La bande dessinée au siècle de Rodolphe Töpffer (13)

. (Suite de la publication de la thèse de Camille Filliot. > Présentation et table des matières ici.)

[Partie II – Les langages de la bande dessinée au XIXe siècle]

C. Histoire et science

 

1. Les récits de l’Antiquité

Se libérant d’un traitement exclusivement politique, l’Histoire se constitue progressivement en science au long du XIXe siècle, en parallèle au développement des sciences sociales et de disciplines comme l’archéologie, la philologie ou l’histoire des religions. Plusieurs instituts spécialisés voient le jour, l’École des Chartes (1821), l’École d’Athènes (1846), l’École Pratique des Hautes Études (1868), l’École de Rome (1874) ou encore l’Institut Archéologique du Caire (1882). L’intérêt est particulièrement porté sur l’Antiquité, que la définition classique désigne comme la période couvrant les premières civilisations historiques jusqu’à l’Empire romain d’Occident. Sous l’impulsion de l’Académie des Beaux-Arts, la peinture d’histoire et l’art dit « pompier » puisent dans la culture classique les sujets de nombreuses toiles. Toute une imagerie de l’Antiquité circule au XIXe siècle, diffusée par les architectes, les archéologues, les spécialistes du costume et les peintres académiques. Aussi la connaissance du panthéon gréco-romain est-elle nécessaire à la compréhension des œuvres d’art qui s’en inspirent. L’enseignement des divinités et des héros antiques intègre la formation artistique en même temps que les études mythologiques se constituent en discipline à prétention scientifique, dans le contexte du développement des sciences sociales.  

Cette matière et ces images sérieuses sont de parfaites cibles pour la caricature et la séquence graphique qui font passer l’Histoire dans le domaine ludique. Dans le Musée Philipon, Cham propose sa version irrévérencieuse de certains mythes antiques en un feuilleton ponctué d’images, intitulé La Mythologie comique (9ème, 13ème et 27ème livraisons) et laissé inachevé. La même année 1842, les éditions Aubert publient son album parodiant le célèbre récit de Fénelon, onzième titre de la Collection Jabot. Prenant pour modèle un texte littéraire, qu’elle réduit en fonction du support alloué, la parodie en bande dessinée semble interroger cette question de la cohésion narrative abordée par Jérémy Benoît à propos des Misérables de Baric. Lorsqu’il s’attelle à l’adaptation des dix-huit livres de l’épopée de Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699), Cham se livre à d’inévitables coupes. Le roman didactique, écrit à l’intention du petit-fils de Louis XIV dont Fénelon était le précepteur, raconte le voyage effectué par Télémaque de l’île de Calypso, où il échoue avec Minerve (sous les apparences de Mentor) qui l’accompagne et fait figure de guide moral, jusqu’à la ville d’Ithaque où il retrouve enfin son père. La bande dessinée reprend le titre Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse et annonce la filiation par la mention « Fénélon (sic) & Cham » comme auteurs (cat. n° 31). Sur les dix-huit livres du roman, cet album inaugurant la parodie (au sens strict) en bande dessinée en élude dix dans leur intégralité ; les autres étant naturellement raccourcis. Les passages non parodiés par Cham concernent principalement les récits enchâssés (comme les livres II à V où Télémaque raconte les précédentes étapes de son voyage à Calypso) et les faits de guerre qui retardent les deux héros sur l’île de Salente (livres X à XIII et XV à XVIII). Ces ellipses n’ont donc pas grande incidence sur le récit-cadre dont Cham s’ingénie à suivre scrupuleusement les grandes étapes. Pourtant, David Kunzle voit l’album comme « un mélange confus d’épisodes manquant de continuité » (1) quand Thierry Groensteen écrit être « navré » du « caractère décousu du récit » (2). Les Aventures de Télémaque nous paraissent, au contraire, témoigner d’un effort de continuité auquel le dessinateur ne s’astreint pas toujours. D’abord, le schéma narratif élaboré par Fénelon est respecté, même si le motif des péripéties est simplifié par nécessité et pour servir le comique de la parodie. C’est « vexée de se voir le jouet d’un vieux moutard comme Mentor » (pl. 12), et non par vengeance envers le mépris que Télémaque manifeste à l’égard du culte rendu à Vénus, que la déesse sollicite l’aide de Jupiter ; c’est « vexé de la joie qu’exprime Télémaque en voyant l’incendie de son bateau » (pl. 20), et non à la vue des sentiments envers la nymphe Eucharis qu’éprouve encore le jeune homme, que Mentor le jette à la mer pour l’éloigner de l’île de Calypso ; c’est la berlue donnée par Jupiter (pl. 26), et non un « dieu malfaisant, environné d’une foule de Mensonges ailés » (3) envoyé par Neptune, qui déroute le pilote Achamas, etc. Par la suite, lorsqu’il réalise une ellipse conséquente, Cham prend soin de maintenir la fluidité de sa propre version du récit par une habile suture. Entre la seconde case de la planche 36 et la seconde de la planche 37 sont passés sous silence pas moins de trois livres (livres XV, XVII et XVIII), pourtant la cohérence est parfaitement maintenue. Ces livres traitent notamment de la bataille dans laquelle le roi des Dauniens est tué par Télémaque, du choix du successeur de ce roi et de l’aveu de Télémaque à Mentor de son amour pour Antiope, fille d’Idoménée, laquelle tente de le retenir sur l’île. Pour maintenir le fil de l’histoire, Cham revient à l’objectif premier du héros qui est de se rendre à Ithaque, il le mentionne au retour sur le camp, après la visite de l’Au-delà : « Télémaque redescend sur terre chercher Mentor et retourner à Ithaque » (pl. 36, fig. 52). La case suivante évoque à elle seule les actes guerriers des livres éludés et maintient le lien par la reprise de Mentor : « Mentor se trouvait dans une fausse position, il s’était chargé des clauses de la paix et se trouvait être cause que les Salentins et les Dauniens se battaient comme des nègres » (pl. 37). Le départ de l’île de Salente – qui n’intervient, dans le récit source, que soixante-dix pages après le retour des Enfers de Télémaque – s’enchaîne ensuite de manière fort logique : « Aussi fut-il enchanté de retrouver Télémaque et de pouvoir filer à Ithaque » (pl. 37). En trois cases, Cham fait faire un bond à l’histoire qui progresse tout en conservant sa propre unité comique. Il y a d’autres exemples, comme celui des planches 26 à 28 où l’effet des raccourcis est pallié par la reprise des noms propres : arrivée « dans le port des Salentins », présentation du « Roi des Salentins [qui] était en guerre contre le roi des Manduriens », paix rétablie par Mentor « qui a la rage de fourrer son nez partout [et qui] se rend dans le camp des Manduriens » puis départ de Télémaque « qui avait toujours eu une haute idée des vertus de son père [et] quitte le Roi des Salentins pour aller voir si son papa n’est pas aux Enfers ». Notre lecture de la parodie en regard de l’œuvre source nous laisse perplexe face aux commentaires de Kunzle et de Groensteen, d’autant que ce dernier attribue le manque de cohérence non seulement à l’inexpérience des dessinateurs (il cite également Les Travaux d’Hercule de Gustave Doré, que nous verrons ensuite) mais à la pratique parodique en elle-même :

En effet, il est de l’essence de la parodie de contracter l’hypotexte pour n’en retenir que les éléments les plus saillants, ceux qui « font image », et de sacrifier tout ce qui assurait le nappé, la continuité de la narration. Libérée des contraintes de la cohérence comme de la bienséance, l’imagination du parodiste ne retient que ce qui lui paraît le plus excitant. Tendanciellement, le récit devient plus elliptique et quelque peu hystérique : le gain recherché sur le plan comique se paie alors d’une perte d’efficacité narrative, voire d’un vice structurel. (4)

