.SUITE DE LA PUBLICATION DU TEXTE DE HERLÉ LUC-MICHEL
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5 – La maturité
Heureusement pour lui, tout le monde ne pense pas que Caran d’Ache est un rapin. Les années 1890 vont confirmer le talent et la popularité du dessinateur. Tout au long de cette incroyable décennie, son activité ne va pas faiblir, bien au contraire. De nouveaux journaux s’offrent ses services, L’Écho de Paris, Le Journal amusant et, aux États-Unis, le Harper’s Magazine. Une année après le premier volume, les éditions Plon publient l’Album Caran d’Ache, tome 2. Le troisième sortira en 1892.
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Et, pendant ce temps, L’Épopée continue de s’étoffer…
La « Nouvelle Épopée » de Caran d’Ache, dont la cour de Russie aura la primeur, sera jouée le lundi de Pâques chez la vicomtesse de Trédern.
(La Mode de Style, 25 février 1891)
Sa vie a changé. Le jeune troufion bohème qui fréquentait la faune du club des Hydropathes s’est métamorphosé en artiste reconnu, adulé… et riche. Son ascension sociale a fait un bond spectaculaire. Dans la vie de Caran d’Ache, il y a un « avant-Épopée » et un « après-Épopée ». Désormais admis dans les cercles fermés de l’aristocratie, il découvre les us et coutumes de ses nouvelles relations. Ainsi, début novembre 1891, la duchesse d’Uzès fête la Saint-Hubert en le conviant, avec un groupe d’amis triés sur le volet, à une chasse à courre précédée d’une messe. Expérience visiblement sans lendemain : d’une part, il confessera plus tard n’avoir aucune passion religieuse ; et d’autre part, si l’on en croit les traitements peu flatteurs qu’il réservera par la suite aux chasseurs dans ses dessins, il ne semble pas avoir apprécié outre mesure ces pratiques aussi cruelles qu’anachroniques !
Il vit désormais dans les quartiers rupins de l’ouest parisien, non loin du Bois de Boulogne qu’il aime parcourir à cheval presque tous les matins. Un jour de mai 1892, il fait même sensation en paradant sur un superbe zèbre déniché on ne sait où…
S’il a l’habitude (regrettable pour les biographes) de ne pas dater sa correspondance, il indique souvent des adresses sur ses lettres et billets : 31 avenue Henri-Martin ; 76 rue de la Tour ; 54 rue de Bassano ; 77 rue de Chaillot… Il aura des ateliers avenue Hoche, avenue d’Eylau, rue de Longchamp… A-t-il aussi souvent déménagé à l’intérieur des VIIIe et XVIe arrondissements ? Cette liste témoigne en tout cas de son nouveau standing et il s’installera en 1894 dans un bel hôtel particulier construit par l’architecte Henri Grandpierre d’après ses propres dessins préparatoires, au 79 rue de la Faisanderie.
Là, il aura comme voisins et amis l’écrivain et auteur dramatique Henri Lavedan, les peintres Jan van Beers, Mihály Munkácsy, et le dessinateur Jean-Louis Forain dont nous aurons l’occasion de reparler. Sur certains de ses billets, il indique le numéro 47 comme adresse. Est-ce là une fausse piste destinée à se préserver des importuns que sa célébrité attire, comme d’aucuns l’ont parfois suggéré ? La réalité est plus prosaïque : conséquence de l’urbanisation croissante, la numérotation du quartier a changé en 1899.
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En cette fin du 19e siècle, les divertissements populaires ne sont pas aussi pléthoriques qu’aujourd’hui, la télévision ni la radio n’existent encore, et pour se changer les idées on n’a pas tous les jours la chance d’assister à une exécution capitale… Par contre beaucoup de cirques, quelques-uns somptueux, certains plus modestes, d’autres carrément miséreux, proposent des représentations pour un public correspondant à leur standing. Outre le Nouveau Cirque, Caran d’Ache est un spectateur assidu du très mondain Cirque Molier, dirigé depuis 1880 par Ernest Molier, spécialiste des numéros équestres (et qui lui a peut-être prêté le zèbre du Bois de Boulogne…) En 1891, Emmanuel illustre le programme du spectacle « la grande fête sans fin » :
Deux ans plus tard, le Cirque Molier accueillera un public ultra-select pour la représentation générale d’un tout nouveau spectacle. Parmi les invités, Caran d’Ache retrouvera Lunel, Richard O’Monroy (vieille connaissance du régiment), ainsi que Toulouse-Lautrec avec qui il partage les mêmes passions pour le cirque, les chevaux, le dessin… et les femmes.
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Par un matin d’hiver, une demoiselle chaperonnée par sa mère fait un brin de promenade au Bois de Boulogne. Leur chemin croise soudain celui d’un jeune homme de fort belle allure, chevauchant une monture de non moins belle allure. La jeune fille est charmée par cette apparition équestre.
– Vous me parlez toujours de mariage, dit-elle à sa mère aussitôt l’apparition disparue, eh bien présentez-moi un jeune homme comme ce cavalier et je m’inclinerai devant votre choix.
– Mais je ne le connais pas ! répliqua la mère.
Quelques jours après cette rencontre fugace et inopinée, la demoiselle et le cavalier se retrouvent par le plus grand des hasards (semble-t-il) chez un ami commun qui les présente : elle s’appelle Henriette, il s’appelle Emmanuel. Le coup de foudre du Bois de Boulogne dut être réciproque car un mois plus tard, le 22 janvier 1891, Emmanuel Yakovlevitch Poiré épouse Henriette-Cécile Azimont à la mairie du IXe arrondissement. Cette émouvante idylle aurait-elle vu le jour si, au détour d’un sentier hivernal du Bois, la jeune femme était tombée sur un Caran d’Ache caracolant à califourchon sur son zèbre ?…
Née le 4 septembre 1867 au 10 rue de la Paix, la mariée a 23 ans (1). D’origine toulousaine, la famille maternelle d’Henriette appartient à la bourgeoisie aisée (2). Sa mère, Albine-Claire (3), a une sœur aînée, Cécile Azimont, qui, après avoir débuté une carrière d’actrice au théâtre du Palais-Royal où son père était corniste, connut un certain succès entre les années 1845 et 1856, même si de mauvaises langues insinuèrent que ses charmes physiques firent davantage l’unanimité que ses talents dramatiques.
Enfant naturelle (née de père « non dénommé » comme l’indique l’état-civil), Henriette porte le nom de sa mère (4).
La jeune mariée quitte donc l’appartement maternel, 9 rue Auber, pour celui de son époux, 76 rue de la Tour.
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Nous sommes alors en plein essor de la « fée électricité ». Pour la Saint Sylvestre, le couple Poiré est invité à réveillonner chez le peintre et affichiste E. Charle Lucas. Celui-ci a ménagé une surprise à ses convives…
L’atelier du peintre Lucas recevait la lumière des lampes électriques à travers un velum suspendu au plafond. Au moment du souper, le velum disparaît et l’on voit descendre du plafond une table en verre toute servie. Les tulipes versicolores dont la lumière se reflétait à travers la nappe ont produit un effet qui tient de la féerie.
(La Liberté, 2 janvier 1892)
En mai, le caporal Poiré rendosse son uniforme avec un plaisir non dissimulé, et hop ! direction la caserne de Babylone pour sa seconde période de vingt-huit jours. Puis, l’euphorie de la paternité succédant au bonheur militaire, Henriette donne naissance, le 2 juillet, à un petit Jean, Jacques Poiré. Le dessinateur Jean-Louis Forain, proche ami d’Emmanuel, est le parrain de l’enfant. Tout semble aller pour le mieux dans la vie de Caran d’Ache…
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C’est en 1892 qu’éclata le scandale de Panama, gigantesque affaire de corruption qui éclaboussa le milieu industriel, le milieu politique, le milieu journalistique, et ruina une quantité astronomique d’épargnants. Résumons cette affaire pour la mettre en perspective avec le travail de Caran d’Ache : initié par Ferdinand de Lesseps, le percement du canal de Panama avait pour but de relier l’océan Atlantique au Pacifique par l’Amérique centrale. Or, le projet, financé par des actions cotées en Bourse, rencontra rapidement d’énormes difficultés techniques et financières, provoquant l’effondrement des titres et menaçant la finalisation de l’ouvrage. Une nouvelle souscription publique fut alors lancée par Lesseps, mais certains financiers, dont un banquier, le baron Jacques de Reinach, son associé Cornelius Herz et son homme de confiance Émile Arton, détournèrent une partie des sommes pour corrompre des journalistes et des parlementaires, les premiers pour les inciter à promouvoir le projet, les seconds afin qu’ils débloquassent toujours davantage de fonds publics (et un imparfait du subjonctif, un !).
Malgré l’émission d’un dernier emprunt en 1888, la situation ne se redressa pas. Le dépôt de bilan de la Compagnie ruina quelques cent mille souscripteurs dont certains mirent fin à leurs jours. Reinach fut retrouvé mort le 20 novembre 1892 dans son hôtel particulier, alors qu’il devait comparaître le lendemain devant le tribunal correctionnel. Cette coïncidence ne manqua pas d’alimenter les rumeurs de suicide, bien que l’enquête officielle conclût à une congestion cérébrale…
Reinach et Herz étant d’origine juive-allemande et Arton Juif-Alsacien, le journaliste antisémite Édouard Drumont se fit un plaisir de révéler publiquement toute l’affaire, bientôt rejoint par Maurice Barrès (5), dans une campagne de presse attisant les braises d’un climat anti-juif et anti-allemand qui connaîtra bientôt son paroxysme lors de l’affaire Dreyfus.
Cet épisode peu glorieux va inspirer à Caran d’Ache plusieurs pages d’actualités, mais aussi et surtout l’un de ses albums les plus connus et, en tout cas, le plus original sur la forme, le fameux Carnet de chèques. Comme son nom l’indique, ce fascicule se présente sous la forme d’un chéquier illustré et commenté, décrivant notamment les multiples stratagèmes ourdis par un Juif corrupteur pour faire accepter des pots-de-vin à un politicien récalcitrant. Celui-ci refuse les premiers chèques de 10 000, 20 000, 30 000 francs, mais le harcèlement obstiné du tentateur et le montant sans cesse croissant des chèques auront finalement raison de sa probité pour la somme astronomique de 300 000 francs !
Lorsque ce petit livre paraît, huit dessins en ont déjà été publiés dans L’Illustration du 12 décembre 1892. Le premier tirage est de 30 000 exemplaires vendus un franc, somme sur laquelle 20 centimes reviennent à Caran d’Ache, soit 6000 francs, de même que pour ses précédents albums.
Les scandales financiers du jour ont fourni au spirituel caricaturiste une série de dessins d’une étourdissante fantaisie. Dans quelques scènes, il reproduit, avec une verve d’un haut comique, les personnages compromis dans l’affaire des chèques, leurs attitudes et leurs opérations diverses.
(Le Matin, 23 janvier 1893)
Toutes ces péripéties vont entraîner la condamnation de Lesseps et la démission du ministre de l’Intérieur, Émile Loubet. Quant à la concession du canal de Panama, elle sera reprise quelques années plus tard par les États-Unis, mais il faudra attendre 1918 pour que le chantier s’achève enfin.
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Le mois de juin 1893 est ponctué d’événements de natures très diverses : les 7 et 8, une revue en trois actes est donnée au Cercle de l’Union Artistique. Ce spectacle, intitulé La Revue toute faite, a été écrit par un collectif de membres de la Commission de Littérature (6). L’argument importe peu, son seul intérêt résidant pour nous dans la participation d’Emmanuel :
(…) Le théâtre devient tout sombre et, dans un rayon de lumière électrique, nous voyons apparaître Simon-Girard, costume de chauve-souris gris-argent, avec des ailes diaprées. (…)
Puis, dans le fond, apparaît la lune, avec des projections de M. Caran-d’Ache.
