Lʼœuvre de Louis Döes, dessinateur de presse de la fin du XIXe siècle, spécialisé dans les histoires en images sans légendes, mérite d’être redécouvert. Son style graphique et les thématiques singulières de ses bandes dessinées surprennent aujourd’hui encore et séduisent nos rétines plus d’un siècle après leur publication(1).
Avec ses compatriotes Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) et Godefroy (pseudonyme d’Auguste Viollier, 1854-1908), Döes fait partie de cette génération de jeunes dessinateurs qui ont quitté leur Suisse natale pour s’installer à Paris. Tous trois fréquenteront la bohème montmartroise des années 1880 et 1890 et œuvreront avec succès dans les revues illustrées qui foisonnent à l’époque.
Sur Döes, peu de choses nous sont parvenues, dont une partie est erronée(2). Récemment retrouvés, des articles de journalistes ayant interrogé le dessinateur à la fin de sa vie nous en apprennent un peu plus sur lui et nous ont permis de dénouer le scénario énigmatique de l’une de ses histoires sans paroles qu’il avait donné à la revue du Chat noir.
Louis Christian Does (sans tréma) voit le jour le 5 mars 1859 à Genève(3). Son père, négociant, et sa mère sont venus des Pays-Bas pour s’installer en Suisse où ils furent naturalisés(4). Louis aurait fait une partie de ses études en Allemagne, à Heidelberg(5) puis à Paris à la fin des années 1870. Là, il obtient son diplôme d’architecture aux Beaux-Arts, faisant partie de la promotion de 1879(6), sans que l’on sache s’il a exercé cette profession. En 1887, à 28 ans, Döes se marie avec une jeune modiste, Léonie Ganot, et le ménage s’installe au 17 rue de Sèvres(7).

On sait que Döes est un habitué du cercle d’amis de Jean Moréas, poète et père du mouvement symboliste, qui se retrouvent au café Steinbach sur le boulevard Saint-Michel à Paris(8). Ce « garçon à grande barbe et longue pipe », dont se souvient Antoine Albalat dans ses Souvenirs de la vie littéraire, était surnommé Satan ou Le Navigateur hollandais par Moréas. Döes doit son premier sobriquet à sa barbiche noire et le second au voyage que fit ce descendant de Bataves à Haïti vers 1885(9).
L’écrivain et journaliste André Thérive nous livre quelques anecdotes sur ce personnage un poil original : défié par des amis, il les suit lors de l’ascension du Grand-Combin en Suisse, habillé de souliers de ville et d’une simple jaquette ; il voyage six mois en Haïti vers 1885 pour tenter d’y faire commerce de foulards multicolores sans réussir à les vendre. De ce séjour aux Antilles, il rapporte une canne d’un mètre vingt faite d’une colonne vertébrale de requin avec laquelle il parade certains soirs au café. Quant à son allure, Thérive le décrit ainsi : « il arborait des costumes étranges, coupés et cousus par lui-même dans des bures et des molletons ahurissants : vestons en forme de tuniques, ou justaucorps primitifs qui lui donnait un air d’un berger de Ramuz, habillé par ses propres brebis, à l’époque de la catastrophe de Derborence. Un grand chapeau à l’artiste, acheté vers 1900, corrigeait cette silhouette rustique, mais des souliers remarquables rétablissaient le style montagnard(10). »
Débuts töpfferiens
L’activité artistique de Döes se limite à une vingtaine d’années, comprise environ entre les décennies 1880 et 1900. Le dessinateur s’est essentiellement consacré à l’histoire en images, sans légendes la plupart du temps, donnant ponctuellement des dessins humoristiques et quelques illustrations de texte.
Sous ses œuvres, sa signature laisse apparaître un tréma sur le o, absent sur son acte de naissance. Cette fantaisie typographique n’a pas lieu d’être en Français où le ö ne fait pas partie de l’alphabet. Döes voulait peut-être indiquer une prononciation particulière de son patronyme ou l’agrémenter d’une touche de singularité. Dans les articles de presse de l’époque qui le mentionnent, ou même dans les attributions en légende de ses dessins, il est rare que son nom d’artiste soit correctement orthographié, le tréma étant oublié quand il n’est pas placé sur le e.

