De Hercule à Superman, une généalogie en images

Poursuivant leur travail de redécouverte du patrimoine de la bande dessinée, les éditions 2024 viennent de rééditer l’album Les Travaux d’Hercule de 1847 dessiné par le jeune Gustave Doré, alors âgé d’une quinzaine d’années (1). Nous souhaitons revenir ici avec un supplément d’images sur un point abordé dans la postface que nous avons rédigée pour cette réédition : la fameuse séquence dans laquelle Hercule saisit le lion de Némée par la queue, le fait tournoyer au-dessus de lui comme un moulinet, avant de l’envoyer au loin.

 


Gustave Doré, Les Travaux d’Hercule, Aubert, 1847, p. 2 et 3. Source : Gallica.bnf.fr

 

Comme nous l’avons écrit, cet album de jeunesse est truffé d’images reprises des oeuvres des aînés que Doré admire : Rodolphe Töpffer, Cham ou encore J.J. Grandville. La scène du lion de Némée évoque ainsi une planche de l’Histoire de M. Cryptogame gravée par Cham d’après les dessins de Töpffer et parue en feuilleton dans L’Illustration en 1845 : dans celle-ci, Elvire saisit avec autant de facilité un vieux Turc par la barbe et « le fait pirouetter de plus en plus rapidement » pour l’envoyer dans la mer « à deux milles sud est nord ». Dans la case suivante, le malheureux est représenté plongé dans l’eau à mi-corps, les jambes en l’air, tout comme le fauve de Doré « va se planter en terre à deux lieues de là ».

 


Rodolphe Töpffer, Histoire de M. Cryptogame, gravée par Cham, Blot, 1873 (reprise en album du feuilleton paru dans L’Illustration en 1845). Source : Gallica.bnf.fr

 

A son tour, l’œuvre gravée de Doré marquera profondément l’imaginaire graphique de ses contemporains, comme celui des générations suivantes. Cette case revisitée d’après Töpffer en est l’exemple primitif et Michel Thiébaut a relevé la récurrence de la scène du demi-dieu saisissant l’animal la queue chez Albert Robida et plusieurs auteurs de bande dessinée du XXe siècle (2).

 


Albert Robida, illustration pour Œuvres de Rabelais, tome 2, p. 284. Source : Laurent Antoine (3)

 

Près d’un siècle après la publication de l’album de Doré, la démonstration de force herculéenne trouve une nouvelle incarnation dans le numéro d’Action Comics de février 1942, avec Superman, le premier super-héros de comics américain, malmenant un félin sans ménagement. Le justicier volant aux supers-pouvoirs créé par Joe Shuster et Jerry Siegel avait déjà fait son entrée en scène dans une posture similaire sur la couverture emblématique du tout premier numéro de ce comic book paru en 1938. L’Homme d’acier y soulevait sans difficulté une imposante automobile au-dessus de sa tête.

Force, vitesse, endurance, résistance et agilité hors du commun : Superman est doué des mêmes capacités extraordinaires qu’Hercule (Le demi-dieu intègrera par ailleurs le panthéon des super-héros américains dès 1941(4)). Mais il est intéressant d’observer la similarité des images et des procédés graphiques qu’ont imaginés Gustave Doré et le très sérieux duo américain pour illustrer leurs héros respectifs en pleine action.

 


En haut : Travaux d’Hercule, cases extraites des pages 2,3 et 24 ;
En bas, de gauche à droite : Action Comics n° 45, février 1942 ; 2. Superman, n° 45, mars 1947 ; 3. Superman, n° 3, décembre 1939.

 


En haut : Travaux d’Hercule, cases extraites des pages 25 et 26 ;
En bas, de gauche à droite : Action Comics, n° 89, octobre 1945 et Superman, n° 5, juin 1940.