 Il nous semble donc que Cham prend justement soin, dans les Aventures de Télémaque, de pallier l’effet déstructurant de la parodie. Jacques Dürrenmatt démontre d’ailleurs combien le caricaturiste, dans la parodie des Misérables où il a certes vingt ans d’expérience en plus, s’applique à préserver la cohésion de son feuilleton (5). Des Aventures de Télémaque, nous aimerions encore signaler que Cham procède à la parodie par la reprise littérale de phrases composées par Fénelon. Le début des légendes et des dialogues est effectivement une citation exacte de l’hypotexte, le détournement ayant lieu par la transposition dans un contexte comique et par le décalage produit avec le registre familier, voire vulgaire, de la fin des phrases : « Télémaque voyant qu’on lui avait destiné une tunique d’une laine fine dont la blancheur effaçait celle de la neige, prit plaisir à aller se faire voir sur la grand place de l’Ile » (pl. 6, en italiques la partie citée). Dans certains cas, Cham se contente de reprendre le texte original, qui subit quelques légères variations ou des remontages, et c’est alors l’image seule qui se charge du détournement parodique par une figure en parfait décalage. La planche 2 (« Elle se promenait souvent seule sur les gazons fleuris, elle éprouvait le besoin de visiter les lieux que cultivait jadis son Ulysse »), montre une Calypso grotesquement attristée, agenouillée devant un chien dont elle tient les petites pattes avant ; planche 15 (« Cependant Télémaque voyant cet enfant qui se jouait avec les Nymphes fut surpris de sa douceur et de sa très grande beauté »), l’image donne à voir un petit être à culotte haute, au visage enlaidi ; planche 16 (« Cupidon n’osait approcher de Mentor, dont la sévérité l’épouvantait, il sentait que cet inconnu était invulnérable »), voit Mentor donner un sévère coup de pied à l’enfant. Là encore, il ne nous semble pas que « l’image se cantonne, vis-à-vis du texte, dans une position strictement illustrative » (6). De même, dans une autre case où Mentor force la paix entre les Dauniens et les Manduriens (pl. 27), l’image ajoute à la légende en parodiant la branche d’olivier que la déesse déguisée brandit en signe de paix, dans le roman, et qui n’est pas mentionnée par le texte de Cham.

L’album Les Travaux d’Hercule, réalisé par Gustave Doré en 1847 et qui constitue le dernier titre de la Collection des Jabots, semble en revanche assez curieux dans sa composition. Sur les douze travaux infligés à Héraclès par son cousin Eurysthée (son frère dans la version graphique), le dessinateur en parodie véritablement dix qui ne profitent pas tous du même traitement. Il s’étend sur les épisodes de l’Hydre de Lerne (douze planches), de la Biche de Cérynie (neuf planches) et sur celui du Lion de Némée (cinq planches) tandis que les séquences de la ceinture d’Hippolyté et de la descente aux Enfers sont traitées en deux cases. Des allusions aux passages de certains travaux se perdent dans l’album : à la planche 31, il est fait mention de Diomède (travail des juments carnivores) et de Busiris (travail du Jardin des Hespérides) – « Sur ces entrefaites, Hercule, amène à la gendarmerie Diomède et Busiris, deux fameux filous contre lesquels les recherches de la police avaient été jusqu’alors infructueuses » – ; à la planche 37, une case évoque les Pygmées que le héros rencontre dans la séquence du Jardin des Hespérides, travail parodié planche 35. Il y a confusion, également, dans le traitement du travail du troupeau de Géryon et l’album ne respecte pas toujours l’ordre de déroulement généralement admis des différentes tâches confiées à Hercule (il existe toutefois des variantes dans la chronologie des travaux). David Kunzle a bien souligné le fait et postule une hypothèse qui nous paraît fondée. Il avance la possibilité que Gustave Doré, dont il rappelle la prodigieuse faculté à retenir les textes littéraires, ait réalisé l’album de mémoire, improvisant au fur et à mesure, ce qui viendrait expliquer l’oubli de travaux, le léger désordre et l’ajout, en fin d’album, des derniers épisodes de la vie d’Hercule qui ne font pas partie des douze travaux (7). Gustave Doré – à qui ses professeurs demandaient de réaliser les portraits des personnages célèbres de l’Histoire romaine pour montrer aux élèves à quoi ils ressemblaient, comme le note David Kunzle – semble bien ici avoir retenu du mythe antique les passages se pliant le mieux à son élan parodique. Pourtant, Michel Thiébaut note que « l’étonnement tient surtout à la maîtrise avec laquelle il organise la parodie, structurant ces Travaux en séquences de durées inégales » (8), après avoir souligné à juste titre la formidable connaissance dont Gustave Doré fait preuve, à l’âge de quinze ans, des exploits d’Hercule. Il est vrai que le jeune dessinateur témoigne de solides acquis en mythologie, dont il devait recevoir l’enseignement.

Dans sa thèse sur la figuration de l’Antiquité par la bande dessinée, comme dans l’article cité, Michel Thiébaut démontre combien Gustave Doré, Albert Robida (9) et plus généralement l’iconographie parodique du XIXe siècle ont influencé les dessinateurs du siècle suivant :

De cet héritage va se nourrir la bande dessinée. Au-delà de rapprochements ponctuels, nombreux sont les dessinateurs qui ont été imprégnés de ces images. Lorsqu’on les interroge, ils ne sont pas toujours en mesure d’énumérer de façon précise toutes les lectures qui ont pu les influencer, mais ils rappellent souvent que ce sont des « impressions » d’enfant qui expliquent leur vision de l’Antiquité. Le thème du lion saisi par la queue est ancien : Doré puis Robida l’ont illustré. La bande dessinée s’en est ensuite emparée, de sorte que dans notre esprit toutes ces images se brouillent sans qu’on sache, au bout du compte, qui, le premier, a imaginé pareille mise en scène. Ces dessins burlesques du XIXe siècle sont une des composantes de cet imaginaire. (10)   

C’est en Daumier précisément – il publie une série lithographique, Histoire ancienne, dans Le Charivari en 1842 – que Ségolène Le Men voit « l’initiateur d’un nouveau genre fondé sur la dérision de la culture classique » dont l’esprit se prolonge, après l’Autre monde de Grandville (1844) et l’album de Doré, dans l’opérette d’Offenbach, La Belle Hélène et dans le théâtre d’Alfred Jarry, avec Ubu roi (11). Les mythes antiques constituent un réservoir de récits qui sont autant de sources d’inspiration pour les auteurs et les dessinateurs, même les plus novices (12). Gustave Doré s’y est intéressé dès l’âge de huit ans, en composant une histoire agrémentée d’images, inspirée de Dante et intitulée Voyage aux enfers (elle est conservée par la famille (13)). Aussi précocement, il crée également de petits albums dont il fait le texte et le dessin : La Mythologie ou les Aventures de Jupiter (1841), Histoire de Calypso (14).  La mythologie, ce « dictionnaire d’hiéroglyphes vivants, hiéroglyphes connus de tout le monde » selon Baudelaire (15), est bien une matière fictionnelle engageant la parodie – Gabriel Liquier projetait de s’y livrer, comme l’indique le titre d’un album « à paraître prochainement », Les Aventures de Télémaque à Monnetier (16). En collaboration, Baric et Albert Humbert signent quant à eux un album publié en 1863 par Arnauld de Vresse, retraçant La Prise de Troie (fig. 92, cat. n° 63). La réécriture du conflit grec, simplifié à l’extrême, passe pour l’essentiel par le travestissement burlesque (transposition du sujet noble dans le registre vulgaire) et n’est qu’un prétexte au déploiement d’un arsenal comique peu original, puisant dans l’Histoire de la Sainte Russie de Doré l’exubérance des images de combats (empalements et découpages en morceaux).

