Si son dernier récit à suivre, Le Baron de Cramoisy, publié entre 1899 et 1902 dans Le Petit Français illustré, est resté inachevé, Christophe n’en a pas pour autant complètement arrêté de dessiner des histoires en images. Cette même revue, dans laquelle il publia en épisodes les aventures de ses célèbres héros (la famille Fenouillard, le sapeur Camember et le savant Cosinus), accueille encore de façon ponctuelle, et jusqu’à sa fin en 1905, quelques bandes dessinées d’une page (1).
Passée jusqu’alors inaperçue, une autre série de Christophe parut dans la presse entre 1903 et 1905. Intitulée « Le Code expliqué », elle fut publiée à l’occasion de trois numéros spéciaux de L’Illustré national… à trois ans d’écart.
Fondé le 13 février 1898 par Jules Rueff, L’Illustré national est un hebdomadaire humoristique et familial paraissant le dimanche (2). Ses huit pages, dont la moitié en couleurs, proposent de nombreux dessins d’humour et histoires en images avec légendes sous l’image. Publié jusqu’au début des années 1920, la revue a vu défiler dans ses pages des dizaines de dessinateurs, à l’exemple de Willette, Benjamin Rabier, Emile Cohl, Louis Forton, Henri de Sta, Albert Guillaume, Raymond de la Nezière, Gus Bofa, Marcel Capy, Moriss, O’Galop, ou encore Poulbot .
La particularité de cette publication est d’être reprise à l’identique comme supplément illustré dominical de nombreux titres de presse régionale (La Dépêche, La Petite Gironde, Lyon Républicain, Le Petit Marseillais, le Petit provençal, etc.), lui permettant ainsi une très large diffusion.
Numéros de Noël du Populaire (Nantes), 1903, du Petit Comtois (Besançon), 1904 et de L’Impartial de l’Est (Nancy), 1905. Source : Gallica.bnf.fr
Sur Gallica, plusieurs de ces titres annexes sont en partie numérisés. Nous avons pu retrouver la série de Christophe dans des numéros spéciaux de ces suppléments, édités en fin d’année à l’occasion de Noël :
Le Populaire, Supplément illustré (Nantes), numéro de Noël, 1903 :
– « Le Code expliqué. Du mariage (Code civil, Liv.I, Tit. V) » (3)
– « Le Code expliqué. Du Paiement (Code civil) »
– « Le Code expliqué. Du Prêt (Code civil, Liv. III, Tit. X) »
Supplément illustré du Petit comtois, numéro de Noël, 1904 :
– « Le Code expliqué. Des contrats ou des Obligations conventionnelles, en général »
– « Le Code expliqué. Des contrats ou des Obligations conventionnelles, en général (Suite) »
Supplément comique et amusant de L’Impartial de l’Est, numéro de Noël, 1905 :
– « De l’obligation de donner »
– « Des conditions essentielles de validité des conventions »
« Le Code expliqué » n’est pas un récit à suivre comme La famille Fenouillard ou Le savant Cosinus. Chaque épisode peut se lire indépendamment des autres, comme les premiers gags du Sapeur Camember. Cependant, à lire toutes les livraisons parues entre 1903 et 1905, on s’aperçoit que l’ordre de publication choisi par L’Illustré national est plutôt chaotique. La livraison de 1904 forme une introduction à la série, dont la chronologie des cases, qui plus est, est inversée : la deuxième moitié de l’histoire est à replacer avant la première.
Cette première partie présente les deux personnages (4) : le jeune Sosthène, étudiant sans le sou, débarque chez son oncle Christophe pour lui demander de l’argent afin d’acheter un Code civil. Le docte parent se propose à la place de lui apprendre les rudiments du droit afin qu’il puisse passer l’examen du barreau.
Dans ce récit à la première personne, Christophe baptise, non sans ironie, l’oncle de son propre nom. Pourtant, avec sa calvitie et sans moustache, le personnage de papier ne lui ressemble guère (5).