 

Dans les images ci-dessus, Gustave Doré intègre, comme Cham avant lui, des images excentriques d’inspiration Sternienne. Mais le jeune dessinateur les met au service des capacités surhumaines de son héros, tout comme il utilise les spécificités que lui offre ce nouveau moyen d’expression « inventé » par Töpffer pour déployer ou contacter l’action de ce récit mythologique dans l’espace et le temps.

 


En haut : Travaux d’Hercule, cases extraites des pages 23 et 26 ;
En bas, de gauche à droite : Superman, n° 2, septembre 1939.

 

On peut même pousser le vice jusqu’à comparer la peau de lion d’Hercule au costume de Superman, la fourrure avec la queue pendante du félin évoquant à la célèbre cape rouge. Et la cage arrondie que tient le demi-dieu (pl. 37), dans laquelle sont retenues les minuscules Pygmées, rappelle de façon amusante la cité kryptonienne de Kandor, rapetissée et mise sous cloche, que conserve le super-héros dans sa Forteresse de la Solitude…

 


A gauche : Action Comics, n° 242, 1958 ;
A droite : Travaux d’Hercule, case extraite de la page 37.

 

Jerry Siegel, le dessinateur de Superman, a admis s’être inspiré des dessins animés de Popeye the Sailor réalisés dans les années 1930 par les studios Fleischer. L’idée était de doter Superman des prouesses surhumaines du marin amateur d’épinard, sans les effets comiques. On ne s’étonnera pas de trouver dans le film d’animation Little Swee’Pea (1936), une scène se déroulant dans un zoo et dans laquelle Popeye fait tournoyer un léopard par la queue pour l’envoyer contre un mur.

 

 

Empruntant autant à la scène initiale de Töpffer que celle de Doré, la séquence suivante est extraite d’Astérix le Gaulois, le premier album de la série de René Goscinny et Albert Uderzo publié en 1961, et vient à nouveau prouver la persistance de ces images dans la culture burlesque du XXe siècle.


René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix le Gaulois, Dargaud, extraits des p. 46 et 47, 1961. © Editions Albert René.

 

 

 

Mise à jour du 12 décembre 2019 : Nous ajoutons un exemple de maltraitance féline avec ce comic strip de la série Little Jimmy par Jimmy Swinnerton, paru dans The Washington Post, du 16 avril 1911.


Jimmy Swinnerton, « Jimmy — He has an Awful Dream » paru dans The Washington Post, du 16 avril 1911.

 

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Mise à jour du 19 août 2020 : Un exemple supplémentaire avec le dessinateur Mat dans son album Les aventures comiques de Pitchounet fils de Marius paru en 1934 :

Mat, Les aventures comiques de Pitchounet fils de Marius, 1934. Source : Cibdi

 

Mise à jour du 5 juillet 2021 : Une pièce de plus au dossier avec cette couverture d’Akim (n° 222, de novembre 1968), petit format qui narre les aventures du tarzanide dessiné par Augusto Pedrazza sur des scénarios de Roberto Renzi.

Akim, n° 222, novembre 1968. Source : Töpfferiana.

 

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Gustave Doré, Les Travaux d’Hercule (1847),
Éditions 2024, 2018. « Les travaux du jeune Doré »,
postface par Antoine Sausverd.

 

 

Voir nos autres articles sur les bandes dessinées de Gustave Doré :

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  1. Cet album a été primé « Fauve Patrimoine » lors de l’édition 2019 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. []
  2. Michel Thiébaut, « Les travaux d’Hercule », Neuvième ArtLes Cahiers du musée de la bande dessinée, n° 3, janvier 1998, p. 68-73. []
  3. Merci à Laurent Antoine de l’association des Amis d’Albert Robida pour nous avoir founi cette image. []
  4. Hercule fait son apparition dans l’univers des comics DC en décembre 1941 dans All Star Comics n° 8 lors de la première apparition de Wonder Woman, mais surtout dans Superman n° 28 de mai 1944. Chez Marvel, il est dessiné pour la première fois par Jack Kirby dans Journey Into Mystery Annual n° 1 d’octobre 1965. []
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