 

Fig. 92 – Baric et Humbert, La Prise de Troie, Arnauld de Vresse, 1863, pl. 1
Fig. 92 – Baric et Humbert, La Prise de Troie, Arnauld de Vresse, 1863, pl. 1. Source : Coll. privée.

 

 2. Moyen Âge et discours savant

Sur une double page du journal Le Monde comique, Albert Humbert, seul cette fois, réitère la parodie qui prend pour sujet Une légende du Moyen-Age (n° 9, 1869). Le ton y est sans surprise burlesque, jouant du décalage entre la référence convoquée, qui appelle un pastiche de vieux français, l’absurdité de l’histoire (17) et le traitement grotesque des figures. Dans Le Journal pour rire, en 1851, Gustave Doré profite également du Voyage en Allemagne pour y insérer le récit caricatural d’une Légende naïve des bords du Rhin. Durant la visite de l’antique Stolsenfels, elle est racontée par le portier de la résidence seigneuriale du prince de Prusse, « à qui veut l’entendre et payer ». Sur fond d’un amour impossible, elle convoque un merveilleux qui tourne évidemment au loufoque – la fée Grillette transforme le « beau Solérol » en hanneton, lequel recouvre forme humaine sur une parole providentielle du père de la « belle Euryane » qui accepte la noce. Il s’agit, pour le caricaturiste, tout autant de tourner en dérision le folklore de pacotille vendu aux touristes que de relayer sur le mode ironique une certaine passion médiévale. Dans le cadre d’un ressourcement, d’une quête des origines et des racines nationales, se développe effectivement en France, dans la première moitié du XIXe siècle, un considérable intérêt pour cette période de l’Histoire ; il déborde la littérature et l’art pour toucher toutes sortes d’aspects de la vie quotidienne, au point que naît une « mode » du Moyen Âge, concernant le vêtement, la coiffure, l’ameublement, l’habitat, etc. (18) Si ces séquences paraissent anecdotiques, elles sont à inscrire dans la lignée des réactions qui apparaissent, par le biais de la satire et de la parodie, face à l’imposant processus de réinvestissement du Moyen Âge. Étonnamment, elles ne raillent pourtant pas, comme le font des auteurs romantiques comme Théophile Gautier, les poncifs et les excès auxquels mène cette passion. Elles prennent simplement place à côté « des productions hybrides, qui se situent entre la moquerie et la célébration » (19), tels les Cent Contes drolatiques de Balzac (trois dizains  publiés en 1832, 1833 et 1837), réédités en 1855 avec quatre-cent-vingt-cinq gravures de Gustave Doré.

Au tournant du XXe siècle, Christophe s’empare lui aussi du thème médiéval en l’orientant plus spécifiquement vers la parodie de l’enseignement scolaire. D’abord, le pédagogue paraît prendre beaucoup de plaisir et de liberté à réécrire l’histoire, située « aux temps lointains des croisades » (Le Petit Français illustré, 02.12.1899), du Haut et puissant seigneur, baron de Cramoisy. En treize épisodes, le feuilleton inachevé tisse une trame narrative très lâche, qui prend appui sur les coups de sang de l’irascible et truculent baron. Selon l’idée qui voit le Moyen Âge comme une époque où règne la barbarie, le feuilleton verse dans le grand-guignol : « C’est précisément cette violence des images, cette allégresse dans le coup de pied au cul, ce sang qui gicle à toutes les pages, qui durent provoquer les protestations des parents et des éducateurs » (20). Les légendes sont dans le même registre rabelaisien et s’écrivent en un vieux français parfois incompréhensible :

Or fust moult marri et esbahi le noble baron de Cramoisy pour ce qu’il avait de son estoc, tranché le chief du coursier de son voisin, le haut et puissant Seigneur de Fortepoigne qui venait lui rendre visite, alors qu’il avait cru n’adresser cette marque de colère qu’à l’un des manants de sa suite (PFI, 13.10.1900).

Le dessinateur suit en cela les conseils de ses lecteurs : « Je prends bonne note de votre observation relative au style des légendes cramoisiennes, écrivait-il au jeune Roger Pourcin qui avait conservé précieusement sa correspondance avec Christophe, et les prochaines seront en imitation de vieux français » (21). Par ailleurs, cette parodie moyenâgeuse apparaît comme un simulacre de leçon d’histoire. À la suite des lois sur la scolarisation, dans les années 1880, un programme d’histoire est mis au point, qui doit notamment raviver le sentiment patriotique, nous l’avons vu à propos de l’imagerie populaire. Il prend appui sur des manuels scolaires où l’image sert d’auxiliaire à l’apprentissage, selon une tradition qui remonte aux siècles précédents (22). Dans la première planche du feuilleton, Christophe professe un discours qui prend appui sur les images, guidant, selon le modèle de l’enseignement visuel, le regard de l’élève-lecteur-spectateur, sur le mode du refrain :

Ce dont fut fort courroucé le baron de Cramoisy, sa suite, dont on perçoit les têtes, restant d’ailleurs parfaitement indifférente à l’évènement.
[…] celui-ci répondit à cette attaque imprévue par une protestation énergique, la suite, dont on aperçoit les jambes, continuant à manifester son indifférence.
La suite, convaincue que son maître ne pourra jamais sortir de là, s’est dispersée dans la campagne. C’est ce qui explique qu’on ne voit plus ni ses têtes ni ses jambes.

Une rhétorique de la démonstration s’y déploie, à l’aide de déictiques, de chevilles argumentatives – beaucoup de « or » introduisent les légendes –, de parenthèses explicatives  – « (Nota. Le « pétrin », dans le cas présent, c’était l’eau boueuse de la mare aux hérons ») – et de méta-discours – « C’était manière de s’exprimer aux temps lointains des croisades ». La narration s’interrompt pour énoncer des hypothèses anachroniques sur le mode de la liste numérique (fig. 93 : « Ce que le baron de Cramoisy aurait vu de la Tour du Nord si les lunettes avaient été inventées : 1° la douleur persistante de sa suite. 2° L’effet produit par le premier son de la cloche d’alarme. 3° L’effet produit par le deuxième son de la même cloche également d’alarme »).