C’est avec un court album que Döes entame sa carrière parisienne : Les Prétendus de Mademoiselle Pulchérie est publié en 1884 par l’éditeur Léon Vanier(11). Cet ouvrage fait partie de ces albums qui reprennent le modèle caractéristique de la « littérature en estampes » initié par Rodolphe Töpffer, né à Genève comme Döes(12).
Döes, Les Prétendus de Mademoiselle Pulchérie, Léon Vanier, 1884. Source : Gallica.bnf.fr
Composé seulement de huit pages, Mademoiselle Pulchérie raconte les hésitations d’une jeune femme qui souhaite se marier. Elle envisage plusieurs partis : des scènes typiquement töpfferiennes la représentant pensive et indécise, alternent avec la présentation des hommes qu’elle convoite. Le seul qui semble lui convenir est un jeune employé de banque « très comme il faut ». Mais l’héroïne fait les comptes : les frais à engager en vue des noces, ses goûts dispendieux et l’avenir qui se profile (elle, au fourneau avec une tripotée d’enfants) ne l’enchantent guère. Elle décide « tout bien considéré » de « rester vieille fille ».
À la lecture de ces tergiversations maritales, on pense bien sûr à un autre album d’un continuateur de Töpffer dont le sujet est similaire : Deux vieilles filles vaccinées à marier réalisé par Cham et publié en 1840, plus de quarante ans auparavant et dont des femmes, comme chez Döes, tiennent les rôles principaux. En 1884, quand parait Mademoiselle Pulchérie, ce genre d’ouvrage n’est plus du tout en vogue et cet hommage de Döes au maître genevois est l’une des dernières imitations töpfferiennes qui est réalisée(13). Dans les années 1880, la nouvelle génération de dessinateurs d’histoires en images est davantage influencée par les pantomimes de Wilhelm Busch, et Döes ne fait pas exception.
Dans la presse illustrée
En France, les premières bandes dessinées de Döes que nous avons retrouvées sont publiées dans l’hebdomadaire pour enfants Saint-Nicolas à partir de 1887. Elles se présentent comme des petites saynètes moralisantes, avec ou sans légendes, dans lesquels les défauts sont punis. Ci-dessous, le jeune téméraire paie le prix de ses audaces en disparaissant dans les volutes de fumée d’une pipe interdite :

Mais Döes est plus à l’aise dans la presse pour adultes. Dès 1887, il intègre l’équipe de la revue Le Chat noir, liée au cabaret montmartrois du même nom, et en devient l’un des collaborateurs réguliers. Il même le plus important pourvoyeur histoires en images, publiant un total de soixantaine-six pages jusqu’en 1894(14).

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D’autres revues parisiennes accueillent ses bandes dessinées parmi lesquelles figurent Paris Illustré, L’Illustration, La Caricature, Le Frou-frou, mais aussi Le Rire et Cocorico pour lesquels il réalise le dessin de couverture.



En Suisse, un journal de Genève intitulé Le Bossu accueille ses bandes dessinées en 1885(15). Döes collabore également aux revues humoristiques helvétiques créées par son compatriote Godefroy : Le Papillon, fondé en 1889, puis Le Sapajou. Cette dernière revue est liée au théâtre d’ombres chinoises du même nom, que Godefroy a lancé en 1896 à Genève sur le modèle de celui du Chat noir parisien(16).
Au-delà des frontières franco-suisses, Döes se fait une place dans les publications étrangères, qui semblent l’apprécier. On retrouve ainsi sa signature dès 1889 dans les revues new-yorkaises Scribner’s Magazine et Life(17), mais surtout dans la revue londonienne Pick-Me-Up. Entre 1890 et 1894, il publie dans ce dernier titre une quarantaine d’histoires originales qui sont dessinées pour la publication anglaise(18).

En Allemagne, Lustige Blätter publie quelques bandes dessinées de Döes entre 1899 et 1904. Elles ont déjà paru ailleurs, mais sont mises en couleurs pour l’occasion par la revue berlinoise. On retrouve également deux reprises de ses histoires dans le journal pour enfants brésilien O Tico-Tico en 1906 et 1909.