(Richard O’Monroy, Gil Blas, 9 juin 1893)
Quelques jours après ces représentations – aussitôt terminées, aussitôt oubliées – un étudiant des Beaux-Arts nommé Henri Guillaume ainsi que quatre jeunes filles posant comme modèles pour les séances de dessin comparaissent en Chambre correctionnelle. Le 9 février précédent s’était déroulé au Moulin Rouge le bal des Quat’z’Arts, soirée privée organisée par Guillaume sur le thème de l’Égypte antique, et au cours de laquelle ces jeunes filles modèles s’exhibèrent dans des tenues remarquables – et remarquées – par leur minimalisme.
Or, il advint qu’un sénateur, président de la Ligue de Défense de la Morale, eût vent de la chose et se sentît agressé jusqu’au tréfonds de l’âme par cet étalage de débauche pornographique digne, dans son esprit, des pires bacchanales de la Rome décadente, voire de Sodome et Gomorrhe ! Incontinent, il porta plainte pour outrage public à la pudeur.
Le 23, jour de l’audience, une foule énorme de curieux et de journalistes se bouscule pour assister aux débats.
– Les seins de ces dames n’étaient-ils pas nus ? demande le président.
– Pardon, répondent les témoins, ils étaient recouverts de colliers.
– Mais on les voyait aisément ?
– Moins aisément que dans les bals du monde.
– L’inculpée que voici n’avait qu’une chemise ?
– Oh ! elle avait également un croissant dans les cheveux… !
– Et Cléopâtre, n’était-elle pas nue ?
– Oh ! monsieur le président, son costume était très convenable ; elle avait des bas…
(Explosion d’hilarité dans la salle.)
Cité parmi les témoins, Caran d’Ache vole au secours des jeunes gens, se félicitant à la barre d’avoir assisté au bal, affirmant n’y avoir rien vu d’obscène, et qualifiant le spectacle de très séduisant, très égyptien, et très artistique. « Sans doute, ajoute-t-il, il y avait là des femmes un peu… légèrement vêtues. Mais les femmes ne se décollettent-elles pas quand elles vont au bal, même à celui de l’Hôtel de Ville ? » (Rires)
Au final, la bienveillance du juge ne condamnera les accusés qu’à une amende symbolique, et le bal des Quat’z’Arts perdurera jusqu’en 1966 (7).
Si cette histoire de pudibonderie tartuffière dut bien amuser Emmanuel sur le moment, sa bonne humeur fut de courte durée. Trois jours après cette audience survient un drame au sein de la famille Poiré : à moins d’une semaine de son premier anniversaire, le petit Jean meurt d’une méningite, en quelques heures, dans l’appartement familial. Les époux resteront sans autre descendance.
Il est difficile de mesurer toutes les conséquences de ce décès sur la vie du couple qui va très visiblement se désunir, sans toutefois divorcer. En l’absence de tout témoignage, nous ne saurons jamais comment Henriette a vécu cette épreuve (même si on s’en doute) et comment elle l’a surmontée. Concernant Emmanuel, nous verrons son comportement changer au fil des ans. D’un naturel très sociable malgré sa timidité, il va peu à peu prendre ses distances avec la vie mondaine qu’il affectionnait, allant jusqu’à se renfermer, mettre des barrières, entretenir des secrets sur sa vie (ou, en tout cas, ne rien faire pour démentir les rumeurs), collectionner les aventures éphémères et, progressivement, radicaliser les opinions conservatrices et réactionnaires qu’il portait depuis toujours en lui. Séquelles de ce traumatisme intime ?…
En tout cas, son rêve d’une vie de famille heureuse avec femme aimante et enfants sages, tel qu’il l’avait représenté peu avant son mariage dans cette vision naïvement idyllique et bucolique, ne se réalisera jamais :
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L’amitié franco-russe est alors en plein essor. Commandés par l’amiral Fiodor Avellan, cinq cuirassés de la flotte impériale de la Baltique jettent l’ancre en rade de Toulon le 13 octobre 1893. Ils y resteront deux semaines au cours lesquelles l’État-major naval russe, délaissant pour une fois les voies maritimes, emprunte le chemin de fer pour être accueilli, dans un Paris en liesse, par le président Sadi Carnot.
Oubliées, l’invasion napoléonienne de 1812 et la guerre de Crimée en 1853-1856 ! Cette visite officielle donne lieu à de grandes festivités, parades exaltées, réceptions fastueuses et autres célébrations enthousiastes pour sceller la nouvelle alliance entre les deux pays. En l’honneur des hôtes de la République, le 24 octobre est donnée, à l’Opéra, une représentation de gala à laquelle Caran d’Ache est convié au milieu de tout ce que Paris compte alors en personnalités du monde politique, mondain, industriel, militaire et artistique. Pour l’anecdote, il occupe le fauteuil 214, confortablement installé entre les hommes de lettres Anatole France et Catulle Mendès. Au programme : de la musique contemporaine (Massenet, Saint-Saëns, Reyer, Paladilhe…), de la danse (corps de ballet de l’Opéra), du chant lyrique (avec la célèbre soprano colorature australienne Nellie Melba (8), hymnes nationaux, acclamations, congratulations, pince-fesses, et toutes ces sortes de choses…
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La même année voit la parution de deux albums aux éditions Plon : Bric-à-brac, réunissant des pages prépubliées dans L’Écho de Paris, Le Figaro illustré, L’Illustration…
et Prince Kozakokoff, un nouveau récit de Bénardaky, dont l’argument prend à contre-pied celui d’À la découverte de la Russie. Cette fois, ce sont le prince Kozakokoff, accompagné de sa famille et de l’ours Michka, qui vont effectuer un voyage les conduisant en Allemagne, Suisse, Italie, France et Espagne. Pour cet album, Caran d’Ache va réaliser seul la totalité des cent onze dessins illustrant ces aventures farfelues.
C’est un conte à dormir debout, dit modestement l’auteur dans sa préface. Oui, mais nous croyons qu’aucun lecteur ne s’endormira avant d’avoir lu jusqu’à la dernière ligne toute cette suite de facéties si vivement contées, ni avant d’avoir passé en revue la longue série des dessins de Caran d’Ache, dont le crayon n’a jamais été si caustique ni plus spirituel. Cette illustration comptera parmi les meilleures dans l’œuvre du joyeux artiste.
(Le Journal amusant, 9 décembre 1893)
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Caran d’Ache entame, début 1894, une collaboration hebdomadaire avec Le Journal, quotidien fondé deux ans plus tôt par un certain Fernand Xau, qui fut l’impresario de Buffalo Bill pour la première tournée française du Buffalo Bill’s Wild West Show, en 1889.
Emmanuel dessinera la mascotte du Journal : un petit groom, lointain ancêtre de Spirou, qui sera décliné sur divers supports publicitaires, et annoncera en première page les dessins de Caran d’Ache, alors que la veille c’est une caricature de l’auteur lui-même qui appâtera les lecteurs :
Avec Le Journal, Xau propose un quotidien populaire que le prix modique de 5 centimes, soit un sou, met à la portée de toutes les bourses. Le contenu est informatif et distractif. Outre les articles sur l’actualité, on y trouve des chroniques, des nouvelles, des contes, sous les signatures prestigieuses d’Alphonse Allais, Georges Courteline, Guy de Maupassant, Maurice Barrès, Octave Mirbeau, Jules Renard… et des dessins humoristiques d’Abel Faivre, Jean-Louis Forain, Sem, Leonetto Cappiello, Jean Veber, pour ne citer que ceux-là. Aux alentours de 1900, le tirage sera de 800 000 exemplaires.
Dans Le Journal, Caran d’Ache commence par illustrer des textes de l’écrivain libertaire, antimilitariste et futur dreyfusard Lucien Descaves, sous une forme faisant ouvertement référence aux images d’Épinal. Puis, très rapidement, il aura carte blanche pour s’exprimer seul, tel un éditorialiste, sur des sujets qui l’inspirent : politique, faits de société, faits divers, réflexions personnelles, etc.
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24 juin 1894. En déplacement officiel à Lyon, le président de la République Sadi Carnot est poignardé par un anarchiste italien et meurt dans la nuit. Caran d’Ache avait souvent raillé la raideur de Carnot en le caricaturant sous les traits d’un personnage mécanique, voire robotisé.
L’éphémère Jean Casimir-Perier lui succédera et battra tous les records de brièveté à ce poste en démissionnant moins de sept mois après son élection.
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Caran d’Ache détestait écrire et ses lettres relativement longues qui nous sont parvenues peuvent se compter sur les doigts d’un lépreux. Les documents qui ont été conservés font montre d’une prose assez pittoresque et d’une graphie toute personnelle, très esthétique, reconnaissable entre mille, mélangeant souvent une écriture cursive (minuscules) avec des lettres-bâtons (majuscules) caractéristiques de la bande dessinée. Cette particularité n’a pas échappé à Émile Bayard :
Le texte manuscrit (…) est traité à la manière d’un dessin. « Cela tient, nous dit-il, à ce que j’ai horreur d’écrire et que je me sers de plumes à dessin pour m’acquitter de cette corvée ; la difficulté de manier dans tous les sens ces délicates plumes m’oblige seule à cette écriture non courante que vous avez. »
(Émile Bayard, La Caricature et les caricaturistes, 1900)
Il n’aimait pas écrire, disait-on aussi, il ne décachetait jamais les lettres qu’il recevait parce que, les ouvrant, il aurait été obligé d’y répondre.
(Francisque Poulbot)
Cette manie carandachienne, réelle bien que sans doute exagérée, fait penser à Érik Satie chez qui, après sa mort, on trouva tout le courrier qu’il avait reçu depuis des années, entassé dans un piano et non décacheté. Les seules enveloppes ouvertes contenaient des lettres qu’il s’était envoyées à lui-même lorsqu’il était en voyage, et qu’il avait lues à son retour.
Autre point commun entre les deux hommes qui n’étaient pas à un paradoxe près : l’extrême élégance, la beauté esthétique de leurs calligraphies respectives, parfaitement dans l’esprit « Art nouveau »… sans parler de leur humour nonsensique (9).
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Le 20 juillet 1894, surmontant son aversion pour cet exercice, il prend son courage à deux mains, son porte-plume à dessin de l’autre et, s’adressant au directeur du Figaro, écrit textuellement ceci :
« Cher Monsieur et ami,
J’ai une affaire à vous proposer, qui pourrait à mon avis, intéresser beaucoup le Figaro et voici ce dont s’agit : Tout le monde a lu et lit des romans, surtout lorsque lesdits romans sont signés des noms connus et aimés du public et vous n’ignorez pas que lorsqu’un roman réussit il devient une affaire fructueuse, et pour l’auteur, et pour l’éditeur…
Il est notoire que tous les romans parus depuis J.C. sont bâtis d’une façon uniforme quant à l’aspect extérieur et en plus tous ils sont écrits. Eh bien, moi, j’ai l’idée d’y apporter une innovation que je crois de nature à intéresser vivement le public !
Et c’est ?
Mais tout simplement de créer un genre nouveau : le roman dessiné.