 

Fig. 93 – Christophe, Le baron de Cramoisy, Le Petit Français illustré, 3 mars 1900
Fig. 93 – Christophe, Le baron de Cramoisy (IV) – Où la suite ne veut rien savoir, Le Petit Français illustré, n° 14, 03.03.1900. Source : Gallica.bnf.fr

 

L’oralité, dont on a vu qu’elle est caractéristique de la littérature de jeunesse, prend ici valeur de discours professoral adressé aux élèves – « Vous allez voir qu’il y avait vraiment de quoi », « Vous ne comprenez pas, mais ça ne fait rien » – et qui fait retour sur lui-même – « si j’ose m’exprimer ainsi ». Pour appuyer une pseudo-authenticité du récit, Christophe brandit une source censée faire autorité et attester de la vérité historique : « La vieille chronique dont j’emprunte cette histoire, affirme que le malheureux mit 62 ans à mourir… », « […] ce fut bien heureux pour l’auteur de cette relation très véridique ». Ce jeu de sous-entendus en appelle donc au sens critique des jeunes lecteurs qui doivent déceler l’ironie d’un discours adoptant les traits de l’érudition, à propos d’une matière entrée dans les programmes scolaires – l’Histoire fait l’objet d’un traitement ludique, mais non équivoque, dans Le Petit Français illustré, dont les pages proposent un feuilleton situé dans la Rome antique, Le Triomphe de Bibulus (1892), des pages de Mythologie amusante (1900) ou encore les Jeux et divertissements du Moyen Âge (16.06.1900). C’est une manière pour Christophe de mettre en œuvre, de façon plaisante, le jugement de l’enfant, selon un principe éducatif auquel il tient particulièrement, comme le rappelle l’avant-propos qu’il écrit au cours élémentaire de son Enseignement scientifique à l’école : « Il faut se conduire tout le temps comme si l’on soupçonnait le livre de vous dire des choses fausses » (23). Les lecteurs fidèles du Petit Français illustré sont toutefois rompus à ce type de lecture puisque le dessinateur n’a eu de cesse, dans ses précédents feuilletons, de détourner le discours savant – comme l’a fait avant lui Rodolphe Töpffer, également professeur, dans Voyages et aventures du Docteur Festus, version romanesque (24). Qu’il s’agisse de La Famille Fenouillard, du Sapeur Camember, du Savant Cosinus ou, dans une moindre mesure, des Malices de Plick et Plock, les légendes empruntent une tournure volontiers pédante qui en fait la saveur et l’originalité. En homme de science, Christophe use et abuse de mots savants ou d’un registre élevé au regard du lectorat enfantin, comme, pêle-mêle, « verruqueux », « euphonique », « discobole », « anémométrique », « cynophilie » ou encore, plus classiquement, « bipèdes » et « quadrupède » pour désigner oiseaux et chien – termes que l’on retrouve tant dans les injures du capitaine Haddock que dans les élucubrations cuistres d’Achille Talon. Les faits les plus triviaux auxquels il soumet ses personnages sont décrits à l’aide de paraphrases doctes et relevant des sciences exactes ; en route pour Paris, la famille Fenouillard s’écroule par un mouvement du train : « En vertu de la vitesse acquise, les Fenouillard, transformés en projectiles, sont précipités sur leurs voisins d’en face avec une force égale à leur masse multipliée par le carré de leur vitesse ! Ainsi l’exigent les lois de la balistique » (pl. 5). Les personnages apparaissent tels des cobayes, soumis à des expériences que le narrateur se charge de transposer en langage scientifique (le procédé est mis en abyme par la présence du docteur Guy Mauve, lequel utilise la famille Fenouillard comme objet d’étude pour la réalisation de son Mémoire sur les animaux dits hibernants). Ainsi Cosinus et son chien Sphéroïde, voyageant dans les airs par un « mode ingénieux de suspension » (qui consiste en 20 000 ballons de baudruche), forment-ils un « système » (pl. 44-46). La réification du savant s’affirme dans ses désignations successives, « Cosinus-bolide » (pl. 48), « Cosinus-pélican » (pl. 35). En un mouvement syncrétique, toutes les périodes de l’Histoire, avec une préférence marquée pour l’Antiquité, sont en outre convoquées lors de comparaisons décalées :

Tel Jules César se couvrant de sa toge lorsqu’il tomba sous le poignard des assassins (La Famille Fenouillard, pl. 34).

Tel Ugolin songeant à dévorer ses fils (1288) (Savant Cosinus, pl. 43).

Tel le duc de Brunswick lançant son fameux manifeste (1792) (Savant Cosinus, pl. 38).

Le pastiche du discours érudit, détaillant les faits avec une précision didactique, se complète de références à l’image – « Cette figure est destinée à montrer […] » (Savant Cosinus, pl. 46) –, parfois réduite au statut d’illustration technique, comme dans La Famille Fenouillard et Le Savant Cosinus où Christophe livre des images en coupe transversale (fig. 94).

 

Fig. 94 – Christophe, cases extraites du Savant Cosinus et de la Famille Fenouillard, Le Petit Français illustré, 1899 et 1891
Fig. 94 – Christophe, Vie et mésaventures du Savant Cosinus – Où l’auteur mène tout de front, Le Petit Français illustré, n° 554, 07.10.1899 et La famille Fenouillard chez les Sioux, Le Petit Français illustré, n° 123, 04.07.1891 Source : Coll. Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine de Toulouse. (25)

 

Le narrateur apparaît ainsi comme un érudit dispensant un savoir d’ordre à la fois rhétorique, scientifique, historique, voire même philosophique. Ces compétences se trouvent néanmoins disqualifiées par la banalité et la médiocrité des objets auxquels elles s’appliquent. C’est de là que surgit la satire de la prétention à la scientificité. Le monde savant, dans lequel baigne le dessinateur, est épinglé par le pastiche mis au regard des images, mais aussi par les scènes remémorant celles du Docteur Festus de Töpffer (pl. 48-53), où des astronomes s’abîment en conjectures afin d’identifier comme une « météore à queue » (pl. 8) la famille Fenouillard harponnée par l’ancre d’un ballon, et comme un « gigasélénanthropocynoïde », habitant de la lune non encore décrit par les auteurs (pl. 42), Cosinus et Sphéroïde suspendus aux vingt-mille ballons. De quelque formation qu’il soit, le savant hérite presque toujours, dans la bande dessinée, d’une représentation stéréotypée où se révèlent son incompétence et/ou sa distraction – voir la scène déjà citée des Travaux d’Hercule ou encore la case du Savant Cosinus (« Et le bureau météorologique ayant fait appel à toute sa sagacité, n’y comprend rien, selon l’usage », pl. 47), jusqu’au  célèbre professeur Tournesol (26). Satire osée de la part de Christophe qui livre ainsi le portrait des intellectuels qu’il fréquentait en Sorbonne (27) et fait preuve d’un savoureux talent d’autodérision. Comment ne pas songer, en effet, à sa fonction de sous-directeur du laboratoire de Botanique dans la séquence où Cosinus herborise dans le jardin de la Cour des Comptes (pl. 22-23) ? Aussi retrouve-t-on des jeux typiquement normaliens – tel le principe d’Archimède dont le savant « a l’honneur de porter le nom » (pl. 33) – et des facéties prenant appui sur les concepts scientifiques qui se mettent en place. Pierre Baruch, professeur de physique interviewé dans le documentaire Christophe et Mr Colomb, rapproche la planche où le sapeur Camember prend « quatre jours pour n’avoir pas creusé le deuxième trou assez grand pour pouvoir y mettre sa terre avec celle du premier trou » (pl. 22) du processus de conduction électrique, dite « conduction par trous », dans certains types de semi-conducteur : « le sapeur Camember a inventé les conducteurs dits de type B dans lesquels le courant est transporté par des trous » (28). L’album est ainsi plein d’évocations par l’absurde de problèmes et de théories logiques, mathématiques, physiques, dignes des démonstrations de la contemporaine Pataphysique, « la science des solutions imaginaires » telle que définie par Alfred Jarry. Que penser, donc, de cette parodie, de cette caricature non pas du monde mais du langage savant ? François Cornilliat, dans un article déjà cité, en donne une brillante analyse fondée sur les rapports entre le texte et l’image. Par le pastiche, Christophe ne fait pas que cibler le discours savant, il trouve par là le moyen de rendre un poids, un supplément d’âme, au verbe directement concurrencé sur son terrain par la capacité narrative interne aux images. La distance établie avec les dessins, dans l’inadéquation d’une langue trop littérale, est comme un mode de résistance de l’écrit qui gagne une autorité en se dévoilant impropre – et c’est là toute la différence entre le pédantisme du narrateur et celle d’un Fenouillard ou d’un Cosinus. L’énonciation emphatique des légendes se fait parade au risque de la redondance qui les menace puisqu’elles deviennent, par leur enflure même, une source de jouissance en énonçant les lois qui mettent, dans les images, les corps en mouvement : « le discours propose ici l’amplification d’une réduction », c’est-à-dire qu’il ramène la représentation vivante à une mécanique, simultanément surchargée par sa traduction scientifique. Lorsqu’il se déplace du terrain de la narration à celui du commentaire, le texte retrouve une forme de privilège, amenuisant son ironie par l’affirmation de sa fonction de méta-discours. Cela advient lorsque la légende assujettit l’image à l’usage de figure scientifique :