Enfin, comme de très nombreux dessinateurs de sa génération, Döes participe au renouvellement des imageries enfantines, collaborant dans les années 1890 avec les deux maisons françaises concurrentes, Quantin à Paris et Pellerin à Épinal(19). Döes donne également des histoires à l’imagerie belge Gordinne, maison d’édition installée à Liège, qui suit le mouvement de modernisation peu après(20).

Döes, la jeune fille et la mort : reconstitution d’un drame en images
La carrière de Döes semble s’arrêter définitivement dans les premières années du nouveau siècle. Excepté quelques reprises, nous n’avons pas trouvé d’œuvres de lui publiées après 1905(21). Si l’on en croit l’article de Pierre Labracherie, c’est un drame, le suicide de sa femme, qui serait à l’origine de cette retraite anticipée : à la suite de ce décès brutal, Döes « brisa ses crayons et ses pinceaux, abandonna Montmartre, renonça à toute activité, plongea, tête baissée, dans le lac noir du remords(22). »
Cependant, cette chronologie n’est pas possible car l’acte de décès de Léonie Ganot date de 1889, deux ans seulement après son mariage avec Döes(23). Or, à cette époque, le dessinateur démarrait sa carrière dans la presse illustrée. Autre incohérence, toujours selon Labracherie, Döes rapporte que sa jeune épouse s’est défenestrée à la suite d’une dispute conjugale qui a mal tourné : « Au cours d’une scène de ménage, elle lança, à bout d’arguments, cette menace à son mari : — Eh bien ! puisque c’est comme ça, je me jette par la fenêtre. Philosophiquement persuadé qu’elle n’en ferait rien, Doès [sic] ouvre la fenêtre. Elle s’élança, s’écrasa sur le trottoir avec l’espoir, sans doute, d’empoisonner pour toujours l’existence de son compagnon(24). » Cependant, un entrefilet dans la presse rapportant ce fait divers tragique nous apprend que Léonie Ganot a usé d’une tout autre méthode pour mettre fin à ses jours : elle s’est tirée une balle en plein cœur(25). Les souvenirs du vieux Döes, octogénaire au moment où le journaliste les recueille, se seraient-ils embrouillés ?
À la lumière de ce drame, il apparaît qu’une bande dessinée de Döes du Chat noir a pour sujet ce terrible suicide et évoque ses circonstances. Publiée sept mois après les faits et intitulée « Il était pauvre (histoire vraie) » (Le Chat noir n° 405, 19 octobre 1889), elle met en scène le dessinateur lui-même, en jeune artiste, son carton de croquis sous le bras, avec sa barbichette caractéristique. Dans une séquence onirique, il tombe amoureux d’une jeune femme qui, après avoir reçu un courrier, se suicide de la même manière que rapportée dans la presse.