Exemple : un monsieur, ou plutôt une gracieuse dame (qu’ils soient anglais, américains, austro-hongrois, birmanes, scandinaves ou moldo-valaques ; qu’ils s’intitulent modestement bavarois, égroÿtiens, caffres ou archangelois, qu’ils aient vu le jour sous les tentes de l’Arabie heureuse ou sous les neiges des steppes sibériennes ou qu’ils s’enorgueillissent d’être français), cette dame et ce monsieur pourront lire ce roman sans posséder le génie de notre langue !
En un mot – cela n’a jamais été fait !
Quant à la forme, à la figure du livre, je vois un volume qui aura l’aspect extérieur d’un roman de Zola, de Daudet, de Montépin ou de Paul Bourget avec le prix marqué de 3frs 50c…
Mais à l’intérieur !
À l’intérieur – pas une ligne de texte !
Tout sera exprimé par les dessins en 360 pages environ.
Les romans en comportent généralement 320, 340, 350, 360.
Sur la couverture, je vois le titre bien lisible et, en belle place, un F pour bien marquer la paternité. Car je serais très heureux que le Figaro adoptât le futur nouveau-né (…) »
Caran d’Ache envisage comme titre Maëstro, puis Les mémoires du Maestro, et prévoit deux mois de travail pour cette super-histoire sans paroles qu’il aimerait bien voir publiée en couleurs, « si le prix de l’impression le permet ». Quant à l’argument, nous ignorons s’il en parle dans la suite de cette lettre qui nous est parvenue hélas incomplète…
La proposition intéresse Le Figaro car, dès le 13 août, un contrat est signé, stipulant que l’album comportera bien 360 pages, sera imprimé à 20 000 exemplaires au format in-18e, et vendu au prix de 3,50 francs. Pourtant le temps passa et rien ne se concrétisa. On a cru pendant longtemps que cette idée ambitieuse et très innovante pour l’époque n’était restée qu’à l’état de projet, jusqu’à ce qu’une série de dessins soit acquise en 1998 par le musée de la bande dessinée d’Angoulême, et identifiée comme étant le début de Maestro. Ce fragment, d’une centaine de planches quasiment toutes finalisées mais comportant certaines lacunes dans la narration, a été publié en album en 1999. Depuis, quelques dessins supplémentaires appartenant à des collections privées ont fait leur apparition, certains venant combler des trous de l’album. La découverte d’une série de notes et croquis conservés au département des Arts graphiques du Louvre indique que Caran d’Ache jeta les premières bases de son projet dès 1893.
Telle qu’elle nous est parvenue, l’histoire se présente ainsi : dans un royaume d’Europe centrale, un enfant, issu d’une famille pauvre, se révèle être un prodige musical, un petit Mozart. Après avoir été acheté à ses parents, il est présenté au roi qui est féru de musique et fan de Wagner. Las des musiciens officiels de la cour, le despote tombe en extase devant les dons exceptionnels du jeune garçon et l’enferme dans une prison dorée. La fonction du petit surdoué sera d’accompagner le monarque dans de fastidieuses et interminables séances de musique au cours desquelles Sa Majesté, totalement inconsciente du niveau abyssal de ses capacités, infligera sans complexe ses prestations catastrophoniques à notre jeune Maestro. Bien des années plus tard, devenu adulte, moustachu et bedonnant, celui-ci parviendra à s’évader avec l’aide d’un domestique, mais sera enlevé une nuit par des brigands…
Les pages connues s’arrêtent là, quelques dessins et croquis épars suggérant que Caran d’Ache prévoyait pour le maestro une carrière de musicien itinérant. Un tournoi musical, comme il en existait alors, est aussi évoqué…
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Nous ne saurons jamais comment cette histoire se serait terminée si elle était allée à son terme, d’autant que les notes retrouvées attestent que le dessinateur a profondément remanié son synopsis initial. De même, les raisons pour lesquelles l’entreprise avorta nous sont inconnues. Probablement Caran d’Ache fut-il dépassé par l’ampleur de son projet : habitué aux histoires courtes, à l’exécution rapide, incapable de soutenir un travail de longue haleine, comme il l’avouera lui-même (bien que L’Épopée démontrerait le contraire), il jette l’éponge après avoir réalisé un bon tiers de son livre, et il faudra attendre le XXe siècle pour que ce concept de « roman dessiné sans paroles » voie finalement le jour.
En dépit de son incomplétude, Maëstro s’avère être une œuvre passionnante, visionnaire, inconnue (et pour cause !) du vivant de Caran d’Ache et qui, révélée au public plusieurs décennies après sa mort, deviendra emblématique de son auteur. En tout cela, son destin n’est pas sans présenter d’évidentes similitudes avec celui de la huitième symphonie de Schubert, la célébrissime Inachevée.
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Quelques jours après avoir fait sa proposition au Figaro, Caran d’Ache part pour Guernesey en compagnie de deux amis proches, Jean-Louis Forain et Léon Daudet. Ils sont invités par le peintre Georges Victor-Hugo, petit-fils de son Grand-Père (10). Tout ce petit monde passe le mois d’août à la villa « La Marcherie » où ils sont gratifiés d’un accueil somptueux (11). Le séjour terminé, les compères en goguette décident de s’octroyer une petite rallonge et vont faire une virée à Londres avant de regagner Paris.
La fin l’année 1894 est marquée par le début de l’affaire Dreyfus qui va gravement ébranler la société française pendant une douzaine d’années, et dans laquelle Caran d’Ache s’illustrera dans le mauvais camp. Nous reviendrons en détails sur ces événements dans le prochain chapitre.
Au même moment, le 10 novembre, l’éditeur Félix Juven lance Le Rire, hebdomadaire humoristique et satirique traitant de culture, d’art et de politique, et qui va rapidement connaître le succès. La direction artistique est confiée à l’inspecteur général des musées, journaliste et critique d’art, Arsène Alexandre qui va rapidement devenir un ami proche d’Emmanuel. À Jean-Louis Forain échoit l’honneur de dessiner la couverture du numéro un. Une pléiade de dessinateurs – grosso modo les mêmes qui travaillent déjà au Journal – va se retrouver dans les pages du Rire. Toulouse-Lautrec fera une brève apparition dans les tout premiers numéros et Caran d’Ache rejoindra ce beau monde dès l’année suivante.
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C’est le 22 octobre 1895 que se produit le célèbre accident du train fou défonçant la verrière de la gare Montparnasse et plongeant dans la rue en contrebas, tuant une marchande de journaux qui avait eu la mauvaise fortune de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment. Cette spectaculaire catastrophe ferroviaire résonnera jusqu’à notre époque et Caran d’Ache en aura une réminiscence lorsque, cinq ans plus tard, il imaginera ses « Prophéties pour 1901 »…
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Une semaine après ce fait divers, par acte notarié, Emmanuel fait donation à son épouse de « l’universalité des biens et droits mobiliers et immobiliers qui lui appartiendront au jour de son décès et composeront sa succession, sans aucune exception ni réserve. »
Comment peut-on interpréter ça puisque, comme trop souvent avec lui, nous en sommes réduits aux conjectures ?… Une explication possible pourrait être que, le couple battant de l’aile et étant certain de ne pas avoir d’autre enfant, Henriette prend les devants et négocie dans l’hypothèse où son époux voudrait divorcer pour se remarier, ou aurait une progéniture avec une autre femme. Du genre : « D’accord, je te laisse ta liberté, mais en échange tu fais de moi ta légataire universelle. »
Nous verrons ultérieurement comment et en quelles circonstances, trente ans plus tard, Henriette saura faire valoir les droits que lui confère ce document…
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Pour le reste, et à plusieurs titres, 1895 est pour Emmanuel une année placée sous le signe de son pays natal. Il fait partie des cinq illustrateurs se répartissant les gravures hors-texte d’une volumineuse Histoire de la Russie dont l’auteur, anonyme, se présente comme « un ancien Officier d’artillerie russe ». Outre Caran d’Ache, qui signe quatre de ces vingt-et-une images, on trouve un artiste-peintre nommé Serge de Savine, auteur également de la couverture (et même, selon certains, auteur du livre).
Le cas de Serge de Savine est intrigant : souvent présenté comme un neveu d’Henriette (bien que plus âgé qu’elle d’une quinzaine d’années !), parfois comme un cousin, son nom apparaît parmi les signataires de l’acte de mariage du couple Poiré, de l’acte de décès du petit Jean, et on le trouvera également sur l’acte de décès de Caran d’Ache. Il fait donc partie du premier cercle de la famille. Ceci dit, il y a matière à s’interroger sur ces qualificatifs de « neveu » et de « cousin » car, pour épaissir le mystère, dans une lettre du 27 avril 1909, la mère d’Henriette affirmera que Serge de Savine n’a aucun lien de parenté avec sa famille ! Alors ?…
Alors regardons du côté Poiré : Serge de Savine, né en Russie vers 1852, ne peut pas non plus être un neveu d’Emmanuel car sa sœur la plus âgée, Evguenia, est née précisément en 1852. Était-il donc un cousin dont l’absence de documents nous empêche de préciser le degré exact de parenté ? Ce ne serait pas impossible si Jacques Victorovitch Poiré avait eu des frères et des sœurs, ce que nous ignorons totalement. Force est de constater qu’arrivés là, nous nous heurtons à un mur de pures spéculations qui nous laisse le bec dans l’eau (12).
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En Russie, justement, se déroulent au même moment des événements qui s’avéreront plus tard très lourds de conséquences. Au mois de novembre, un certain Vladimir Ilitch Oulianov – qu’on n’appelle pas encore Lénine – fédère les marxistes de Saint-Pétersbourg. Bientôt arrêté, il passera quinze mois en prison avant d’être exilé en Sibérie pendant trois ans.
Caran d’Ache a-t-il connaissance de ce qui se passe dans son pays de naissance ? Très certainement : outre que, travaillant dans la presse, il est parfaitement au courant de l’actualité, il a gardé des contacts avec ses frères et sœurs restés là-bas. Il a ainsi la joie, début décembre, de revoir son frère Vladimir, presque dix-huit ans après avoir quitté Moscou. Lieutenant de vaisseau de la marine impériale, Vladimir se rend en Grande-Bretagne pour superviser, aux chantiers de Newcastle et Glasgow, la construction de quatre croiseurs commandés par le gouvernement russe, et il profite évidemment de son étape à Paris pour visiter son frangin devenu célèbre jusqu’en Russie. Vladimir repassera par la France : en avril 1896, il est signalé à Orléans où il passe en revue le 30e régiment d’artillerie, mais on ignore si Emmanuel et lui se sont de nouveau rencontrés à cette occasion. Il mourra deux ans plus tard à Berlin. L’aîné, Vitaly, lieutenant-colonel d’artillerie dans l’armée du tsar, sert à cette époque aux confins de l’empire, à Vladivostock, et il est très peu probable qu’Emmanuel l’ai revu. Le troisième frère, Alexander, semble avoir eu une triste réputation de fanfaron et d’ivrogne (c’est en tout cas ainsi que le décrit Maxime Gorki parmi d’autres témoignages aussi peu flatteurs). Un moment huissier de police, il démissionna et mourut prématurément vers 1880. Quant aux sœurs Poiré, Evguenia organise des événements culturels et littéraires à Moscou, Alexandra dirige des cours de gymnastique, et la cadette, Maroussia, est actrice. Elle a commencé à s’intéresser à la poésie, à la musique et au théâtre vers l’âge de huit ans, comme un refuge après la mort de sa mère, mais nous reviendrons plus tard sur sa destinée jalonnée d’épisodes rocambolesques…
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Le 2 décembre, malgré l’échec du projet Maëstro, Caran d’Ache devient un collaborateur régulier au Figaro, sur le même principe que son travail pour Le Journal. Il publiait déjà depuis 1884 dans les divers suppléments du Figaro, mais ses dessins hebdomadaires pour le quotidien, connus sous le titre générique « Les lundis de Caran d’Ache », vont rapidement être plébiscités par les lecteurs au point qu’une sélection de ces pages connaîtra les honneurs d’albums grand format.
