sangsue, « Le Récit de voyage humoristique (XVIIe – XIXe siècles) », Revue d’histoire littéraire de France, 2001, p. 1159. Philippe Hamon note combien l’imaginaire théorique et esthétique généré par le train peut se charger de connotations idéologiques et politiques, chez Jules Verne par exemple, concernant le « nivellement », Imageries, 2007, p. 385. La « platitude » prend une charge négative également sous les plumes de Stendhal, Flaubert, Céard, Maupassant, Villiers ou Sainte-Beuve, ceux qui, comme Töpffer, ne prisent pas beaucoup les nouvelles inventions du siècle, ibidem, p. 383.[↩]
- La version romanesque des Voyages et aventures du Docteur Festus propose d’ailleurs une autre parodie, celle du langage et du raisonnement savants.[↩]
- T. Smolderen, Naissances de la bande dessinée, 2009.[↩]
- Ibidem, p. 53.[↩]
- Ibidem, p. 52 : « Cet épisode de Mr Cryptogame cache une allusion ironique au plus célèbre passage du Système de la Nature (1770), du Baron d’Holbach. À travers l’image du tourbillon (dont la moindre molécule obéit à des lois rationnelles), l’encyclopédiste affirmait la capacité de la science à expliquer jusqu’aux éléments les plus chaotiques de la Nature – y compris les turbulences sociales. Töpffer ridiculise les enchaînements rigides de causes à effets sur lesquels se fonde cette conception matérialiste et déterministe. Ici encore, le langage de l’action progressive se révèle le plus apte à représenter la “pensée du Progrès” dans toute son absurdité ».[↩]
- L. Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, 1998, p. 466. L’album de Cham peut se résumer ainsi : le fiacre emprunté à Paris perd une roue, M. Clopinet prend alors un cabriolet que les caprices du cheval retardent, il rate de ce fait la diligence après laquelle il court, cette dernière se renverse dans un fossé et l’oblige à gagner le village le plus proche où il est hébergé dans une ferme. Le conducteur ayant confondu sa valise avec celle d’un officier de dragon, il revêt un uniforme lorsqu’il veut changer ses habits mouillés par la pluie, ce qui lui offre l’occasion de rencontrer les autorités de l’endroit après avoir levé les soupçons d’un brigadier de la maréchaussée. Résolu à poursuivre son voyage, il emprunte une malle-poste qui est attaquée par des voleurs, mais qui « continue sa route, les voleurs n’ayant pu emporter que le sac de nuit de Mr Clopinet », avant de tomber dans la rivière. Le voyageur se rabat alors sur un bateau qui partait pour le Havre mais dont la cheminée se brise au passage d’un pont, voulant sauter dans les embarcations comme les autres passagers, il disparaît dans la rivière. Arrivé au Havre en faisant la planche et « dégoûté des voyages, des voitures et des bateaux à vapeur, il prend le chemin de fer pour revenir à Paris ». C’était sans compter le détachement de la locomotive et la collision avec un second convoi qui le forcent à revenir au moyen de transport le plus sûr : ses pieds.[↩]
- M. Letourneux, « Rire dans le genre et rire du genre, pratiques sérielles et humour dans le roman d’aventures », communication au colloque Le Rire moderne tenu à l’Université Paris X – Nanterre, 15-17 octobre 2009, publiée dans Le Rire moderne, sous la direction d’Alain Vaillant et Roselyne de Villeneuve, Nanterre : Presses Universitaires de Paris Ouest, 2013.[↩]
- Idem.[↩]
