« Aventures de Coquenano » par Randon

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Bien avant que l’industrie du jouet ne s’empare des plus célèbres héros de bande dessinée pour les décliner sous forme de figurines, poupées, peluches et autres fétiches, un fabricant français nommé Watilliaux proposa à la fin du XIXe siècle un concept original pour les enfants mêlant histoire en images et figurines de bois.

Ce jouet se présente sous la forme d’une boite portant l’inscription « Aventures de Coquenano (Isidore), cavalier au 38e régiment de chasseurs ». A l’intérieur : un jeune soldat et un cheval découpés sur bois recouvert de papier imprimé en couleur, accompagnés chacun  d’un socle(1). Grâce à un système d’articulation, l’enfant peut bouger tous les membres de ces personnages. Pour l’aider, un petit album joint à l’ensemble lui donne, comme l’explique le catalogue du fabricant, « une idée de toutes les positions que l’on peut faire prendre à l’homme et à la bête (2) ».

Quelques-unes des positions de Coquenano et de sa monture. Sources : eBay.fr



Ce livret oblong (11 par 25 cm) est dessiné par le dessinateur Gilbert Randon. Il est composé de 5 doubles pages sur lesquelles sont disposées une suite de 5 vignettes légendées qui courent sur ces deux feuilles. Ces 25 images peuvent être lues, indépendamment de leur texte, comme autant de positions à recréer, à la manière d’un mode d’emploi, mais ces « Aventures de Coquenano » forment aussi une petite histoire en images qui raconte la séance d’équitation mouvementée d’une jeune recrue. L’image sur le couvercle de la boîte, non signée mais dont Randon est probablement l’auteur, donne le ton. Elle aurait pu être tirée du Journal amusant qui a longtemps publié les dessins humoristiques du dessinateur : tombé de son cheval, un élève cavalier s’adresse à son instructeur, en se tenant le crâne : « Bonheur qu’il n’y a que la tête qui a porté sans quoi je m’assommais ! »

Isidore Coquenano, jeune conscrit, et sa monture Coco sont les héros de cet album. La courte histoire décrit la leçon d’équitation mouvementée de ce cavalier peu expérimenté. La séance tourne au numéro de clown et n’est que le prétexte pour montrer à l’enfant les possibilités de son jouet de bois. Les dessins de Randon forment tout de même une séquence cohérente, qui peut se lire du début à la fin. Pour construire son scénario, le dessinateur a dû composer avec un certain nombre de figures imposées, ce qui en ferait presque de ce livret une expérience oubapienne.

 





Le coffret des « Aventures de Coquenano » figure parmi les nombreux jouets et jeux de société du catalogue de Charles-Auguste Watilliaux, fabricant et éditeur parisien. Succédant à celle de la maison Coqueret, son activité s’étend de 1874 jusqu’à 1907-1908, date de son rachat par Revenaz & Tabernat. Gilbert Randon étant décédé en 1884, Coquenano daterait donc de la période 1874-1884 (3).

Au XIXe siècle, le jouet et le jeu se démocratisent. La grande inventivité que développent les fabricants de l’époque en fait un âge d’or. Ces derniers recherchent la nouveauté et puisent partout l’inspiration. Wattillaux se démarque de ses concurrents par sa créativité et la qualité de ses jeux, comme en témoigne ce coffret « Aventures de Coquenano ». Il anticipe le succès des histoires en images pour les enfants, avant même – si la date de création est avérée – les éditeurs de presse et d’imagerie enfantine.



Variante et copie

Figurant également au catalogue de Wattillaux, « Le jeune Raoul et son excellent cheval Neovan » est un jouet sur le même principe que « Coquenano ». Le fabricant parisien présente son personnage de bois ainsi : « (…) il s’agit d’un petit jeune homme vêtu en civil à la mode du jour. Le harnachement du cheval parait également sortir de chez le meilleur faiseur(4), nous n’en connaissons pas la nature.

de-sta-jeune-raoul-watilliaux« Le jeune Raoul et son excellent cheval Neovan », jouet par Wattillaux. Source : Theriaults.com.



Le jouet Coquenano a probablement connu le succès car, en plus de sa variante vue ci-dessus, nous avons également rencontré ce qui semble être une copie : intitulé « Mésaventures de Champignol » (5), ce coffret édité par JFJ Paris ressemble en tout point à celui de Watilliaux.

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champignol-album-JFJ« Mésaventures de Champignol », jouet par JFJ. En bas : extraits de l’album. Source : Interencheres.com.



Créé en 1904, JFJ (Jeux et Jouets Français) regroupe plusieurs fabricants français de jouets, dont Mauclair-Dacier fondé en 1893 par un ancien employé de Watilliaux, Lucien Maucler (6). Ce regroupement fut actif jusqu’en 1931. La scène dessinée sur la boite diffère mais les deux jouets en bois sont identiques. L’album aux dimensions semblables reprend l’histoire imaginée par Randon avec les mêmes positions à récréer. Cependant les vignettes ont été redessinées par un anonyme, le héros rebaptisé (Champignol au lieu de Coquenano) et le texte réécrit.