La compréhension de cette histoire n’est pas évidente, tentons d’en donner une interprétation : la première scène représente une femme âgée, qui serait la mère de Döes, dormant dans un fauteuil et rêvant que son fils courtise une prétendante bien dotée (de gros sacs d’argent trônent à ses pieds). Dans les images suivantes, rêve et réalité semblent se mélanger. On assiste à la rencontre de Döes et Léonie Ganot, à la naissance de leur amour, puis à la déclaration du jeune homme. Tout semble aller pour le mieux, mais la Mort rôde. Figurée sous la forme d’un squelette vêtu d’un élégant costume, une fleur à la boutonnière, elle suit les jeunes mariés (on peut voir l’alliance au doigt de Döes) qui se promènent innocemment. Dans la scène suivante, alors que le dessinateur s’active sur son chevalet, la jeune femme reçoit la visite de la Faucheuse qui lui livre une lettre accompagnée d’un pistolet. À la lecture du courrier, Léonie se tire une balle dans la poitrine et la Mort, satisfaite de son forfait, s’empresse d’emporter son cadavre. Elle jette un dernier regard à l’artiste dévasté dont les cheveux bouclent pour former deux cornes démoniaques qui symboliserait sa malédiction(26). La dernière image de cette page du Chat noir est le miroir de la première : la marâtre reprend paisiblement son rêve idéal dans lequel son fils fait la cour à une riche promise.
Après une première scène dans laquelle le rêve est représenté de façon traditionnelle (une image émanant au-dessus de la personne endormie), Döes bascule le point de vue avec un dispositif très original : en arrière-plan de la séquence onirique, il dessine à chaque image le visage de la mère qui surplombe la scène telle une grosse lune, spectatrice impuissante du petit théâtre qui se déroule sous ses yeux. L’expressivité du visage maternel évolue au fur et à mesure de la séquence : la curiosité succède à l’inquiétude puis à la rage au moment de la déclaration de mariage. L’arrivée de la mort la rassure.Assistant au décès de la jeune femme, son faciès est déformé par un sourire de satisfaction machiavélique.
La cause du suicide serait la lettre apportée par la Mort. Malgré les quelques mots qui peuvent être déchiffrés(27), son contenu reste énigmatique : dans la sixième vignette, il y est écrit sur le courrier « ta méchante famille » et dans la septième (et la huitième), « Plus de belle-mère », suivi de la signature « La Mort ». La jeune femme aurait choisi de mettre fin à ses jours comme une échappatoire radicale à l’insoutenable méchanceté de sa belle-mère. Cette dernière aurait préféré une bru bien dotée alors que son fils se contente d’amour et d’eau fraîche. La pauvreté du jeune couple et l’importance de la question pécuniaire est renforcée par le titre de cette bande dessinée, « Il était pauvre (histoire vraie) », et par sa dédicace ironique à « M. A. de Rothschild (sans commentaire) », c’est à dire le baron Alphonse de Rothschild (1827-1905), fameux banquier fortuné de l’époque. Évoqué seulement par quelques fragments de phrases, le courrier qui amène la jeune femme au suicide n’est pas assez explicite sur ses circonstances, néanmoins cette « histoire vraie » résonne de façon troublante avec le véritable malheur qui a touché le couple Döes quelques mois auparavant.
Ce n’est pas la première fois que des dessinateurs se représentent eux-mêmes, ou croquent des membres du cabaret montmartrois, dans les histoires sans légendes du journal, mais le propos était jusqu’alors bien plus léger(28). La quasi totalité des histoires en images de la fin du XIXe est cantonnée au registre humoristique, Le Chat noir n’y échappe pas. Pour quel besoin ou quelle raison le dessinateur est revenu sur cet épisode douloureux ? Cette bande dessinée sert-t’elle d’exutoire, d’explication, de disculpation à l’artiste ? Si la thématique macabre est typique de l’œuvre de Döes (comme nous le verrons dans un prochain article), il n’en reste pas moins que ce drame autobiographique en images est exceptionnel dans la production de l’époque.
Sur la banquette du café Mahieu
Döes ne se remariera jamais. Il meurt à Paris le 9 janvier 1944 à l’âge de 84 ans(29). Son acte de décès mentionne qu’il est veuf de Léonie Ganot. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse où il rejoint la sépulture de sa femme qui y repose depuis près de soixante ans(30).
Sa signature avait disparu de la presse illustrée au tout début du XXe siècle. Qu’a-t-il fait pendant les quarante années qui ont suivi ? Le mystère demeure. Les recensements de la population parisienne indique que Döes habite toujours rue de Sèvres, mais au n° 11(31) et non plus au 17 où il vivait avec sa femme. Il se présente toujours comme dessinateur (recensements de 1926 et de 1936) ou alors sans profession (1931). Pour autant, il ne sombre pas totalement dans l’oubli. Au début des années 1940, certains chroniqueurs parisiens reconnaissent encore la silhouette du dessinateur du Chat noir désormais octogénaire, qui a conservé une belle barbe et continue de hanter les cafés parisiens du Quartier latin(32).