Dès lors qu’il est établi, par un faux-semblant structural, que [l’image] a « besoin » de lui, le texte peut avouer sans crainte qu’il n’a rien à dire. Loin de proposer une motivation, il affiche l’arbitraire du traitement auquel il soumet l’image, et pousse le plus loin possible sa « périphrase », jusqu’au pur bonheur de la tautologie revendiquée. L’image ne peut se passer du texte, qui en profite pour laisser affleurer son propre néant, distingué par une sorte de grâce d’état de celui où barbotent les personnages. La « figure » est ainsi coupée de la progression narrative, afin d’assurer une prise supplémentaire au texte qui entrevoit et met en abyme, presque sous chaque image, le risque d’être exclu de ladite progression. (29)

Au compte de cette complexe étude, la frontière entre parodie du pédantisme et pédantisme tout court apparaît très mince – Christophe en appelle à la science physique pour justifier ses pointes – et, surtout, cette lutte du verbe pour la suprématie révèle combien elle est rendue chancelante par le sens né de l’enchaînement des images :

L’auteur de Camember a bien compris que les images racontent par elles-mêmes, par le rapport entre le cadrage de la représentation et le découpage du représenté : double choix des mouvements et des cases. […] Lucide, il n’a pas d’autre choix que l’ironie : ses personnages, véritables allégories d’une punition perpétuelle du Logos, montrent ce qui arrive à ceux qui prétendent, par de bonnes paroles ou des explications appropriées, décrire un monde continu, en oubliant la discontinuité du cadre où s’exerce ce que Michel Foucault appellerait leur « volonté de vérité » (30).

C’est donc par le biais du pastiche, et de tout ce qu’il implique par rapport à l’image, qu’est révélée la puissance sémantique non pas de la « figure » seule mais de la « case » enrôlée dans la succession narrative, dans la mise en bandes. Cela nous paraît d’autant plus vrai que la comparaison des versions presse et album laisse apparaître une nette accentuation de la parodie – ajout de références historiques et mythologiques, de mots savants, de la scène parodiant les astronomes mais aussi de renvois à l’image du type « la figure ci-dessus » – qui intervient, significativement, de manière concomitante au ménagement d’une fluidité dans le déroulement des différentes séquences du journal, pour aboutir à l’unité narrative de l’album.

Au milieu du XIXe siècle, avec Histoire dramatique, pittoresque et caricaturale de la Sainte Russie, Gustave Doré amène déjà le récit graphique à investir le discours savant, attaché cette fois non pas aux sciences dures mais à l’historiographie et à l’ethnographie. L’actualité l’y incite puisque l’album est publié en 1854, alors que se déroule la guerre de Crimée (1853-1856) à laquelle prennent part la France et l’Angleterre pour défendre l’Empire Ottoman contre les attaques de la Russie. L’objectif est donc la satire de l’ennemi par le biais de la parodie, celle de la chronique historique, genre qui s’ancre comme matière scientifique en répondant aux exigences de l’érudition. Nicholas Karamsin, cité comme source sur le premier plat de l’album (cat. n° 46), est l’auteur d’une Histoire de l’Empire de Russie (traduite et publiée à Paris en 1819), dans la préface de laquelle il s’attache à différencier son travail, par la rigueur qui le caractérise, de celui des historiens de l’Antiquité où l’invention avait sa place (31). Gustave Doré ironise sur cet impératif d’exactitude, entre autres lorsqu’il évoque l’historien « appuyé sur des documents sérieux et authentiques » (pl. 7) ou se représente graphiquement en « narrateur exact » partagé entre l’impartialité et la décence (pl. 12). Au modèle de la mise en récit de l’histoire s’adjoint sa mise en images avec comme horizons contraires l’illustration sérieuse des livres historiques et la caricature. Cette dernière s’empare au même moment du sujet russe, Daumier et Cham proposant, dans la rubrique Actualités du Charivari, des séries lithographiques sur la guerre de Crimée – Chargeons les Russes et Les Cosaques pour rire, publiées en albums par la suite. Ce n’est donc plus seulement un tour de langue que parodie Doré mais un concept, une méthode de vulgarisation ou d’exposition d’un savoir, soumis à l’irrévérence caricaturale. Comme chez Christophe, le rapport texte / image intervient dans cette démarche, le dessinateur exploitant les multiples possibilités du medium qui s’offrent à son inventivité. L’association du verbe et de la figure observe ainsi différentes modalités, soit que l’image se plie au texte, qu’elle s’impose au contraire à lui ou que les deux modes d’expression se mêlent, se concilient.

Le premier cas reprend en la parodiant la fonction traditionnelle de l’image, la plus courante dans le livre d’histoire ou scientifique, où elle apporte un appui au texte, vient en donner un éclairage, une interprétation graphique facilitant la compréhension. Dans une position ancillaire, elle dépend entièrement de l’écrit qu’elle accompagne et confirme – à plusieurs reprises, la légende convoque l’image comme un témoin, « comme on voit » (pl. 32), « comme nous le voyons » (pl. 54). Doré ne fait pas autre chose que soumettre l’image à la signification du verbe lorsqu’il pratique à l’envie le procédé du pied de la lettre. Au regard d’un écrit équivoque, la figure se fait traduction d’un sens choisi en se bornant, selon un mimétisme myope, à retenir ce que la phrase suggère de plus concret. En dépit de toute cohérence, elle passe outre les tropes et opte pour le sens littéral jusqu’à nier sa propre logique visuelle. Ce sont les cases noires figurant « les ténèbres de l’antiquité » (pl. 1) et « les sombres cachots » (pl. 20) ou les cases abstraites, impossibles, comme le gribouillage de la seconde case où l’histoire « commence à se dessiner » et les averses de livres visualisant des « torrents de savoir inutile » (pl. 6). Nous avons déjà parlé de la concrétisation graphique dont la bande dessinée raffole au XIXe siècle, ici, le procédé tend à renverser comiquement le rapport texte / image tel qu’il se rencontre dans le livre d’histoire où la figure est censée vulgariser, accroître la signification d’un texte, voire de le charger d’un sens nouveau (32). Il y a bien en effet un sens né de la rencontre, mais il tend à rendre totalement absurdes et la phrase, et l’image, et la narration. En interprétant bêtement la légende, la syllepse de sens provoque un phénomène de double lecture à l’opposé de l’univocité et de la clarté de l’exposé historique, dénonçant du même coup la suprématie dans l’ordre du savoir généralement accordée aux mots écrits. L’inanité du langage scientifique est en outre formulée par « le pastiche de style universitaire à la mode du temps, à base d’interminables énumérations, de citations incompréhensibles, de gloses à n’en plus finir » (33). Lorsqu’elle se fait pseudo-savante, l’écriture amène l’image à n’être que pure illustration, ainsi du dessin de deux pingouins surmontant un détail linguistique (34) – « On lit cependant chez quelques autres pingouine pour marsouine. (§ IIC, eccl. t. 816 : et apud Gall. : int. : et contra : § IIXIIV etenim vero : ? sed in. imp. : de tit. 181) » (pl. 6) –, que l’exécution naïve ridiculise davantage, ou des gros plans des « kasskarrkass », « tranchtrombium », « kaskroupion », « désinvertébroir », « désopileratelle » (pl. 43) et autres instruments de tortures russes. Par le pastiche graphique – dessin raide et d’esprit enfantin – Gustave Doré confine également l’image au rang de document authentique, comme avec les « (fac-similé[s]) » soi-disant tirés de la collection des estampes populaires de Russie (pl. 58). C’est le pastiche littéraire qui l’emporte toutefois, le dessinateur exerçant sa verve dans de longs passages écrits où les images se raréfient – planches 83-87, où Doré réécrit notamment « F. Rabelais. Histoire de la Russie et du très redouté et très horrifique Nicolas, fils de Grandgousier, liv. I, ch. XXXIII », et planches 45-46 où les longues tirades des maîtres Trikonoff et Schlagowitz sont justifiées par une note. Cette « nota » devance l’accusation de mensonge que le lecteur serait enclin à professer à la lecture de ces « deux pages de législation sèche et noueuse » : ironie envers l’illisibilité de l’harangue mais aussi manière de suggérer que l’image, malgré la domination de l’écrit, reste la véritable détentrice de la vérité telle qu’envisagée par le satiriste.

