« Voyage scientifico-fantaisiste du célèbre Filandrax », Mon Dimanche, 2 octobre 1904. Source : Gallica.bnf.fr
Lancé en 1902 par Jules Rouff, Mon Dimanche est un hebdomadaire qui s’inspire des magazines populaires anglais fourre-tout initiés par Tit-Bits. Son contenu hétéroclite était composé de nombreuses rubriques de format court : articles, nouvelles, contes, reportages, faits-divers, jeux, illustrations, dessins d’humour et donc histoires en images. Dans ce dernier genre qui nous intéresse, on trouve notamment des œuvres signées de Tybalt, Jean d’Aurian, Solar d’Alba ou encore Gog, mais leurs productions sont d’un faible intérêt. Mon Dimanche n’aurait pas plus attiré notre attention sans l’existence d’une page publiée dans son numéro du 2 octobre 1904 et intitulée « Voyage scientifico-fantaisiste du célèbre Filandrax ».
Le héros, M. Filandrax, décide de faire une expédition « à la fois d’agrément et de découvertes » à dos de son mulet. La selle étant mal sanglée, il se retrouve à chevaucher sa monture sous le ventre de celle-ci. Arrivé dans une auberge, il doit dormir à l’intérieur d’un coffre car plus aucun lit n’est disponible. Pendant la nuit, la malle se referme sur Filandrax. Celle-ci est emportée par deux brigands qui sont poursuivis par un gendarme et ses adjoints. Le malheureux réussit à s’enfuir et se cache dans les branches d’un arbre. Le gendarme qui le prend pour le voleur fait abattre le perchoir. Filandrax est arrêté et emprisonné. Dans son cachot, il cherche désespérément la cause de sa punition, philosophant sur son sort : « Le sage n’a pas d’orgueil et reste chez lui tranquillement… »
Cette histoire est un plagiat manifeste des premières pages de l’album Voyages et aventures du docteur Festus de Rodolphe Töpffer publié pour en 1840. Les huit premières cases de Mon Dimanche reprennent grossièrement le début de la trame imaginée par le Genevois. Comme souvent dans ces cas de pillage, le plagiaire reste anonyme et mieux vaut pour lui. Les dessins sont maladroitement recopiés et, si les noms des personnages ont été modifiés, les légendes des images reprennent les mêmes tournures qui se trouvent dans Dr Fetsus. Pour les quatre dernières cases, l’auteur invente une fin sans originalité, écourtant comme il peut son récit réduit à une douzaine de scènes.
En haut : les quatre premières cases de l’aventure de M. Filandrax (1904) ;
En bas : la page 2 (à gauche) et la première scène de la page 3 du Docteur Festus (1840).
En 1904, le modèle de l’album töpfferien qui marqua les prémices de la bande dessinée est définitivement enterré. En France, c’est désormais dans la presse illustrée pour enfants que les histoires en images s’épanouissent et retrouve un certain regain. Le Voyage de Filandrax adopte le modèle de mise en page qui est alors de règle dans les publications pour la jeunesse et inspiré de l’imagerie traditionnelle d’Épinal : un court récit sous forme de gaufrier de cases uniformes avec quelques lignes de texte placées en-dessous. Pour autant, les ouvrages de « littérature en estampes » du Genevois n’ont pas disparu des librairies, l’éditeur Garnier Frères persévère en effet de les proposer à son catalogue depuis 1860 (1). Si Filandrax semble prouver que les albums de Töpffer ne sont pas complètement oubliés, cette piètre copie de Festus est loin d’être l’hommage que mériterait le père de la bande dessinée moderne…
Publicité pour les « albums pour enfants » édités par Garnier Frères. L’Autorité, 26 décembre 1903. Source : Retronews.fr
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- À partir de 1860 et jusque dans les années 1930 environ, le catalogue de la maison Garnier Frères publie des rééditions des albums de Rodolphe Töpffer. Ceux-ci furent redessinées par son fils, François Töpffer, d’après les premiers albums autographiés.[↩]