Chaque partie suivante traite d’un article du Code civil en particulier que l’oncle explique à son neveu : le mariage, le paiement, le prêt, etc. Comme d’habitude chez Christophe (le dessinateur), le ressort comique de cette bande dessinée provient de décalages organisés à plusieurs niveaux (6) : le premier, que l’on retrouve dans toutes ses histoires et qui fit son style autant que son succès, consiste à créer une dissonance entre ce que dit le texte et ce que montre l’image, dans la continuité de la « littérature en estampes » de Rodolphe Töpffer (7). Le second, naît, en l’espèce, du décalage entre la théorie et la pratique, c’est-à-dire la mise à l’épreuve du texte de loi par l’interprétation farfelue qu’en donne l’oncle au travers des cas pratiques triviaux tirés de sa propre expérience.
On ne connait aujourd’hui que six chapitres à ce « Code expliqué », mais le principe de cette série aurait permis à Christophe de la développer plus amplement, et rien n’interdit de penser que d’autres de ses histoires restent encore à être exhumées.
Nous publions ci-dessous les épisodes du « Code expliqué », remonté en 15 pages de six cases (selon le modèle des albums de Christophe publiés par Armand Colin) et remis dans l’ordre comme expliqué plus haut (mais sans changer la numérotation des vignettes).
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Bonus : Dans L’Illustré national, Christophe donna également d’autres histoires en images et des dessins humoristiques légendés dont nous reproduisons quelques exemples ici :
Christophe, « Psychologie des foules », Mémorial d’Amiens, 24 novembre 1901. Source : Gallica.bnf.fr
Christophe, « Plaisirs de vacances », Mémorial d’Amiens, 7 juillet 1901. Source : Gallica.bnf.fr
Christophe, Sans titre, Mémorial d’Amiens, 21 juillet 1901. Source : Gallica.bnf.fr
Christophe, « Les exagérations de Marius, de Marseille. Un exploit de l’oncle Barbassoul », Mémorial d’Amiens, 27 avril 1902. Source : Gallica.bnf.fr
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- « La petite oie blanche sentimentale », Le Petit Français illustré, n° 222, 27 février 1904 ; « Une partie de jacquet », Le Petit Français illustré, n° 228, 9 avril 1904 ; « Du danger d’avoir au-dessus de soi des locataires facétieux », Le Petit Français illustré, n° 309, 28 octobre 1905. Dans un précédent article, nous avions également évoqué une planche tardive de Christophe parue dans la revue Qui lit rit en 1908, « L’obéissance passive, selon Marius (de Marseille) ».[↩]
- La publication est reprise par Tallandier en 1906 et sera publiée jusqu’au 2 août 1914. Patrice Caillot, « Remarques sur quelques illustrés d’avant 1914 », Le Collectionneur de bandes dessinées, n° 18, octobre 1979.[↩]
- Cette histoire sera republiée quelques années plus tard dans une autre publication de l’éditeur Jules Rueff, Qui lit rit, n° 30, 23 août 1908, sous le titre « Petit cours de Code civil sur le mariage ».[↩]
- « Le Code expliqué. Des contrats ou des Obligations conventionnelles, en général. », Supplément illustré du Petit comtois, numéro de Noël, 1904.[↩]
- L’oncle est accompagné d’un petit chien qui le suit partout, qui rappelle Sphéroïde, le fidèle compagnon du savant Cosinus.[↩]
- A ce sujet, voir notre article : Antoine Sausverd, « De Cornouillet à Fenouillard, la bande dessinée mise à l’épreuve », Le Magasin du XIXe siècle, « Et la BD fût », n° 6, 2016.[↩]
- Selon Töpffer, dans ses albums : « les dessins, sans le texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman d’autant plus original qu’il ne ressemble pas mieux à un roman qu’à autre chose. » Rodolphe Töpffer, Notice sur l’Histoire de M. Jabot, Bibliothèque universelle de Genève, n° 18, juin 1837.[↩]