Du jouet de luxe au bibelot à un sou

Inventé pour Watilliaux, Isidore Coquenano n’est pas un personnage ayant existé avant ce jouet. A l’époque, le concept de héros récurrent n’existait pas encore dans les histoires en images. Cependant, le dessinateur Gilbert Randon, ancien militaire dont nous avons déjà parlé ici, était célèbre pour ses caricatures de soldats au Second Empire dont il s’était fait une spécialité. Comme le résume John Grand-Carteret, « Avec lui, on pénètre dans les détails de la vie militaire, on suit toutes les péripéties de l’école du cavalier ou de l’école du fantassin, on prend le soldat au berceau sous la forme de l’enfant de troupe et on le retrouve sous la tunique du vieil invalide (…) » (7). Randon a publié des albums de caricatures sur ce thème, avec un dessin par page ou sous forme de petites séquences d’action : Ah ! quel plaisir d’être soldat ! (Journal amusant, 1856), La vie de troupier (Martinet, 1858), L’École du fantassin (Journal amusant, 1860) ou encore L’École du cavalier (Journal amusant, c. 1862). Ce dernier ouvrage détaille l’instruction d’un cavalier, depuis son incorporation jusqu’au jour où il est devenu un cavalier accompli, et n’est pas sans rappeler Coquenano(8).

Enfin, on notera qu’avant d’avoir dessiné Coquenano, qui est plutôt un jeu de luxe réservé aux familles aisées (la boite était vendue 4,5 francs), Randon a donné en 1862 au Journal amusant une série de planches amusantes dans lesquelles il fait l’inventaire des « bibelots d’un sou »(9). Parmi ces petits jouets simples – le chien de faïence, la poupée en carton, la dînette, la grenouille, etc. – figurent un cheval de bois et son cavalier, bien plus rudimentaires et rigides que Coquenano, mais qui nous rappellent que les enfants ne s’amusent pas moins avec des babioles qu’avec des jeux sophistiqués…

 

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randon-bibelot-un-sous-1862-02Randon, « Les bibelots d’un sou », Le Journal amusant, n° 325, 22 mars 1862. Source : Gallica.fr.

 



Mise à jour du 24 avril 2016 : Mélangeant dresseur vivant et cheval de bois, une histoire sans légendes signée par l’Allemand Lothar Meggendorfer nous rappelle Coquenano : « Der Stallmeister und sein Pferd, oder, Das non plus ultra der Pferdedressur » fut publié dans la revue Fliegende Blätter n° 2253 en 1888, et repris vers 1890-1891 sous la forme d’un Münchener Bilderbogen (n° 1014), dont il existe des versions colorisées.



meggendorfer-stallmeisterLothar Meggendorfer, « Der Stallmeister und sein Pferd, oder, Das non plus ultra der Pferdedressur »,
Münchener Bilderbogen, n° 1014, c. 1890-1891. Source : billerantik.de



Mise à jour du 17 janvier 2018 : Un article du site Jeuxanciensdecollection.com revient sur le jeu « Aventures de Coquenano » et reproduit des images d’un jouet anglais similaire, datant probablement de la même époque : « John Gilpin’s Ride » édité par le fabriquant Crandall.

 

Mise à jour du 18 juin 2018 : Sur le même modèle que les précédents jouets, le fabricant parisien Mauclair-Dacier propose « Une partie d’ânes à Robinson », coffret contenant une paire d’ânes et deux enfants articulés. Comme il est possible de la voir dans un article du site Jeuxanciensdecollection.com , celui-ci est accompagné d’une grande feuille pliée sous la forme d’une histoire en images en une quinzaine de vignettes légendées, signée semble -t-il par un certain Ludovic (voir case 11). Le fabricant indique en bas de page : « Les pièces de ce jeu permettent aux enfants de reproduire les scènes ci-dessus et même d’autres, selon leur goût et leur fantaisie. » Le principe est donc le même que Coquenano, mais si les cabrioles du militaire étaient purement comiques, l’histoires des deux enfants, Toto et Zézette, qui se promènent à dos d’ânes non sans quelques mésaventures, n’échappe pas au final à une leçon de morale.

 
Feuille joint au coffret « Une partie d’ânes à Robinson », Mauclair-Dacier, fin XIXe s. Source : Jeuxanciensdecollection.com

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  1. Le soldat mesure 24 cm debout et le cheval 21 cm au garrot. []
  2. Catalogue Watilliaux, « Jouets nouveaux », s.d., p. 37-38. []
  3. En 1903, ce jouet figure toujours au catalogue général de Watilliaux, consultable sur le site Jeuxanciensdecollection.com, au prix de 4,5 francs. []
  4. Catalogue Watilliaux, « Jouets nouveaux », s.d., p. 38.). L’album qui accompagne les figurines est cette fois illustré par Henry de Sta sur un texte de Jean Tilly. N’ayant pas pu consulter ce livret relatant diverses aventures du jeune Raoul » ((Idem. []
  5. Le titre du livret diffère de celui figurant sur la boite : « Les aventures de Champignol ». []
  6. Les autres fabricants sont Wogue et Levy, Simonin-Cuny, Perret, Delhaye Frères, auxquels il faut ajouter en 1905 Delhaye Frères. Voir la page consacrée à JFJ sur Jeuxanciensdecollection.com. []
  7. John Grand-Carteret, Les mœurs et la caricature en France, Librairie Illustrée, 1888, p. 365-366. []
  8. A noter également une longue série dessinée par Randon intitulée « L’école du fantassin pour rire » publiée en 25 livraisons dans Le Journal amusant entre le n° 156, du 25 décembre 1858 et le n° 232 du 9 juin 1860. Ces dessins ne semblent pas avoir été repris en album. []
  9. « Les bibelots d’un sou », Le Journal amusant, n° 325 (22 mars 1862), n° 335 (31 mai 1862) et n° 346 (18 août 1862). []
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