- Parodie du voyage hygiéniste ou médical qui trouve un équivalent dans La Caricature du 8 août 1886, sous le crayon de Trock (Gabriel Liquier) – la planche est rééditée en 1892 par l’Imagerie Pellerin, dans la Série aux Armes d’Épinal, n° 92. Sur le conseil du docteur Mistigris, M. Lecourt et M. Lelong partent faire une Double Cure aux Pyrénées. Ils sont attaqués par un ours et le premier, aggripé à un arbre, voit son corps s’étendre sous le poids de son compagnon, accroché à ses jambes pour tenter d’échapper à l’animal qui lui mange les siennes : de retour à Paris, le médecin confirme l’efficacité de la cure, l’un étant plus grand et l’autre plus petit.[↩]
- K. Herding, « Le Citadin à la campagne. Daumier critique du comportement bourgeois face à la nature », Nouvelles de l’estampe, n° 46/47, 1979, p. 31.[↩]
- Version comique, là encore, de l’imagerie de la nature et de la proche banlieue diffusée en peinture ou en littérature, avec l’École de Barbizon, suivie par l’école impressionniste et les naturalistes notamment. Monet, Cézanne, Caillebotte, Van Gogh ou encore Renoir s’attardent aux représentations des Parisiens en « partie de campagne ». En littérature, nombreux sont les passages consacrés à ces sorties, qu’il s’agisse, entre autres, des bords de Marne évoqués par Zola dans le Bonheur des Dames, de ceux de la Seine décrits dans La Partie de campagne de Maupassant ou des promenades en forêt de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale de Flaubert.[↩]
- Le rapport sauvage / civilisé s’inverse puisqu’en débarquant en Amérique, les Français apportent avec eux corruption, alcoolisme, esclavage et autres « bienfaits de la civilisation ». En 1847, Cham raille encore l’idée du progrès occidental avec La Civilisation à la Porte (cat. n° 39). Le Grand-turc, voulant « régénérer l’Orient » et « éclairer son peuple », convoque les « particuliers célèbrent en Europe », pretexte pour le caricaturiste de passer en revue, comme dans Mr Jobard, les nouveautés vantées par les réclames (le chocolat Perron, le « sirop infaillible de Boudée », la cigarette Raspail) et les personnalités en vue comme l’illusionniste Robert-Houdin, le fameux dentiste William Rogers, l’inventeur de l’embaumement Jean-Nicolas Gannal ou encore A. Dumas qui offre « d’exécuter sans balancier, l’histoire de Mahomet en 8000 volumes, à raison de 10,000 pages par jour, et de livrer la marchandise pour 10,000 f. la toise » (pl. 21).[↩]
- Avec le tandem chinois Ka-Li-Ko, haut mandarin qui sombre dans les plaisirs frivoles, et Pa-Tchou-Li, son secrétaire qui représente le modèle sérieux, récompensé au terme du voyage à la place du fantasque Ka-Li-Ko, Eugène Le Mouël emprunte les deux pentes, dans l’album publié chez Garnier : Voyage du Haut Mandarin Ka-Li-Ko et de son fidèle secrétaire Pa-Tchou-Li (1885, cat. n° 69). [↩]
- Le roman connaît une première version avec la nouvelle Chapatin, le tueur de lion, que Daudet publie dans Le Figaro en juin 1863. Paraît ensuite le feuilleton Barbarin de Tarascon, d’abord dans Le Petit Moniteur (décembre 1869) puis dans Le Figaro (mars 1870), épisodes constituant la première partie de ce qui devient Tartarin de Tarascon. [↩]
- D. Bernasconi, « Scipion l’Africain, M. Bibloteau et Tartarin : vision comique d’un mythe », Gazette des Beaux-Arts, n° 79, 1972, p. 181.[↩]
- Cirille Jules Basile Gérard, dit Jules Gérard (1817-1864), est célèbre au milieu du XIXe siècle pour avoir tué plusieurs fauves, lors de la campagne en Afrique d’Abd-el-Kader où il est engagé en tant que brigadier de saphis.[↩]
- A.-S. Dufief, « Daudet, un impressionniste littéraire », Rythmes, histoires, littérature, culture, sous la direction de M. Blaise et A. Vaillant, Montpellier : Presses Universitaires de la Méditerrannée, 2000, pp. 135-149, [en ligne], http://books.openedition.org/pulm/154?lang=fr#text (consulté le 15.05.2016).[↩]
- J. Adhémar, La France romantique, 1997, p. 52.[↩]