Les dessins des Lundis lui sont payés 375 francs, mais son contrat comporte une clause d’exclusivité lui interdisant de travailler avec un autre quotidien français. En effet, il cesse de dessiner pour Le Journal jusqu’en octobre 1897, date à laquelle nous verrons qu’il fera un retour manqué pour illustrer un roman d’Émile Bergerat, Le cruel Vatenguerre. Ce transfert mijotait depuis déjà plusieurs mois si l’on en croit cette lettre (pour une fois datée) que Caran d’Ache adresse à Fernand Xau, directeur du Journal, en prenant congé :
29 septembre 1895.
Mon très cher Directeur et ami !
Je me vois forcé, hélas, de vous dire adieu ou plutôt au revoir (ce qu’à Dieu ne plaise) – car voilà octobre : et c’est pour ce mois là que la proposition m’a été faite par un journal du matin !… Proposition de laquelle je vous ai parlé au mois de mai… Et comme la salope de vie est là… Avec ses exigences… Les femmes… Le jeu… Les courses… Les boissons fortes… Les maisons mal famées… Les petites filles… Les petits garçons (hors de prix – les petits garçons – cette année ; je parie que pour avoir un petit garçon un peu propre, il faut mettre dans les 15 à 25 francs !) et que, d’un autre côté ma situation au « Journal » n’était rien moins que sûre – n’ai-je pas été sur le point d’être écarté par deux fois – Je viens pour vous remercier cher ami… pour me réjouir si j’ai été utile, dans une part aussi faible qu’elle put être, à la Gloire de l’Édifice Superbe qu’est le « Journal », édifice dû à vos mains…en-tièr-re-ment…!….Et, avec tout ce qu’il me reste d’à peu près sortable en fait de sentiments dans le cœur – je vous crie : au revoir cher ami !… Merci pour votre amabilité, courtoisie et l’amitié que vous m’aviez témoigné dans le cours de nos rapports. Et j’ajoute à plein gosier :
Vive Fernand Xau !
Vive le Journal !
Votre immuablement dévoué,
Caran d’Ache
47 rue de la Faisanderie.
Il émane de cette lettre une exagération forcée qui, se voulant bouffonne, ne dissimule pas une certaine gêne et un malaise évident. Quand Caran d’Ache justifie son besoin impérieux de gagner de l’argent par ses addictions aux femmes et aux courses, on peut le croire sur parole. Quand il évoque les maisons mal famées, la question peut se poser mais on reste dans le domaine du vraisemblable. Quand il parle du jeu et des boissons fortes, là il est nettement moins crédible. Mais avec les petites filles et les petits garçons, voulant faire de l’humour, il sombre lamentablement en plein mauvais goût. Caran d’Ache avait ses défauts et ses parts d’ombre, comme tout un chacun, mais si l’on se réfère à tout ce que nous savons sur lui, aucun élément connu ne laisse penser qu’il ait eu à un moment quelconque des penchants pédophiles.
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Caran d’Ache n’est pas le seul dessinateur que Le Figaro publiera, loin de là. Forain en sera aussi un pilier avec son Doux Pays, chronique acerbe et cruelle – à son image. D’autres, comme Abel Faivre, Albert Guillaume, Sem… verront également leurs dessins dans les colonnes du grand quotidien. Cependant il faut bien constater qu’Emmanuel aura droit à un traitement de faveur, bénéficiant d’une immense liberté dans le choix des sujets, dans la forme pour les traiter, et dans la surface (très variable) lui étant nécessaire. En comparaison, ses petits camarades devront se contenter de portions plus congrues.
Une autre clause de son contrat au Figaro stipule qu’Emmanuel conserve la propriété de ses dessins, ainsi que tous les droits de reproduction. Cette disposition, très inhabituelle pour l’époque, démontre le poids que sa notoriété lui conférait au moment de négocier ses conditions. Dans ce domaine au moins, l’exemple de Bob Walter semble lui avoir été profitable… Le futur roi d’Angleterre Édouard VII (prince de Galles « tout pissé ») lui achètera des dessins originaux pour le prix de 675 francs pièce, et on estime que le dessinateur gagnait annuellement une quarantaine de milliers de francs à cette époque de sa vie, somme considérable en ce temps-là.
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Et soudain, voilà-t-y pas que nous retrouvons notre Caran d’Ache auteur de music-hall ???…
Le Nouveau-Cirque a donné, la semaine dernière, sa revue annuelle, montée, comme toujours, avec beaucoup de goût et défendue par un bataillon de très jolies femmes. Ce sont MM. Caran d’Ache et Fordyce qui, cette saison, se sont chargés de nous présenter les événements de l’année. Gros effet pour l’entrée du cirque romantique, la voiture automobile, le divertissement des clubs, les princes nègres, les chanteurs des cours et, enfin, pour la Savoyarde, apparaissant dans une apothéose très réussie.
(Le Ménestrel, 8 décembre 1895)
Continuant une annuelle tradition, (…) le Nouveau-Cirque nous donnait, hier, sa revue de fin d’année. De celle-là on ne saurait pas dire que c’est « l’erreur de deux hommes d’esprit qui prendront leur revanche » car Paris-Parade est vraiment très amusant. (…)
Tout cela présenté par Mlle Rentz, la commère, Footitt, le compère, (…) saupoudré de la musique enivrante et capiteuse de Laurent Grillet, chef d’orchestre et maëstro plein de vaillance (…)
(L’Intransigeant, 1er décembre 1895)
Surprenant, non ?… Et pourtant pas tant que ça, si l’on y réfléchit bien. Paris-Parade est également qualifié de pantomime équestre, et quand on connaît le goût d’Emmanuel pour le cirque (surtout avec des chevaux), pour les mondanités (encore à cette époque), et si l’on rajoute à ça la présence d’un bataillon de très jolies femmes, tous les ingrédients ne sont-ils pas réunis pour susciter son intérêt ?… De plus, il avait déjà travaillé pour le Nouveau-Cirque, deux ans auparavant, en dessinant les costumes et l’affiche de la pantomime Pierrot soldat, interprétée par Foottit, l’un des clowns-vedettes qui formait alors un duo très célèbre avec son partenaire Chocolat (13).
Thérèse Rentz (ou Renz) était une amazone écuyère, parmi les plus renommées à cette époque. Quant à Fordyce (pseudonyme d’Arnold-Jules Aronsohn), comédien de music-hall et coauteur de ce spectacle, il avait joué, en 1893, dans une autre revue intitulée Paris Partout, dont Caran d’Ache avait fait un dessin pour le programme. Il se reconvertira plus tard dans la publicité.
Autre témoignage concernant Paris-Parade :
(…) Les auteurs, Caran d’Ache et Fordyce, auraient été ravis, s’ils l’avaient, comme moi, entendu raconter à la sortie, par un petit garçon qui s’y était énormément amusé, et qui, malgré l’heure tardive, n’avait pas cligné de l’oeil une seconde. Voici son enfantin et authentique récit : « Il y a un cirque qui arrive avec de la musique et une belle dame dedans la voiture dorée ; et puis Footitt qui donne des coups de pied dans le derrière de Chocolat ; la belle dame, quand elle parle, elle fait des gestes ronds comme si elle était à ceval ; les gens arrivent tout nus, en caleçon, avec un chapeau de paille parce qu’il fait très chaud, et puis une petite voiture avec un petit ceval, l’homme dételle le petit ceval et le met dans la voiture, et puis il traîne la voiture lui-même, pourquoi, tu dis ?
– Parce qu’il est membre de la Société protectrice des animaux.
– Ah ? Ça m’est égal ! Et puis un homme en voiture à vapeur, sans vapeur, qui marche avec ses pieds ; et puis une somnambule qui dit la bonne aventure à une danseuse qui a des bandeaux ; et puis Chocolat reçoit encore des coups de pied au derrière par Footitt. Il est d’un drôle, Footitt, maman ! Après, il vient des rois nègres dans une voiture ; Chocolat il vient leur parler, mais les rois ils sont en carton ! Ah ! Ah ! Après il vient un homme tout blanc, comme une statue, qui fait des gestes. Qui c’est ?
– C’est un député pour la Voie triomphale.
– Ah ? Ça m’est égal. Et puis des chanteurs des cours ; et puis à la fin, une cloche avec des anges qui volent en l’air. Ça, c’est très joli. Pourquoi que tu l’appelles la Savoyarde ? Puisqu’elle est toute blanche ! Et puis, je me suis bien amusé ! Voilà ! »
Êtes-vous content, Caran d’Ache ?
(Le Figaro, 1er décembre 1895)
Seul, dans ce concert d’articles élogieux, un critique signant « Pollux » se montre d’humeur plutôt grognonne :
(…) entre nous, le cirque est-il un endroit bien choisi pour y représenter une revue d’événements parisiens ? Et puis, si les dessinateurs et les acteurs se mettent à faire des pièces, que restera-t-il à faire aux auteurs ?
(Le Pêle-Mêle, 5 décembre 1895)
À la mi-janvier 1896, la revue Paris-Parade a dépassé les 65 représentations. Elle se prolongera jusqu’à la fin du mois et il est dommage de ne pas posséder de témoignage visuel de ce spectacle, aucune affiche n’étant parvenue jusqu’à nous (14).
Techniquement, il n’aurait pas été impossible d’en tourner un petit film car le cinématographe Lumière vient de naître juste au même moment : le 28 décembre, lors de la première projection payante, les spectateurs parisiens présents au salon indien du Grand Café assistèrent (entre autres) à la sortie des ouvriers (et surtout des ouvrières, beaucoup plus nombreuses) de l’usine Lumière. Puis, un mois plus tard, ceux de Lyon se retrouvèrent soudain transportés pendant quelques secondes sur le quai de gare de La Ciotat et virent – avec étonnement, surprise, ou effroi pour certains – un train se diriger droit sur eux ! Considérée au départ comme une simple attraction de foire, cette nouvelle invention va néanmoins rapidement connaître un succès fulgurant. En 1900, les frères Lumière fixeront sur la pellicule six numéros de Foottit et Chocolat. Pourtant, et étrangement eu égard à son enthousiasme pour le théâtre d’ombres, le cinématographe semble avoir laissé Caran d’Ache totalement indifférent car jamais il n’en fera allusion dans ses pages (15).
Alors, pourquoi ce désintérêt pour le cinéma, alors que lui-même, l’été précédent, vient de réaliser une invention originale ?
Après plusieurs mois de recherches, (Caran d’Ache) vient de mettre la dernière main à tout un système de diorama des plus ingénieux. L’architecture, la sculpture et la peinture s’y allient à la mécanique pour offrir des scènes panoramiques d’une actualité quotidiennement renouvelée.
C’est un art entièrement nouveau et qui est appelé à un vif succès si nous en croyons les impressions de quelques intimes qui ont pu pénétrer dans l’atelier de Caran d’Ache et y admirer les scènes en question.