Revanche est en effet prise par le dessin, de diverses façons. Révélant l’euphémisme et la duplicité continuels de la légende, l’image d’abord présente seule la lugubre réalité historique, celle conforme au projet pamphlétaire. Filant la métaphore festive, l’historien évoque des « plaisanteries », des « fêtes splendides » suivies « d’une petite guerre d’une réussite et d’une animation sans pareilles », l’amusement se prolongeant case suivante tandis que se succèdent les images de tortures, de mêlées guerrières et d’un champ de bataille jonché de corps (pl. 51). Le jeu sur le sens propre et le sens figuré est constamment mis en œuvre, non plus seulement pour son aspect aberrant, mais pour la propagande anti-russe. L’image du czar encerclé de morceaux de corps, une tête piquée au bout de son sabre dévoile le sens de ce texte :

Aussi, voyant avec quelle netteté le nouvel Ivan tranche ces questions, ses timides courtisans s’empressent de lui déclarer qu’il est un prince d’une grande taille (pl. 48).

Ici, comme souvent ailleurs, l’italique signale, visuellement, le retournement sémantique. La double lecture penche sans ambiguïté du côté de l’image qui fait naître une triple violence : linguistique (par disqualification, altération du sens des mots), visuelle (images crûes répondant à une « mécanique des homicides » (35)) et idéologique (stratégie de l’humour noir et pince-sans-rire au service du racisme). En jouant sur le statut de l’image, Gustave Doré accentue de manière terrible cette violence esthétique. À deux reprises, le dessin est sorti de sa valeur admise d’icône (36), d’autant plus artificielle qu’elle est caricaturale, par imitation de la trace sensible. Brusquement, la planche entière donne à voir une imposante tache légendée (« 1542-1580. – Suite du règne d’Ivan-le-Terrible. Devant tant de crimes, clignons de l’œil pour n’en rien voir que l’aspect général », pl. 49), dont la dimension choquante est appuyée par sa couleur rouge sang (présente selon les éditions), surgissant au milieu de gravures en noir et blanc. Dénaturée, l’image est donnée pour un signe indiciel, l’expression directe de la barbarie russe, l’impression étant renforcée par son application manuelle et donc son statut d’image parfaitement unique, renouvelée à chacun des exemplaires. La violence de cette mise en présence est accentuée, s’il le fallait encore, par un encadrement – c’est l’unique image encadrée, hormis les cases blanches du début de l’album  – et par la forme descriptive du texte qui détachent l’image et la muent en document-témoin, en preuve selon la fonction que lui attribue généralement le livre savant. Gustave Doré se joue des frontières entre dessin de caricature et image authentique, entre présence et représentation, en même temps que des aspects de la temporalité, historique – giclure sur le vif – et narrative – raccourci fulgurant par allusion. Planche suivante, il rétablit l’image dans son rôle initial, « cela redevient plus montrable », et dit bien, comme pour apaiser, la manipulation des images par l’exposé de multiples graphies – ombres noires, style gothique, croquis rapide. Marquée au chiffon, une nouvelle tache rouge apparaît cependant à la planche 53, où elle couvre presque entièrement une carte géographique – le (faux) signe indiciel efface le signe symbole, typique du récit historique – au-dessus de cette légende : « Les puissants et honorables successeurs d’Ivan mettent toute leur gloire à récurer le sol de la Russie ». Un fluide encore, celui de l’encrier du chroniqueur Nestor, bouscule le code du livre d’histoire ou plus exactement du savoir historique. Celui-ci est donné pour lacunaire en raison du recouvrement du livre de l’historien russe par de l’encre :

Le pilier sur lequel repose sa cellule ayant été violemment heurté, l’encrier de Nestor se répand sur ses écrits, ce qui est cause de l’obscurité si grande de cette époque de l’histoire russe (pl. 24).   

La connaissance du passé ne tient ici qu’à l’écriture, envisagée dans sa dimension visuelle, puisque c’est bien le jeu de mot sur le terme « obscurité » qui motive l’image de la page tachée. Une autre manière de ramener le langage alambiqué à ses origines graphiques est trouvée par le dessinateur dans une pleine page où « un salmigondis quasi illisible décalqué avec violentes déformations d’un ouvrage classique » (37) est dissimulé sous un déversement d’encre d’où se détachent des lettres d’imprimerie. Le code alphabétique est ramené à sa qualité de trace, de phénomène sensible par le biais d’une sorte de « régression esthétique » (38) où le fabriqué laisse place au sensible, la signification à la sensation, où le visible est récupéré dans ce qui n’est plus lisible. 

La troisième sorte de relation texte / image nous semble aller dans ce sens d’atténuation de leur différence, dans une forme de conciliation, d’entremêlement – annoncée dès le premier plat où le mot « RUSSIE » est figuré en lettres « vivantes ». Déjà, la « coupure sémiotique » (39), qui se creuse entre l’icône et le symbole par le fait que le signifiant linguistique s’éloigne du signifié, est pensée dans une séquence de l’album où s’illustre l’exemple typiquement pris dans l’évocation, par la sémiologie, de cette coupure : la carte n’est pas le territoire. Planche 81 (fig. 95), l’autocratie russe joue littéralement aux dés, jetés sur une carte de l’Europe. Le premier tombe sur la représentation de la Turquie, le second sur la Manche, « en s’appuyant sur l’Angleterre, d’une part, et sur la France, de l’autre ». Cases suivantes, la carte se révèle être le territoire puisqu’un « paisible laboureur de Turquie cherche à comprendre l’énigme qui vient de tomber dans son champ » tandis qu’un Anglais et un Français constatent de même la présence de l’« aérolithe ».