- À noter que l’Imagerie Pellerin publie avec l’autorisation d’Hetzel des planches inspirées des romans de Jules Verne : Aventures du Capitaine Hatteras (Série aux Armes d’Épinal, n° 71 puis 111), Cinq semaines en ballon (même série, n° 72 puis 112), Kéraban-le-têtu (sans nom de série, n° 643) ; voir P. Gondolo Della Riva et P. Burgaud, « Des Images d’Épinal à la bande dessinée », Revue Jules Verne, n° 8, 1999, p. 17.[↩]
- M. Letourneux, Le Récit d’aventures : 1870-1930, 2010, p. 149.[↩]
- Dans la lune (F. Lacaille, Imagerie artistique, s11-n17) ou Un mauvais rêve (F. Claudel, Imagerie artistique, s19-n12).[↩]
- Il y fait la rencontre d’une « Chimpanzéenne » qui se porte d’affection pour lui, l’invite chez elle et l’accompagne pendant l’expédition. Après différentes mésaventures, parmi lesquelles une légion de coléoptères tant désirés se ruent sur le savant qui se désespère de n’avoir pas même une seule épingle, un terrifiant gorille suspend par une jambe le malheureux, « plus mort que vif », du haut d’un baobab et desserre son étreinte… Le savant se réveille dans son lit.[↩]
- Philippe Kaenel signale cette note inscrite par Töpffer dans un exemplaire de 1833 des Voyages et aventures du Docteur Festus : « Second volume du Dr Festus. Donnée inverse. Il s’achemine, et s’étant endormi quelque part, il fait un rêve qui lui paraît positivement une veille. C’est ce rêve qui constituerait le second voyage […]. Par quelqu’artifice, il se retrouverait vers la fin sur son mulet, la veille se lierait au rêve, et il rentrerait chez lui persuadé d’avoir exécuté son grand voyage d’instruction », P. Kaenel, « Töpffer, le Docteur Festus et l’illustration marginale », dans Voyages et aventures du Docteur Festus, Cologny-Genève : Fondation Martin Bodmer, 1996, p. 14.[↩]
- La parodie du récit de voyage se double chez Christophe, comme dans Voyages et aventures du Docteur Festus, du pastiche de la langue savante ; voir plus loin, C.2. Moyen Âge et discours savant.[↩]
- M. Letourneux, « Rire dans le genre et rire du genre, pratiques sérielles et humour dans le roman d’aventures », communication au colloque Le Rire moderne tenu à l’Université Paris X – Nanterre, 15-17 octobre 2009, publiée dans Le Rire moderne / sous la direction d’Alain Vaillant et Roselyne de Villeneuve, Nanterre : Presses Universitaires de Paris Ouest, 2013.[↩]
- J.-M. Hoerner, « La Famille Fenouillard : une œuvre prémonitoire ? », Hérodote, n° 127, 2007, pp. 190-198.[↩]
- Entrepris par un « gros rentier du Marais », le Voyage extraordinaire et abracadabrant de la famille Grosmatou (ou les Tribulations d’un voyage de Paris au Havre) fait penser par bien des points aux aventures de la Famille Fenouillard. Publié en feuilleton dans L’Image, en 1867, il fut peut-être une source d’inspiration pour Christophe.[↩]
- Cham, La Ballomanie, ou infortunes de M. Potard, L’Illustration, 11.12.1847.[↩]
- J. Grand-Carteret et L. Delteil, La Conquête de l’air vue par l’image (1495-1909) : ascensions célèbres, inventions et projets, portraits, pièces satiriques, caricatures, chansons et musiques, curiosités diverses, cinq fascicules réunis en un volume publié à Paris par la Librairie des Annales, en 1909. On y retrouve des caricatures de Cham, de Gustave Doré, parues dans Le Charivari ou Le Journal pour rire, sur les ascensions de l’aéronaute équestre M. Poitevin notamment – qui vient sauver le touriste de la chute des ruines, dans le Voyage en Allemagne cité plus haut –, et de Caran d’Ache, comme Le Ballon-Cigare dirigeable publié dans Le Journal en 1901. Par rapport à la série de dessins, l’histoire en images permet de suivre la germination de l’idée expérimentale, sa mise en œuvre puis son échec ou son issue inattendue par le biais de réactions en chaîne. Le comique tient également au caractère de l’inventeur – comme dans la parodie de l’homme de science par Christophe, avec L’Idée fixe du Savant Cosinus qui imagine moult manières pour sortir de Paris et voyager sur la trace de ses cousins les Fenouillard – et au revirement de son enthousiasme premier.[↩]