(Le Figaro, 5 juillet 1895)
Il est hélas impossible, d’après ces seuls et vagues renseignements, de se faire une idée précise quant à cette invention. Bien des années plus tard, Arsène Alexandre se souviendra encore de ces « superbes essais de dioramas qui eussent constitué des spectacles amusants et splendides », regrettant qu’aucun commanditaire ne s’y soit intéressé. Probablement l’engouement bien compréhensible pour l’invention révolutionnaire des frères Lumière fut-il fatal aux dioramas de Caran d’Ache, d’où, peut-être, un sentiment de dépit de sa part…
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Dans la foulée de Paris-Parade, Emmanuel reçoit une autre commande théâtrale et lyrique : dessiner des costumes de cyclistes pour l’opérette Monsieur Lohengrin (16). Œuvre légère comme il s’en écrit alors des quantités industrielles dans le sillage d’Offenbach (le génie et l’humour en moins), on la doit à Messieurs Fabrice Carré pour le livret et Edmond Audran pour la musique. Quatre ans plus tôt, un projet de ballet avait déjà réuni Caran d’Ache et Edmond Audran, ainsi que le chroniqueur et humoriste Étienne Grosclaude, mais sans concrétisation finale. Monsieur Lohengrin sera représenté au théâtre des Bouffes Parisiens avant de sombrer dans un oubli sépulcral d’où seul l’intérêt pour Caran d’Ache le fera brièvement émerger, le temps de cette évocation.
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Caran d’Ache publie ensuite Guerriers et Soldats, avec des textes de Montfrilleux (pseudonyme du journaliste et écrivain Jérôme Doucet). Tiré d’un numéro spécial du Rire, ce très mince album présente quelques armées de l’Histoire en un raccourci saisissant de huit illustrations, dont certaines n’auraient pas été reniées par Dubout du point de vue des foules de personnages. Des Hébreux aux Cosaques, le dessinateur déploie encore ici toute la palette de son talent.
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Du 5 au 8 octobre 1896, Nicolas II et son épouse effectuent en France une visite officielle au cours de laquelle, pour sceller l’amitié franco-russe, le tsar doit poser la première pierre d’un nouveau pont parisien baptisé Alexandre III en l’honneur de son père. Salis, de son côté, conçoit le projet un peu barjot d’organiser une représentation du Chat Noir pour le monarque au camp de Chalons où celui-ci doit passer une revue. Bien évidemment L’Épopée serait au programme. Malgré le culot de Salis et sa faculté à soulever les montagnes, nous n’avons aucun indice que cette chimère se soit concrétisée mais, le mois suivant, il aura un lot de consolation avec un échantillon de la crème aristocratique russe qui « daigne » lui rendre visite en son cabaret :
Pour la seconde fois, cette semaine, au Chat Noir, la grande-duchesse Vladimir de Russie assistait, avec sa suite et quelques personnages de l’ambassade russe, à la ravissante représentation de lundi.
Elle a daigné adresser au bon gentilhomme R. Salis toutes ses félicitations pour le plaisir qu’elle éprouvait à cette soirée d’art. Le programme va être prochainement modifié. Avis à ceux qui n’ont pas encore vu le superbe Sphinx de Fragerolle et L’Épopée de Caran d’Ache.
(Le Gaulois, 17 novembre 1896)
Quoi qu’il en soit, cette lune de miel politique et diplomatique rend Caran d’Ache très fleur bleue ; il voit des nuées de cœurs migrer entre « ses » deux pays, deux des personnages représentés osant même en offrir à l’Alsace et à la Lorraine sous le regard courroucé d’un vieux Prussien.
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L’année suivante, Salis meurt à l’âge de 45 ans. En 1893, désireux de se retirer dans sa propriété de Naintré, au sud de Châtellerault, il avait tenté de vendre Le Chat Noir pour la somme de 60 000 francs. Mais la reprise fut un échec, les acheteurs ne parvinrent pas à payer et Salis, après avoir obtenu l’annulation de la vente, rouvrit son cabaret le 4 novembre 1894.
Malheureusement, l’Âge d’Or du Chat Noir était bel et bien révolu. La taverne connaissait une certaine désaffection de la part du public, des artistes qui firent sa gloire, et les jeunes générations ne vinrent pas remplacer les Grands Anciens (d’où, peut-être, cette tentative désespérée de faire un gros coup de pub avec Nicolas II…) À n’en pas douter, Salis était lui-même fatigué de cette vie et devait déjà ressentir les premiers signes de la maladie. Mais il était devenu indissociable – voire prisonnier – de la « créature » qu’il avait engendrée et qui, après une quinzaine d’années d’existence seulement, n’allait pas tarder à devenir une légende.
Si solide qu’il eût été, l’organisme de Rodolphe Salis n’a pu résister à sa vie de tavernier. Les années de champagne comptent double, elles aussi, les nuits de Montmartre, les multiples bocks vidés d’un seul trait qu’il ne pouvait refuser, à moins de blesser les clients qui l’invitaient. (…) Puis vint la dernière tournée (17). (…) La petite troupe quitte Paris le 11 mars 1897 et donne le soir même à Versailles sa première représentation. À peine remis des fatigues de sa précédente tournée, Salis, qui ne mange plus, torturé par une incoercible diarrhée, tient à faire l’écrasant boniment de l’Épopée. Il en est de même le lendemain à Chateaudun. (…) Salis, le teint jaune, les traits crispés, après une syncope qui a marqué l’entracte, cherche à lancer pour la dernière fois les terribles commandements du drame napoléonien. Il est haletant, à peine si sa voix porte.
Le 14, à Angers, il est forcé de s’aliter. Un médecin est appelé et diagnostique une tuberculose intestinale à marche rapide. (…) Mme Salis décide de ramener son mari à Naintré – cinq heures de trajet par un train omnibus – dès qu’il sera transportable.
(Pierre Dufay. « Au temps du Chat Noir »)
Le 17 mars, Salis, mourant, est rapatrié dans sa maison de Naintré. Il s’éteint le 19, à trois heures du matin, après avoir jeté un dernier regard à ses collections et à sa bibliothèque.
C’est la fin du Chat Noir historique.
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Deux ans plus tard, le cabaret sera racheté par un chansonnier montmartrois, Henri Dreyfus, alias Fursy, qui le rebaptisera « La Boîte à Fursy ». Puis, encore plus tard, passeront là des promoteurs immobiliers, gens d’affaires, de finance et de spéculation pour qui un lieu, même chargé d’histoire et de culture, n’a aucune autre valeur que celle du profit estimé sur le marché ; sinistre espèce d’individus capables, sans aucun état d’âme, de faire disparaître à jamais des monuments et immeubles historiques appartenant au patrimoine commun (18). Aujourd’hui, le 12 rue Victor Massé n’est plus qu’un immeuble d’habitations, laid et tristement quelconque. Seule, une modeste plaque apposée sur la façade indique à des passants indifférents que cette adresse abrita jadis le célèbre Chat Noir de Rodolphe Salis.
En 1907, un troisième Chat Noir ouvrira au 68 boulevard de Clichy. N’ayant rien à voir avec celui de Salis, mais exploitant sans vergogne sa légende, il fermera en 1933.
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La collection de Salis fera l’objet de trois ventes aux enchères qui se tiendront en avril 1897, mai 1898 et mars 1904. Parmi les œuvres dispersées se trouveront 15 dessins, 3 aquarelles et 4 épreuves de Caran d’Ache. L’Épopée réapparaîtra sporadiquement par la suite, comme en 1900 à La Maison du Rire, puis fin 1908-début 1909 à La Lune Rousse, et en 1910 à La Cigale. Dans les années 1920, le théâtre de la Potinière l’exhumera pour en donner une série de représentations… Les plaques en zinc, après être passées entre les mains des héritiers de Salis, seront vendues à des particuliers. Depuis les années 1960, certaines sont visibles au Musée de l’Armée. D’autres sont conservées aux musées Carnavalet, d’Orsay, de Montmartre, à ceux de Châtellerault et Brive, ainsi que dans quelques collections privées.
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Le 4 mai 1897, un terrible incendie ravage le Bazar de la Charité, tuant 125 personnes, la plupart appartenant à une haute société qui en restera longtemps traumatisée. Cinq jours plus tard, le cirque Molier s’embrase à son tour, sans faire de victimes cette fois. Tous les chevaux et les trois chameaux ont pu être évacués, mais le hangar aux fourrages d’où est parti le feu, les écuries et une partie de la salle sont détruits. Contraint d’entreprendre d’importants travaux de reconstruction, le directeur Ernest Molier va solliciter Caran d’Ache et Forain pour concevoir les décors de la nouvelle salle de son cirque. Hélas, aucun document visuel ne nous en est parvenu…
Dans le même temps, le Kaiser Guillaume II se rend à Metz, ville allemande, pour passer son armée en revue. Un journaliste du Figaro est envoyé sur place pour couvrir l’événement. Caran d’Ache, toujours passionné d’uniformes et de défilés militaires, saute sur l’occasion et accompagne le reporter sur les terres de ses ancêtres Poiré. Mais le temps est exécrable et la revue s’éternise pendant des heures sous une pluie battante. Avant de repartir, les deux amis s’attardent un moment dans une ambiance de plomb.
(…) nous errons tristement, le cœur tenaillé de mille souvenirs, sur ce champ de bataille si glorieux pour les armées françaises, cueillant, pour les ramener aux amis de France, des fleurs sur les nombreux petits tertres gazonnés surmontés d’une simple croix de bois (…)
(Le Figaro, 14 mai 1897)
Le retour est des plus moroses jusqu’à la frontière, où la simple vue de soldats français suffit à leur redonner du baume au cœur…
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Un hebdomadaire humoristique, Les Romans pour rire, daté du 29 août 1897, rapporte l’anecdote suivante :
Au moment de partir pour les fêtes du Félibrige, où il est allé croquer des Arlésiennes, Caran d’Ache, accompagné à la gare par un groupe de camarades, prend à part l’un d’entre eux, devant le guichet, et lui murmure :
– Sais-tu quel est le nez le plus gras du monde ?
– C’est celui de Léon XIII.
– Non, le pape a un pif remarquable ; (…) Mais c’est un nez majestueux, et non un nez gras.
– Alors ?…
.– Eh bien, sans erreur aucune, c’est la Légion d’honneur.
– Comment ! La Légion d’honneur ?…
– Eh oui, c’est le plus beau de tous les ordres.
– Soit ; mais quel rapport trouves-tu ?…
– Or ça, mon cher, est-ce qu’on ne dit pas à tout propos que le plus beau des ordres est un nez fait de lard ?
– L’employé à la distribution des billets, qui a entendu cette atrocité, en a eu un tel trouble qu’il a donné à Caran deux billets au lieu d’un.
Si cette anecdote est vraie – admettons qu’elle le soit –, elle indique trois choses : 1) le goût prononcé de Caran d’Ache pour les jeux de mots les plus foireux, penchant qu’il partage avec Alphonse Allais ; 2) la place que tient la Légion d’honneur dans ses pensées ; et 3) un voyage en Provence (manifestement seul), sous un prétexte professionnel étonnant car, de prime abord, on ne l’aurait pas imaginé s’intéressant à la culture méridionale sauce Mistral. Mais rien n’empêche de penser qu’il ait joint l’utile à l’agréable car il y a diverses façons de comprendre l’expression « croquer des Arlésiennes » (19)…
Or, le 2 août précédent, Le Figaro avait publié un Lundi comportant une indication rarissime chez le dessinateur : juste sous sa signature, il écrit « Le Tréport », nous révélant la ville où cette planche a été dessinée.
Rajoutons à ça que début juin il est à Paris où il assiste à un duel, après quoi il part avec Henriette à Guernesey chez Georges Hugo. Puis, fin juin, à bord d’un yacht luxueux, le « Tritonia », le couple Poiré, le couple Forain et le couple Georges Hugo admirent les grandes festivités données à Portsmouth pour le Jubilé de diamant de la reine Victoria. On le retrouve ensuite aux fêtes du Felibrige fin août, et on le repère enfin de nouveau à Guernesey avec Henriette, début septembre. Ouf !!!