 

Fig.95 – Gustave Doré, Histoire de la Sainte Russie, 1854, détail p. 153
Fig.95 – Gustave Doré, Histoire de la Sainte Russie, éd. J. Bry aîné, 1854, détail p. 153. Source : Gallica.bnf.fr

 

D’autres excentricités rapprochent l’icône (l’image référentielle) et le symbole (les signes de la langue), qu’il s’agisse d’une phrase philosophique figurant le visage de Pierre Ier à la manière « calligrammatique » (clin d’œil à la représentation de la Dive Bouteille dans Le Cinquième livre de François Rabelais, pastiché plus haut, et ridiculisation là encore d’une science au « coté paradoxal », pl. 54) ou d’un point d’interrogation objet d’une case et réifié par une couronne de lauriers (pl. 95). Cette manière de faire participer la lettre de l’image se retrouve à l’occasion d’une utilisation de la rime visuelle, procédé déjà évoqué au sujet d’albums de voyage de Cham et de Christophe. À la planche 23, cinq images panoramiques se succèdent pour illustrer les discussions d’ordre diplomatique sur le choix du candidat à élire au trône. Caricaturant la tournure emphatique du discours pris par ces « logiqueurs », le texte se perd en vaines hypothèses et interrogations (interrompues par « etc., etc., etc., etc., etc. ») pendant que se déroule une guerre civile, visualisée par la succession de gravures identiques, représentant la mêlée – les deux dernières images de la planche proviennent du même bois. En haut de la page suivante, une dernière case où le texte se fait image, « Pââârbleu ! », et l’image se fait texte, trois « etc. » émergent de la représentation et mettent fin à ces gravures évoquant « un flux continu (comme le dessin d’une chute d’eau) » (40). Au diapason, texte et dessin signifient le côté insoluble et grotesque de la situation – il se déroulera « vingt ans de luttes » – comme ils disent, en écho, la monotonie du récit détaillé de l’histoire. D’autres cas se rencontrent, où verbe et figure se répètent pour signaler l’absence de changement et mettre du même coup la patience du lecteur à l’épreuve – les affrontements entre Charles XII et Pierre Ier le font bâiller (pl. 57).

Tous ces aspects que prend le dialogue du texte et de l’image dans cet album concourent finalement à la parodie du récit historique mais aussi et surtout à « rendre l’histoire russe aussi lugubre que possible, tout en la rendant aussi absurde que possible » (41). Le projet est d’envergure et l’aspect narratif de l’album pâtit quelque peu de cet excès d’excentricité (42) – mais n’est-ce pas le propre du récit excentrique que de mettre à mal la narration ?

C’est sur le terrain le plus surprenant, celui où elle est alors la moins attendue, le genre sérieux ou savant, que la bande dessinée réfléchit le plus à son propre langage, à ses propres éventualités. L’élargissement du pur comique à la rivalité avec ses concurrents et ses contre-modèles lui offre l’occasion de déborder de la marge et même de créer des marges de marges par la surenchère ironique (43). À signaler encore qu’elle se plaît, même anodine et simplement divertissante, à convoquer les genres cités comme vitrine et semblant de subversion, dans les séquences de presse. Rapidement, on retrouvera en condensé, à côté des fables (Raymond de la Nézière, Les Grenouilles et le pélican, fable sans moralité, Le Rire, 18.01.1896), des récits de voyages (Delaw, Les Voyages de Maître Aloès Cactus, Le Rire, 25.03.1899), des chefs-d’œuvre de la littérature romanesque (Delaw, Les Travailleurs de la mer, Le Rire, 10.11.1894, Jean Quidam, Chef-d’œuvre inconnu (renouvelé de Balzac), L’Éclipse, 29.04.1877) et excentrique (R. Saint-Jean, Voyage autour de la chambre, Le Journal amusant, 1872), des pièces de théâtre et de la poésie.

 

 