- Il est consultable en ligne : http://collections.citebd.org/cham/cahier/index.php[↩]
- Dans l’Histoire de Mr Jobard, le personnage cède à l’appel d’une affiche qui annonce une ascension en ballon d’un certain Mr Nubis, « nouvellement arrivé de Londres » et connu pour avoir « brûlé sa calotte, pour s’être trop approché du soleil » (pl. 29). Sur le Champ de Mars, Nubis ne parvient pas à s’élever, causant la déception de Mr Jobard et des autres spectateurs ayant payé vingt francs pour assister au spectacle (pl. 30).[↩]
- T. Groensteen, Parodies : la bande dessinée au second degré, Paris : Skira Flammarion ; Angoulême : Musée de la bande dessinée, 2010, p. 22. Résumé de l’histoire par Jean-Daniel Candaux : « Ce sont les folles aventures d’un âne qui s’envole en ballon, prend pied dans la planète Mars, entre en apprentissage chez un industriel qui refuse d’en faire son gendre, s’engage dans une troupe de volontaires, est fait prisonnier, s’évade grâce à la fille du geôlier, se déguise en moine, se fait musicien, obtient la faveur du roi, devient roi à son tour, fait la guerre, ruine ses États, échappe aux révolutionnaires et finit par revenir sur la Terre, chevauchant un boulet de canon ! », Töpfferiana, 1996, p. 76. Notons que Liquier fait référence aux recherches de Nadar en matière de vol aérien, au moment où l’âne devient l’élève du savant Jacobus : « Il s’occupait de la question des ballons, à un point de vue nouveau. Laissant à Mr Nadar le problème du “plus lourd que l’air”, il cherchait le “plus léger que le vide” », pl. 4.[↩]
- Écrit vers 1650, il est publié en 1657 avec comme sous-titre Histoire comique des Estats et Empires de la Lune.[↩]
- Surnommé le Baron de Crac, pour ses affabulations, Karl Friedrich Hieronymus (1720-1797) baron de Munchhausen, inspire Cham pour une histoire en images dans laquelle M. le Baron de Crac vit de « hauts faits », fortuits mais toujours à son avantage, qui le mènent notamment à chasser des renards bleus au Kamtschatka (Russie) et des lions en Arabie Pétrée pour rivaliser avec « M. Alex. Dumas », qu’il voit dans ses rêves « mangeant des biftecks d’ours à Martigny ». Finalement, « M. le baron de Crac, devenu vieux, voit un jour ses plus brillants exploits dessinés et racontés par l’Illustration. Il ne peut lui-même y croire et s’écrie : “Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable” », Aventures anciennes et nouvelles d’un chasseur connu, L’Illustration, 1845. Cette histoire est republiée (comme d’autres feuilletons de L’Illustration) en 1866, dans Le Nouvel illustré et cette version (le nom du journal sur lequel l’aventurier lit finalement ses exploits a changé) fait l’objet d’une édition (en un petit fascicule broché oblong) par la Fédération Départementale des Chasseurs de Maine-et-Loire en 1985. À noter que le récit des aventures du baron de Munchhausen, recueilli en 1785 par l’écrivain Rudolf Erich Raspe (Baron Munchhausen’s Narrative of his Marvellous Travels and Campaigns in Russia), est adapté en allemand par Gottfried August Bürger, version traduite en français par Théophile Gautier fils et illustrée par Gustave Doré, en 1862, sous le titre Aventures du baron de Munchhausen (éd. Charles Furne).[↩]
Cher Antoine,
le PDF est défectueux….
tu sauras certainement trouver une solution.
Bien cordialement
nelly