Récapitulons : Metz en mai, Paris début juin, Guernesey vers mi-juin, puis Angleterre fin juin, Normandie fin juillet-début août, Provence fin août, et re-Guernesey dans la foulée… Même s’il avoue aimer voyager, Caran d’Ache semble avoir eu une sacrée bougeotte en cet été 1897 !
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Pendant ce temps, l’idylle franco-russe se poursuit dans l’enthousiasme avec le voyage officiel du président de la République Félix Faure à Saint-Pétersbourg, répondant à celui de Nicolas II, l’année précédente.
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Au cours de cet été 1897 décidément bien chargé, s’élabore également un projet original dans la perspective de la prochaine Exposition universelle : sous la houlette d’un architecte, Henri Grandpierre (20), Caran d’Ache et son pote Jean-Louis Forain commencent à plancher sur le sujet d’une « rue de Paris de 1789 à 1900 ». Ce panorama a l’ambition d’être comme un kaléidoscope vivant d’une rue parisienne, avec toutes les transformations et les embellissements apportés sur un siècle, depuis la chaise à porteurs et la brouette jusqu’à la bicyclette et l’automobile, depuis la lanterne jusqu’au bec de gaz, depuis l’échoppe du coin de rue jusqu’aux grands magasins. Le concept de cette rétrospective n’est pas sans présenter un lointain rapport avec celui de l’album Nos soldats du siècle.
Mr Mesureur, le rapporteur du projet, écrit :
La rue de Paris avec son architecture, ses mœurs, ses marchands, son peuple et ses costumes aux époques typiques de notre siècle ne peut manquer d’offrir un vif intérêt pour nous et nos visiteurs de 1900. Nous vous demandons de retenir ce projet pour une étude plus complète.
Nous ne pouvons que nous montrer satisfaits de voir MM. Forain et Caran d’Ache faire une trêve un moment à la satire souvent injuste, mais toujours cruelle, des hommes et des choses de la République, pour se consacrer à une œuvre qui sera peut-être moins lucrative, mais qui leur fera plus d’honneur.
Nous les aiderons à monter leur projet. Nous leur prouverons que la République n’a pas de rancune et que la France est toujours un « doux pays » (21) pour les hommes d’esprit et les artistes, sinon pour les hommes politiques.
(Cité dans Le Temps, 9 août 1897)
Tout ceci ressemble fort à un plaidoyer de clémence pour incartades passées, mais qui ne semble pas exempt d’arrières pensées…
De son côté, le journal La Souveraineté Nationale fulmine :
On cherche un clou pour 1900. (…)
Voici maintenant un projet classé parmi les sérieux : il est de Caran d’Ache et Forain, pistonnés par Le Figaro, journal de toutes les aristocraties réactionnaires et républicaines. (…)
– Mesureur, qui est malin et qui voudrait se ménager les bonnes grâces des deux maîtres du crayon et de la satire, affirme que c’est une bonne idée. C’est que M. Mesureur (…) se souvient des volées de bois vert appliquées sur son échine maigre par le Figaro, Caran d’Ache et Forain. S’il pouvait amadouer les deux terribles compères et faire plaisir au journal de la rue Drouot !
(…) il me semble que tous ces projets rétrospectifs, y compris la rue de MM. Caran d’Ache et Forain, devraient être écartés.
(La Souveraineté nationale, 9 août 1897)
Alors ? Nos deux compères sont-ils venus, repentants et contrits, la tête basse, la queue entre les jambes (mais se mordant les lèvres pour ne pas pouffer), solliciter la faveur de se racheter aux yeux de la magnanime République ?… Ou ce Mr Mesureur saisit-il l’occasion de ce projet pour tenter d’adoucir ceux qui l’ont malmené dans leurs publications ?… Il est probable que tout ce petit monde avait des intérêts divers et variés pour fumer le calumet de la paix – du moins pendant un temps.
À la mi-août, le projet est annoncé comme faisant partie des rares retenus par les membres de la commission. Ces messieurs viennent d’en examiner deux cent onze, parmi lesquels la plupart sont irréalisables ou complètement farfelus : construction d’une seconde tour Eiffel, d’une maison de trois cents mètres, d’une balançoire géante pour deux cents personnes, d’un tramway-ballon, d’un chemin de fer flottant, d’un mode de transport dans lequel on voyagerait la tête en bas, d’un sanatorium sur le Champ-de-Mars… on a également droit au projet homérique d’un immense cheval de bois à l’intérieur duquel une foule grouillante pourrait entrer… bref, beaucoup de tout et encore plus de n’importe quoi.
À la fin de l’année, le travail se poursuit toujours :
– Forain, Caran d’Ache et H. Grandpierre, après des recherches à la Bibliothèque nationale et à Carnavalet, ont terminé leurs études. Ils remettront sous peu de jours à M. Picard, commissaire général de l’Exposition, un ensemble de la « Rue ».
(Le Journal, 6 décembre 1897)
Emmanuel mentionne encore ce projet à une journaliste anglaise venue l’interviewer pour The Strand Magazine au tout début de 1898 ; puis le journal Le Génie Civil du 23 septembre 1899 mentionne un « Pavillon de Forain et Caran d’Ache » comme faisant partie des nombreuses attractions de La Rue de Paris (ce qui suggère un net amoindrissement par rapport au projet initial) ; et ensuite… silence radio ! L’entreprise s’est visiblement perdue dans des limbes trianglo-bermudiennes, et les chroniques relatant la présence de Caran d’Ache à l’Expo 1900 ne le désigneront que comme simple visiteur.
Tout ceci fut-il abandonné pour une simple question de budget ?… Peu probable : on n’attend pas le dernier moment pour évaluer le coût d’une telle opération. Ou est-ce la tornade de l’affaire Dreyfus attisée par le virulent engagement de Forain et Caran d’Ache qui emporta la rue de Paris ?… En tout état de cause, la magnanime République ne donna finalement pas aux deux garnements la possibilité d’œuvrer pour elle – ce qui ne les assagit pas du tout !
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L’automne 1897 voit une interruption des Lundis entre fin septembre et début novembre. Cette absence correspond exactement au retour de Caran d’Ache dans les colonnes du Journal pour honorer un ancien engagement : illustrer Le Cruel Vatenguerre, un feuilleton de l’auteur dramatique, poète et chroniqueur Émile Bergerat.
Bergerat est une vieille connaissance d’Emmanuel : sous la casquette de rédacteur-en-chef de la Vie Moderne, il fut l’un des premiers à publier des dessins du caporal Poiré en 1880, et, quelques années plus tard, il écrivit, sous le pseudonyme d’Ariel, des chroniques illustrées par Caran d’Ache dans L’illustration.
Partie sur les chapeaux de roues le 2 octobre, et à grand renfort de publicité, la publication quotidienne va pourtant s’interrompre brusquement et sans explication trois semaines plus tard. Est-ce Emmanuel qui abandonna ce travail une nouvelle fois pour des motifs inconnus, ou a-t-il été débarqué en raison de ses prises de position dans l’affaire Dreyfus (22) ?… Un article du journal La France y reviendra quelques mois plus tard :
Caran d’Ache est antidreyfusiste (sic) parce que, étant caporal, ses hommes le forçaient à « balayer la chambrée ». Il rêve d’une armée de soldats « bien habillés ! » – Il aurait mieux fait de moins rêver et de ne pas provoquer le fiasco du remarquable roman de Bergerat, Va-t’en-guerre, par suite de l’incohérence et de la banalité de ses dessins ; – (involontaires ?)
(La France, 24 mai 1899)
Explications pour le moins bizarres, voire confuses, en tout cas à considérer avec du recul et à remettre dans le contexte chaud-patate de l’époque. Si le livre de Bergerat a fait un « fiasco », pourquoi en imputer la responsabilité à Caran d’Ache ? Et s’il était aussi « remarquable » que ça, pourquoi aurait-il fait un fiasco ? Et pourquoi descendre en flammes les quelques dessins – qui n’ont rien de déshonorant – réalisés et publiés dans Le Journal ? Et si les dessins étaient jugés aussi mauvais que ça, pourquoi ne pas se réjouir que le livre ne les ait pas contenus ?… Bref.
Retour manqué, donc. Il faudra attendre encore deux ans pour voir Caran d’Ache reprendre sa collaboration hebdomadaire au Journal, parallèlement au Figaro. Quant au « remarquable » roman de Bergerat, il sortira en librairies l’année suivante, sans aucun dessin, et, comme cela a été dit, il n’aura aucun succès.
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En mai 1898 se tient, à la Fine Art Society de Londres, l’exposition « Caran d’Ache’s Caricatures ». L’événement est remarquable à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’il s’agit là de la seule exposition qui lui sera exclusivement consacrée de son vivant ; ensuite parce qu’elle se tient en Angleterre, pays pour lequel le dessinateur ne ménage ni ses critiques, ni ses railleries acerbes (23). Mais les Britanniques, indulgents, paraissent plus enclins à applaudir le talent de l’humoriste qu’à lui tenir rigueur de ses saillies politiquement incorrectes !… A-t-il fait le voyage pour assister au vernissage de son expo ? C’est plus que probable, bien qu’aucun document connu ne vienne le confirmer.
Pour l’affiche, Caran d’Ache conçoit au moins deux dessins. Tout d’abord il se représente faisant la courbette devant un personnage royal qui n’est ni la reine Victoria (caricaturer la Queen sur ses terres eût à coup sûr été perçu comme une shocking provocation, voire un fucking crime de lèse-majesté !), ni l’héritier du trône, le pas-encore-roi Édouard VII, prince de Galles « tout pissé » qui venait jadis faire la bamboula au Chat Noir.
Non, ce personnage est en fait Mister Punch, la mascotte du magazine humoristique et satirique Punch, célèbre hebdomadaire britannique publié depuis 1841 et faisant à ses débuts ouvertement référence au Charivari français. Pour l’autre version de son affiche, Caran d’Ache supprime la révérence un tantinet obséquieuse devant Mister Punch, préférant se dessiner en train de manipuler une figurine représentant l’ennemi commun aux deux pays : le Kaiser Guillaume II himself avec sa tête d’aigle.
L’inauguration a lieu le 30 avril.
Toute la société anglaise s’y est précipitée.(…) Caran d’Ache expose environ deux cents dessins, fusains, aquarelles et caricatures. Parmi ces dernières, celles qui obtiennent le plus de succès sont les charges de l’empereur d’Allemagne en aigle (…) Le prince de Galles, qui a été un des premiers visiteurs, s’en est beaucoup amusé.
(Le Figaro, 5 mai 1898)
Le prince de Galles a acheté hier à Londres, à l’exposition de Caran d’Ache, deux dessins : une Parade à Potsdam et une Charge de hussards du premier Empire.
Cette exposition de dessins a un énorme succès à Londres.
(Le Figaro, 8 mai 1898)
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Est-ce vers la même époque que The Cosmopolitan, journal américain du groupe Hearst, contacte Caran d’Ache pour solliciter ses services ? Séjournant Villa des Freiches, à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes « du Nord » – aujourd’hui « d’Armor »), il répond par un billet une fois de plus non daté :
Monsieur,
À mon grand regret je ne pourrai avoir l’honneur de vous voir qu’à mon retour à Paris c’est-à-dire vers le 7 octobre.
En principe, je serai très heureux de collaborer dans Le Cosmopolitain car je n’ai eu qu’à me louer de nos amis les Américains.