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> Table des matières

  1. « Cham’s Télémaque is a peculiar mishmash of episodes lacking in the continuity », D. Kunzle, The History of the Comic Strip, 1990, p. 86. []
  2. T. Groensteen, Parodies : la bande dessinée au second degré, 2010, p. 18. []
  3. Fénelon, Œuvres complètes, tome XX, Les Aventures de Télémaque, Paris : Gautier frères, 1830, p. 156. []
  4. T. Groensteen, Parodies : la bande dessinée au second degré, 2010, p. 19. []
  5. J. Dürrenmatt, « Les Misérables sont-ils solubles dans la bande dessinée ? ou le défi de Cham », Choses vues à travers Victor Hugo, 2008, développement intitulé « Une cohésion affirmée », pp. 422-425. []
  6. T. Groensteen dans Töpffer, l’invention de la bande dessinée, 1996, p. 123 puis dans Parodies : la bande dessinée au second degré, 2010, p. 18. []
  7. D. Kunzle, The History of the Comic Strip, 1990, p. 109. Plusieurs fautes d’orthographes se glissent dans l’album et appuient l’hypothèse de Kunzle – à noter d’ailleurs, que les [sic] ajoutés dans les légendes de la version numérisée de l’album, sur le site Coconino World, ne figurent donc pas dans la version d’origine (la mise en ligne est effectuée à partir d’une réédition allemande de 1922) : http://www.old-coconino.com/modules/dore/hercule/hercule_00.htm (consulté le 15.05.2016). []
  8. M. Thiébaut, « Les travaux d’Hercule », 9e Art, n° 3, 1998, p. 69. Ayant souligné le manque de cohérence de l’album de Doré, Thierry Groensteen évoque, un peu plus loin, cette remarque de Michel Thiébaut, Parodies : la bande dessinée au second degré, 2010, p. 21. []
  9. Sur les traces de Gustave Doré, Albert Robida illustre les Œuvres de Rabelais, en deux volumes édités en 1885-1886 ; ils sont réédités en 1930 par les éditions Taillandier. []
  10. M. Thiébaut, L’Antiquité vue par la bande dessinée d’expression française. Contribution à une pédagogie de l’Histoire Ancienne, thèse de doctorat d’État : Université de Besançon : 1997, p. 530. []
  11. S. Le Men, Daumier et la caricature, Paris : Citadelle & Mazenod, 2008, p. 145. []
  12. Parodique également, l’album genevois d’Adrien Duval, Histoire de Monos et Girin (cat. n° 12), convoque lui aussi la mythologie : parti à la recherche de son ami Monos, Girin (dont la silhouette fait penser à celle de M. Vieux Bois), traverse l’Italie, la Turquie, le Mexique, la Nouvelle-Hollande, jusqu’aux Enfers où il rencontre Cerbère, Charon, Socrate, Pluton, Satan, etc. []
  13. D’après Françoise Baudson, conservatrice du Musée de Brou de 1946 à 1981. Dans le catalogue de l’exposition temporaire de 1963, dont une partie était consacrée au séjour bressan de l’artiste, elle cite également Les Romains combattant, Vingt ans après et L’Odyssée ; voir 1843…Gustave Doré âgé de 11 ans arrivait à Bourg-en-Bresse, Bourg-en-Bresse : Musée de Brou, 1963, p. 78. []
  14. Une feuille de la Mythologie (chapitre 10, « Portrait de Jupiter ») est conservée au Musée de Brou. []
  15. « Mes contemporains : Théodore de Banville », Revue fantaisiste, 01.08.1861 ; cité dans les Œuvres complètes, présentées par Claude Pichois, tome II, Paris : Gallimard, 1976, p. 167. []
  16. Annonce inscrite au dos du premier plat de l’album Voyage d’un âne dans la planète Mars. Elle mentionne un autre album Du Pont des Bergues aux sources du Nil (histoire d’un Chapeau). Aucune trace n’a été trouvée de ces titres. []
  17. Par une lettre, « noble dame Athanagilde Courte-Cuisse » apprend à son époux « messir Maulubec Triquedondaine, haut baron de France » qu’un inconnu masqué lui ravit l’honneur, il y a dix-huit ans, et lui laissa un enfant. Égaré de douleur, le sire de Triquedondaine part à l’aventure, il s’égare véritablement dans une maison abandonnée où il découvre, dans un placard, « un beau jouvenceau à l’air noble et distingué ». Ce dernier se révèle être l’enfant en question dont le père n’est autre que le sire Triquedondaine, qui « avait tant ravi de choses, qu’il pouvait bien ne pas tout se rappeler ». []
  18. D. Sangsue, La relation parodique, 2007, p. 305. []
  19. Ibidem, p. 302. []
  20. F. Caradec, Christophe : Le Baron de Cramoisy, Histoires en images, Ombres, jeux et découpages, Paris : Pierre Horay éditeur, 1981, p. 6. []
  21. F. Caradec, Christophe, 1981, p. 194. []
  22. A. Renonciat, « De l’Orbis sensualium pictus (1658) aux premiers albums du Père Castor (1931) : formes et fonctions pédagogiques de l’image dans l’édition française pour la jeunesse », La Pédagogie par l’image en France et au Japon, 2009. []
  23. Cité par F. Caradec, Christophe, 1981, p. 121. Conseil reformulé dans un intertitre de l’album des Malices de Plick et Plock : « Comme quoi il est bon de ne pas ajouter une foi absolue à tout ce qui est imprimé dans les livres, à moins que les livres ne soient écrits par l’ingénieux auteur de celui-ci », pl. 24. []
  24. M. Jacques Droin conserve également une feuille sur laquelle Töpffer a ébauché la trame narrative d’une hypothétique bande dessinée intitulée Histoire du Docteur Observateur aux Glaciers de Chamouny. []
  25. Texte première image : « La figure ci-dessus est une figure toute théorique, destinée à montrer au lecteur l’aspect intérieur du fiacre et le désordre de son contenu, après son contact direct avec l’omnibus Hôtel-de-Ville-Porte Maillo ». Deuxième image : « Cette figure dans laquelle on a supposé l’arbre coupé en long a pour but : 1° de nous montrer le moyen employé par Artémise pour ne pas être enfumée ; 2° de nous apprendre que dans une cheminée la fumée monte de bas en haut à moins qu’elle ne redescende de haut en bas ; 3° de nous instruire en botanique, car elle nous prouve que quand les arbres sont creux, c’est ordinairement à l’intérieur ». []
  26. Selon un topos ayant émergé dès l’Antiquité, en particulier dans la représentation faite de Thalès par Socrate, dans le Théétète de Platon : Thalès, contemplant le ciel, tombe dans un puits, ce qui a pour effet de susciter l’hilarité d’une petite servante thrace ; C. Allamel-Raffin et J.-L. Gangloff, « Le savant dans la bande dessinée : un personnage contraint », Communication et  langages, n° 154, 2007, p. 126. []
  27. Il existe un certain nombre d’hypothèses concernant les personnes qui ont pu inspirer Cosinus, les mathématiciens Jacques Hadamard et Henri Poincaré notamment, voir F. Caradec, Christophe, 1981, pp. 131-134. []
  28. J.-B. Benoît et D. Garing, Christophe et Mr Colomb, Vie des Hauts Productions, 52 min, 2011. []
  29. F. Cornilliat, « Christophe : le texte, l’image et la chute des corps », Littérature, 1992, p. 61. []
  30. Ibidem, p. 64 ; citation de M. Foucault, L’ordre du discours, Paris : Gallimard, 1971, p. 22. []
  31. N. Karamsin, Histoire de l’Empire de Russie, traduite par MM. Sr. Thomas et Jauffret, tome premier, Paris : Imprimerie A. Belin, 1819 : « il ne nous est plus permis de nous livrer, dans l’histoire, aux impulsions de notre imagination : les nouveaux progrès de l’esprit humain nous ont donné une idée plus juste de son caractère et de son véritable but. Un goût judicieux lui a prescrit des règles immuables, et en séparant à jamais l’histoire, de la poésie et des fleurs de l’éloquence, il a borné les attributions de la première à n’être que le reflet exact du passé, et l’écho fidèle des paroles prononcées par les héros des siècles. […] Il en est de l’histoire civile, comme de l’histoire naturelle, qui rejette toute fiction : elle s’applique à peindre ce qui est ou ce qui a été, et non pas ce qui aurait pu être », p. XXX-XXXI. []
  32. M. Rebérioux, « L’illustration des Histoires de la Révolution française au XIXe siècle : esquisse d’une problématique », Usages de l’image au XIXe siècle, 1992, p. 22. []
  33. H. Morgan, « Les ruses de Gustave Doré », 9e Art, 1998, p. 84. []
  34. « Doré règle ses comptes avec le modèle historique à travers une question de détail. […] Le détail apparaît ainsi comme ce qui perd l’historien, à ce point abîmé dans des considérations pointilleuses et inutiles qu’il en perd le bon sens et surtout l’intérêt d’un lecteur qui a besoin de vues synthétiques et de divertissements. Dès lors l’œuvre de Doré jouera-t-elle à alterner grossissement jusqu’à l’absurde de détails incongrus et saisies d’ensemble quasi astronomiques souvent doublées de raccourcis saisissants », J. Dürrenmatt, « Pratiques du détail dans la bande dessinée historique », Écrire l’histoire, n° 4, 2009, p. 55. []
  35. Terme employé par Harry Morgan qui voit dans les différentes modalités de cette mécanique (découpage en morceaux, émiettement, hachis / mêlée, amoncellement, tas / avalement et expulsions / déformations corporelles) un riche matériel inconscient venant parasiter l’intention satirique, « Les ruses de Gustave Doré », 9e Art, 1998, p. 86. []
  36. Nous nous appuyons dans ce développement sur la sémiotique de Charles Sanders Pierce (1839-1914) qui distingue entre les signes indiciels (qui constituent les traces sensibles d’un phénomène), iconiques (qui entretiennent un lien de ressemblance avec leur référent) et symboliques (qui ont un rapport uniquement conventionnel avec le référent). []
  37. J. Dürrenmatt, « Pratiques du détail dans la bande dessinée historique », Écrire l’histoire, 2009, p. 56. Le livre en question est de Samuel von Pufendorf et al., Introduction à l’histoire moderne, générale et politique de l’univers, Paris : Mérigot, 1754, tome IV, p. 240. []
  38. D. Bougnoux, La Communication par la bande, 1998, pp. 53-57. []
  39. « Coupure sémiotique : le signe n’est pas la chose, et s’en écarte parfois totalement (dans le cas du code symbolique : le mot chien ne mord pas) », ibidem, p. 264 (glossaire). []
  40. H. Morgan, « Les ruses de Gustave Doré », 9e Art, 1998, p. 87. []
  41. D. Kunzle, « De la guerre de Crimée à la nouvelle Guerre froide », 9e Art, n° 3, 1998, p. 75. []
  42. Harry Morgan le souligne : « La case résume la bande dessinée, par synecdoque (la partie pour le tout). […] Mais précisément, chez Doré, cette valeur d’évocation est peu présente et le lecteur reste dans l’impression de voir une collection de gravures mises bout à bout. C’est le principal défaut de l’ouvrage ». Plus loin, il écrit que « Doré raisonne en illustrateur », nous pensons avoir montré qu’il n’en est rien ; H. Morgan, « Les ruses de Gustave Doré », 9e Art, 1998, p. 88. []
  43. T. Smolderen, Naissances de la bande dessinée, 2009, p. 63. []
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