Pourtant, malgré cette bonne entrée en matière, les choses semblent en être restées là… Sa renommée, en tout cas, a dépassé les frontières des continents et son nom est désormais connu de la Russie jusqu’aux États-Unis.
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Parmi les nombreux salons du palais de l’Élysée, il en est un particulièrement charmant, le « salon d’argent » de Caroline Bonaparte, épouse du maréchal d’Empire Joachim Murat, et sœur de qui vous savez (24). Le président Félix Faure a choisi ce boudoir pour abriter en toute discrétion ses amours adultères et, en ce 16 février 1899, il y rejoint sa maîtresse, Marguerite Steinheil. Or, quelques instants et gâteries fellatoires plus tard, l’heureux « Félisque » est pris d’un malaise et trépasse, pendant que celle que la postérité retiendra sous le surnom de « la pompe funèbre » est évacuée par une porte dérobée.
« Il voulait être César, il ne fut que Pompée » aurait dit Georges Clémenceau en guise d’oraison… Apocryphe ou pas, cette saillie drôlatique, colportée par les chansonniers de l’époque, connaîtra un grand succès.
Le nouveau président de la République sera Émile Loubet, l’ancien ministre de l’Intérieur qui avait dû démissionner lors du scandale de Panama. Comme quoi, on trouve davantage de revenants dans le monde politique que de fantômes, spectres, vampires et autres zombies dans toute la littérature fantastique.
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Concernant le couple Poiré, il est nécessaire de revenir sur un fait objectif : même si l’usage du temps veut que le rôle des femmes « de la bonne société » soit discret et effacé – c’est-à-dire qu’il se limite à être des potiches –, dans les chroniques consacrées au dessinateur, dans ses propos nous étant parvenus, les allusions à son épouse Henriette sont rarissimes. On sait qu’à l’été 1897 Emmanuel l’a emmenée à Guernesey chez Georges Hugo où le couple Forain était également invité ; puis, l’année suivante, le dessinateur confie à la journaliste anglaise du Strand Magazine venue l’interviewer, avoir depuis deux ans persuadé sa femme de l’accompagner lors de ses promenades cyclistes au Bois de Boulogne ou en excursion sur les chemins de Seine-et-Oise (25)… et c’est à peu près tout. Cet « effacement » est encore plus flagrant en ce qui concerne l’iconographie : nous possédons des photos de Caran d’Ache seul, ou avec Bob Walter lorsqu’ils étaient en couple, mais d’Henriette, que ce soit avec ou sans son mari, rien du tout, que dalle, nada, nitchevo ! Ce qui est évident en tout cas, c’est que le mariage n’a pas fait renoncer Caran d’Ache à ses habitudes de sorties, à ses voyages (seul ou avec des amis), ainsi qu’à ses participations aux soirées de fêtes et de bals. Vu de l’extérieur, on aurait presque l’impression qu’il est toujours célibataire ! Dans la presse française, il peut arriver que les rubriques mondaines mentionnent la présence de « M. et Mme Caran d’Ache » au milieu d’interminables listes d’invités à des réceptions mais, le plus souvent, Emmanuel et Henriette sont cités séparément, notamment (en ce qui la concerne) lorsqu’elle séjourne en été dans des lieux huppés de villégiature, habitude qu’elle gardera au moins jusqu’en 1907 (26).
Alors, à part une cohabitation sous le même toit et des virées vélocipédiques dans la nature, que partagent-t-ils encore au juste ?… La rumeur prête à Caran d’Ache des liaisons ancillaires, et lui-même ne craint pas de l’alimenter en se dessinant parfois sous les traits de divers avatars qui portent son nom, lutinant avec empressement d’accortes servantes.
Caran d’Ache, en veston rose et gilet jaune, dessinait des Napoléon et des grognards en répétant : « C’est dlôle, ça, t’sais. » Il disait aussi : « J’suis l’inspecteur des chambres de bonnes du XVIe arrondissement. » C’était vrai.
(Léon Daudet, Souvenirs littéraires, politiques, artistiques et médicaux, 1914)
Léon Daudet se souvient également de Caran d’Ache laissant sa petite amie – jamais la même – l’attendre dans l’antichambre du Figaro en lui disant : « r’garde les images et n’parle à personne ! »
Plusieurs fois, je suis allé (chez Maxim’s), pour souper, notamment en compagnie de Caran d’Ache. La population masculine était grossière (…), la population féminine pittoresque et délurée. Les gens dont le métier est de ne rien faire étaient là généralement très occupés, et l’on voyait Caran, en habit et gilet « crème », sur le coup de deux heures du matin, avec une petite sur chaque genou.
(Léon Daudet)
Les femmes ne sont pas insensibles à sa prestance et ce n’est pas pour lui déplaire, surtout si elles sont plantureuses. Un jour, il dit à Forain : « Mon vieux, il y a dans la rue Malar une crémière… Ah, si tu la voyais !… Elle a une gorge épatante ! Elle a l’air d’une femme de quarante ans, et elle n’en a que vingt ! »
La foule apprit que Caran d’Ache (…) était beau comme le jour, qu’il inspirait des passions fatales aux nourrices du jardin des Tuileries…
(Adolphe Brisson, Nos humoristes, 1900)
Les femmes le regardaient avec cette satisfaction que de rares dissimulent tout à fait devant ces grands garçons musclés et blonds qui évoquent des impressions de santé et d’action. (…)
Il était bâti à chaux et à sable, il avait l’air d’un cosaque adopté par un tailleur français.
(L’Écho de Paris, 1er mars 1909)
Caran d’Ache (apparaissait) fleuri, le cheveu soigneusement aplati, en veston clair, à la dernière coupe, avec son œil farceur, hypocritement réservé quand il parlait aux dames, mais les déshabillant en une seconde comme l’experte nounou fait d’un poupon.
(Léon Daudet)
Femme du monde…demi-mondaine…théâtreuse…première de grande maison…on peut hésiter. Et rien n’est ennuyeux pour un galant homme, mettons même un homme galant, comme de se tromper.
Souvent aussi la dame est accompagnée d’une amie ou d’un monsieur farouche et, alors, comment engager les premières « hostilités »? – d’autant que l’on ne sait pas ce qui se passe derrière la palissade d’une voilette et l’on peut être rembarré.
Passer une carte ? Cela pourrait être grossier, compliqué et dangereux.
Lui, dans son portefeuille, il avait toujours la bande d’un journal auquel il était abonné, et négligemment, dans ces occasions, après les premiers regards, il la laissait tomber aux pieds de la jolie femme.
L’amant ou le mari le plus jaloux, eût-il vu le geste, n’avait rien à lui reprocher. Et souvent trois jours après, il était bel et bien cocu !
(La Vie Parisienne, 6 mars 1909)
Toqué tantôt d’une crémière de la rue de l’Université, tantôt d’une femme de chambre de Passy, tantôt d’un trottin de la rue Royale, il rôdaillait tout le jour en quête d’aventure… On le découvrait, par les jours de pluie, sous les portes cochères, un carton à dessin sous le bras, guettant la dame du premier, à son défaut la cuisinière du second, l’épicière d’en face, l’employée de l’épicière, tenant la tête légèrement inclinée, confit en mélancolie et en politesse.
– « Tu vas attraper un rhume. Tu as les pieds dans l’eau »
– « Bah ! les grenadiers de Napoléon en ont vu d’autres. Tu vas tout me faire manquer ».
Tel le pêcheur à la ligne que l’on dérange au moment où ça mord.
Ses mésaventures étaient nombreuses. Un soir, relancé dans une soupente, à Auteuil, par une grosse dame ivre de rage, à cause du retard motivé de sa jeune bonne, Caran avait fui en chaussettes, à peine pantalonné, ses bottines à la main. Il racontait cela avec gravité, ajoutant que la concierge émue s’était montrée maternelle pour lui, l’avait recueilli dans sa loge.
– « Je me suis aperçu seulement alors qu’elle avait une ravissante poitrine. C’est dlôle, ça, t’sais ».
Il y avait en lui du Valmont, du Valmont retouché par Rétif.
(Léon Daudet)
Difficile de ne pas déceler dans ce comportement un cas de séduction obsessionnelle, de donjuanisme. Ne serions-nous pas en présence de ce que vous appelez une « compulsion de répétition », cher docteur Freud ?…
Henriette est-elle infidèle aussi ? Vu le peu que nous savons d’elle cela paraît tout-à-fait improbable. Même si elle n’a qu’une trentaine d’années à cette époque, impossible de l’imaginer une nanoseconde entamant une carrière de « grande horizontale » en représailles au comportement humiliant de son mari. On la verrait plutôt se murer dans une attitude passive de victime éplorée, digne et résignée… À quel degré est-elle devenue indifférente, voire encombrante, aux yeux de son mari ?… Si l’on considère que la vie d’un artiste nourrit son travail (et réciproquement), que l’expression esthétique n’a rien d’un simple passe-temps anodin, superficiel ou décoratif, mais est au contraire le vecteur d’une sincérité absolue, et qu’une œuvre comporte donc obligatoirement de nombreuses projections, de nombreux indices plus ou moins cryptés des opinions, des sentiments profonds éprouvés par son auteur, et même des tranches de sa vie, si l’on considère tout cela, certaines planches, certains dessins apportent un éclairage qui en dit long sur la désillusion, voire l’aversion, qu’inspire désormais le mariage à Caran d’Ache.
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Il est notoire que la Belle Époque fut une période faste pour les maisons closes. Celles-ci prospéraient grâce à la fréquentation assidue d’un large éventail de la population mâle, bourgeoise, aristocratique, militaire, artistique… et il y avait la queue sur le tragique et court chemin à sens unique qui conduisait ouvrières, servantes, modistes, brodeuses, dentellières, lingères et autres petites mains tombées en situation précaire jusqu’au bordel, en passant par son avant-scène, le trottoir. Cette époque qu’on dira « belle » ne l’était assurément pas pour tous…
Maupassant, Toulouse-Lautrec, Manet, pour ne citer qu’eux, faisaient partie des habitués de ces lupanars où, malgré des visites médicales plus ou moins régulières, les pensionnaires recluses transmettaient à leur corps défendant – si l’on peut dire – des maladies dont la syphilis, cette vieille vérole autant crainte que bravée sans répit, n’était pas la moins répandue. Les filles qui avaient eu la malchance d’être contaminées pouvaient alors se retrouver internées « administrativement », sur simple avis médical, à la prison pour femmes de Saint-Lazare, ayant désormais tout loisir de méditer sur l’injustice de leur triple peine. Quant à celles qui passeront à la postérité pour avoir inspiré des chefs-d’œuvres de la littérature ou de la peinture, cette « consolation » d’avoir été un moment la Muse d’un génie ne devait pas leur paraître moins amère et dérisoire…
La discrétion étant souvent de mise dans ce domaine, rien ne prouve que Caran d’Ache ait fréquenté les maisons de passe, et rien ne prouve le contraire non plus. Si, sous l’incitation conjuguée de son tropisme pour le beau sexe, du libertinage décomplexé inhérent à son milieu et à ses habitudes, et d’une vie conjugale se limitant à une cohabitation de façade, il était parfois arrivé à Emmanuel Poiré de diriger ses pas vers la chaleur intime de ces salons voluptueux, on pourrait se dire qu’il n’y a là pas grand-chose d’étonnant. Pourtant, à bien y réfléchir, cette hypothèse semble ne pas tenir la route car ce serait ignorer une composante essentielle du comportement donjuanesque qui est la phase de séduction. Le séducteur prend autant de plaisir à séduire qu’à consommer, même si ce sont des plaisirs de nature différente. Or, on ne séduit pas une prostituée, on la paye et basta ! Imagine-t-on notre Casanova moscovite, orgueilleux de son pouvoir quasi-magnétique sur les femmes, se privant de la délectation un chouia perverse de jouer à se faire peur, de faire semblant de douter de soi, puis de se rassurer en constatant avec un soulagement feint que ça marche toujours, jouissance narcissique au moins aussi importante pour le séducteur compulsif, voire névrotique, que la finalité sexuelle ?…
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Nouvelle zone d’ombre dans ce tableau entouré de mystères, la situation économique de Caran d’Ache. Nous l’avons vu, il produisait énormément, avec succès, et ses conditions financières étaient tout sauf dérisoires. Bref, il gagnait très bien sa vie.
Gagnant beaucoup, il devait également dépenser beaucoup. Pour lui-même, mais aussi pour Henriette qui, les infidélités de son mari s’avérant évidentes et s’affichant aux yeux de tous, n’a certainement pas manqué, par dépit ou esprit de vengeance, de chercher des dérivatifs et des compensations en sorties dispendieuses, toilettes, frivolités et autres satisfactions matérielles la distrayant d’une infortune conjugale se rajoutant au traumatisme de la perte de son fils.
Tout ceci est confirmé par un procès intenté par la maison de couture Paquin contre Caran d’Ache, pour factures impayées. Paquin, fournisseur d’Henriette, réclame la somme de 9447 francs pour des commandes passées entre le 25 octobre 1895 et le 27 octobre 1897.
À l’audience du 23 juin 1900, maître Binoche, l’avocat du dessinateur, fait valoir que ces dépenses ont été faites sans que son client en ait été informé ; qu’entre octobre 1894 et octobre 1897, Henriette a ainsi dépensé plus de 26 253 francs en fournitures de toilettes à l’insu de son mari ; que cette somme est exagérée et en-dehors des facultés du ménage.
Ces arguments laissent la Cour de marbre. Dans son jugement, elle souligne que les époux sont mariés sous le régime de la communauté et que le mari a tacitement conféré un mandat à sa femme pour les dépenses relatives à son entretien. Elle met également l’accent sur « la situation mondaine et les habitudes de luxe des époux », précisant qu’une facture antérieure de 9854,25 francs avait été intégralement réglée par Emmanuel à la maison Paquin, pour des fournitures du 22 octobre 1894 au 27 août 1895. En conséquence de quoi, Caran d’Ache est condamné à payer les 9447 francs réclamés par Paquin.
Un jour, Henriette se plaignit à son mari « d’aller gentiment toute nue » en lui montrant son armoire relativement vide… Tout est dans le « relativement » !
Une fois de plus, Emmanuel saisit la situation pour en faire un dessin :
Il est clair qu’Emmanuel s’est retrouvé pris au piège de ses goûts de luxe, de son train de vie imposé par la fréquentation de ce milieu mondain, et qu’il a été largement plombé par Henriette qui, dans le dos de son mari, s’est comportée comme un panier percé. Et encore, nous ignorons s’il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire s’il avait ou pas d’autres créanciers à cette époque.
Le journal La Dépêche, daté du 12 juillet 1898, donne une information allant dans le même sens :
Cette semaine, Caran d’Ache essayait d’organiser une vente de ses dessins. Ça s’est presque vendu au poids. Il y a quelques temps, Forain avait tenté une semblable épreuve. Ç’avait été un désastre. Tous les deux sont pourtant des dessinateurs à la mode et qui ont obtenu les faveurs du public.
(…) La récolte a néanmoins été maigre.
Le propos n’est pas de se demander ici pourquoi la cote de ces dessinateurs est inversement proportionnelle à leur notoriété, mais de constater que si Caran d’Ache en est presque réduit à vendre ses dessins « au poids », c’est qu’il se sent réellement pris à la gorge pendant cette période-là. Que ce soit par habitude ou par nécessité, il reste pourtant plus productif que jamais car, en décembre 1899, tout en continuant au Figaro, il revient au Journal pour reprendre sa collaboration hebdomadaire après quatre ans d’interruption.
Mais ceci ne lui permettra manifestement pas de combler le gouffre des dépenses et des dettes.
Quiconque se retrouverait dans cette situation réagirait en conséquence pour tenter de briser cette spirale infernale et réduire de façon drastique la voilure des frais excessifs. L’a-t-il fait ?… Cela semble peu probable. Bob Walter, le qualifiant « d’artiste qui n’entend rien aux affaires », connaissait son bonhomme et devait pointer chez lui un manque de sens pécuniaire en général. Caran d’Ache s’est toujours comporté en cigale plutôt qu’en fourmi, dépensant ce qu’il gagnait et comptant sur sa bonne étoile pour que ça continue. Entre lui et Henriette, il dut y avoir des mises au point, voire des scènes de ménage qu’on imagine pénibles, les époux s’envoyant à la tête les dépenses de l’une et les infidélités de l’autre… Mais ça, seuls les murs, les meubles, des domestiques feutrés et les deux bassets de la maison en ont été les témoins.
Quoi qu’il en soit, le couple Poiré semble bien ne plus exister que sur le papier et, de fait, Emmanuel et Henriette se séparent fin 1899, sans divorcer, ainsi qu’en atteste Paul-Jean Toulet, écrivain, poète et ami de Caran d’Ache, qui précise que les époux restent liés par des « rapports d’amitié ».
À suivre…
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- Le journal Gil Blas donne l’information extravagante qu’ Henriette appartient à la religion grecque (!!!) et précise que la cérémonie nuptiale a eu lieu à l’église russe de la rue Daru. Si cette seconde information s’avérait exacte, ce serait plutôt parce qu’Emmanuel est orthodoxe. Ses obsèques se dérouleront d’ailleurs en cette église russe de la rue Daru.[↩]
- Les faire-part de mariage ont été rédigés au château des Bruyères, à Clairefontaine (aujourd’hui département des Yvelines, à l’époque Seine-et-Oise). Cette propriété appartenait vraisemblablement à la belle-famille de Caran d’Ache.[↩]
- Née le 9 août 1830 à Saint-Denis, elle mourra en 1914.[↩]
- Le faire-part de mariage mentionne Azimont-Deligne comme patronyme, et désigne Henriette comme belle-fille de Monsieur Deligne, ce qui signifie qu’Henriette était bien née avant le mariage de sa mère avec ce Deligne.[↩]
- Édouard Drumont (1844-1917) : directeur du journal nationaliste et antisémite La Libre Parole, auteur du livre La France juive. Maurice Barrès (1862-1923) : écrivain, homme politique, figure de proue du nationalisme français.[↩]
- Parmi lesquels figure Henri Lavedan qui deviendra bientôt un intime de Caran d’Ache, et l’un de ses voisins lorsqu’il habitera rue de la Faisanderie.[↩]
- Que ce soit dans le domaine du spectacle ou dans celui des arts plastiques, Caran d’Ache s’opposera toujours aux attaques hypocrites visant à censurer l’érotisme. Fin 1901, cité pour une affaire semblable, mais dans laquelle ce sont des dessins du journal Frou-Frou qui sont incriminés, il écrit pour s’excuser de ne pas pouvoir se rendre à l’audience, mais ajoute : « Quant à mon avis en ce qui concerne le criterium du nu en matière d’illustration des journaux dits gais, je trouve que la limite est terriblement difficile à établir. En l’espèce, mon avis est que les dessins poursuivis aujourd’hui ne sont pas plus hardis que ceux que nous voyons depuis toujours dans tel ou tel ou tel journal dit gai, et en les frappant il n’y aurait pas de raison pour ne pas frapper tous les cafés-concert en bloc et les neuf dixièmes des théâtres, mais, dame, Paris ne serait plus Paris ! »[↩]
- Helen Porter Mitchell choisit comme nom de scène « Melba » en référence à la ville de Melbourne où elle donna son premier concert. En 1894, le grand chef cuisinier Auguste Escoffier créera un dessert en son honneur : la pêche Melba.[↩]
- Pour Satie, voir par exemple les titres de ses œuvres.[↩]
- Grand-père dont il a vaniteusement accolé le prénom à son nom pour bien signifier sa lignée aux yeux de tous, escomptant probablement qu’une partie de la gloire du grand homme rejaillisse sur lui, alors qu’il n’y est strictement pour rien ![↩]
- Léon Daudet, fils d’Alphonse, était le beau-frère de Georges Hugo pour avoir épousé Jeanne Hugo, sœur de ce dernier. Union malheureuse, le couple divorcera en 1895.[↩]
- Le 29 novembre 1894 était mort, à Saratov, Nicolas Savin, « le dernier survivant des grognards de Napoléon », âgé, selon les sources, de 102 ou 126 ans ! Après avoir participé à la plupart des campagnes napoléoniennes, Savin avait été capturé par les Cosaques à la Bérézina. Installé dans l’empire des tsars, il russifia son nom en « Nicolaï Andreïevitch Savine » et s’adonna jusqu’à la toute fin de sa longue vie à ses passions pour le jardinage et le dessin. Notre mystérieux Serge de Savine, aurait-il eu un lien de parenté avec ce grognard mathusalémien ?…[↩]
- Grâce à Foottit et Chocolat, le tandem « Auguste – Clown blanc » s’imposera et deviendra la norme dans les numéros de clowns en Europe.[↩]
- Le Nouveau Cirque sera détruit avec ses archives en 1927.[↩]
- Le cinématographe est cité dans Un duel célèbre (le Figaro, 22 mars 1897) en même temps que les rayons X et un autre appareil nommé « le kinématographe », ainsi que dans le sous-titre de Réunion électorale (le Figaro, 21 avril 1902), mais tout ceci de façon complètement anecdotique.[↩]
- Rien à voir avec le Lohengrin de Richard Wagner, bien sûr.[↩]
- Dernière tournée itinérante.[↩]
- Sans parler des espaces naturels.[↩]
- Ceci dit, si tel était vraiment le but de son voyage, il a dû descendre du train à Arles (ou Avignon) avant de poursuivre son périple en diligence car, en 1897, la fête annuelle du Félibrige, la « Santo-Estello », s’est tenue à Sisteron.[↩]
- Henri Grandpierre a réalisé les plans de l’hôtel particulier où habitent alors Caran d’Ache et Henriette, rue de la Faisanderie, d’après des dessins d’Emmanuel.[↩]
- Allusion au titre de la série que dessine Forain dans Le Figaro.[↩]
- Bergerat, au début de l’Affaire, fut l’un des rares à demander que soit respectée la présomption d’innocence pour Dreyfus.[↩]
- Caran d’Ache critique volontiers les Anglais, mais nous avons vu qu’il ne rechigne jamais à aller passer quelques jours chez eux dès que l’occasion se présente.[↩]
- C’est dans ce même salon que « qui vous savez » signa l’acte de sa seconde abdication, le 22 juin 1815, avant d’être exilé à Sainte Hélène.[↩]
- Tiens, tiens… Il semblerait que Caran d’Ache ait abandonné le cheval pour le vélo… Les chroniques hippiques mentionnent vers 1899-1900 un cheval nommé « Caran d’Ache ». La mode de donner des noms de personnages célèbres aux chevaux vient d’Angleterre. À la même époque on trouve également un « Forain » quadrupède sur les champs de courses.[↩]
- Elle est à Heidelberg en août 1905, au château de Chailleuse, à Senan, en août 1906, à Cabourg en août 1907. Mais en 1908, elle est certainement restée à Paris en raison de la maladie de son mari.[↩]