Établi chez Mahieu, à l’angle du boulevard Saint-Michel et de la rue Soufflot, il siège sur sa banquette « au moins dix heures sur vingt-quatre en fumant une pipe (…) et ne s’en allant qu’à la fermeture »(33). C’est là que l’on vient recueillir quelques souvenirs de ce vieillard qui survit chichement grâce à des rentes qui lui viennent de Genève et fréquente les soupes populaires. Mais sur ce qu’il l’a occupé au XXe siècle, on en saura pas plus.
Deux cases en moins
Un autre épisode singulier de la carrière de Döes mérite d’être mentionné ici. En 1894, le tribunal civil de la Seine se penche sur une affaire concernant une histoire sans légendes de Döes qui avait paru dans L’Illustration en 1890. Son scénario est le suivant : un invalide à tête de bois(34) regarde un garçon pêchant à la ligne sur les quais. Le jeune imprudent tombe à l’eau et, pour lui porter secours, le vieux soldat lance sa caboche attachée au bout de son écharpe pour servir de bouée, et sauve le noyé.

Le dessinateur suisse avait fourni une suite de huit images à la revue mais au moment de la publication l’histoire fut amputée de deux cases (la première et la cinquième) par manque de place, sans qu’il soit prévenu. Il protesta avec colère, disant qu’on avait « mutilé sa pensée ». Le directeur de la publication invoqua son droit d’agir selon les nécessités du journal.
Döes décide de porter cette affaire en justice afin de demander des réparations. Lors du procès, son avocat insiste sur la spécificité de l’histoire en images, plaidant que l’amputation était d’autant plus inacceptable dans le cas d’une « pantomime dessinée, qui ne se comprend que par la décomposition successive et sans lacune des attitudes ». Il cite un extrait de l’ouvrage d’Arsène Alexandre L’art du rire et de la caricature : « C’est de la gaieté à double et même à triple détente. Il faut suivre toute une série d’épisodes dont le trait final amène l’éclat de rire, et alors on remonte avec plus de plaisir cette histoire pour en apprécier le curieux agencement(35). »
À la demande de l’avocat, plusieurs collègues et camarades de Döes furent sollicités pour donner leur avis sur cette affaire : Steinlen, Willette, Forain, Albert Guillaume, Henry Gerbault, Henri Pille, Fernand Fau apportèrent leur soutien au dessinateur, dénonçant vent debout l’intervention du directeur(36).
Dans son jugement, le tribunal reconnaît que cette histoire en images n’était pas composée de « dessins isolés et indépendants les uns des autres, mais de huit dessins dont le sens et dont l’ensemble représentent les péripéties successives d’une même scène ». Il reconnaît également l’altération faite par le directeur de la revue à laquelle il « ne pouvait procéder sans l’assentiment de l’auteur »(37). Le préjudice de Döes est reconnu, l’éditeur devra lui rembourser ses frais de justice, mais compte tenu « des circonstance de la cause, du peu d’importance du dessin, et de l’altération presque insensible causée à l’œuvre », Döes est débouté de sa demande de dommages-intérêts supplémentaires.

De nombreux journaux se font l’écho de ce procès(38), retenant la conclusion : l’éditeur de journal ne peut, sans l’assentiment de l’auteur, modifier une histoire en images. Notons de notre côté que ce procès permet à la Justice de donner une définition de l’histoire en images et de reconnaître sa spécificité : des « dessins isolés et indépendants les uns des autres, (…) dont le sens et dont l’ensemble représentent les péripéties successives d’une même scène ».
À l’époque, en France, peu de critiques ou d’historiens se sont penchés sur ce moyen d’expression singulier qui n’est pas distinguée des autres formes de caricature. Tout au plus, elle est identifiée en quelques mots au détour de pages d’ouvrages spécialisés. Avant celle d’Arsène Alexandre citée précédemment, signalons la définition que donne Henri Béraldi dans son ouvrage Les Graveurs du XIXe siècle (1892)(39). Dans une note bas de page(40) : il définit l’histoire en images comme « le développement d’un fait ou d’une anecdote par une série de dessins, généralement sur la même feuille ». L’historien d’art en retrace la chronologie rapidement, rappelant qu’elle « n’est pas une nouveauté, elle est vieille comme Épinal ou comme les alphabets illustrés. Elle a eu un grand succès avec Töpffer ». Pour Béraldi, l’histoire en images dont « on a abusé » depuis Le Chat noir, « ne porte plus » aujourd’hui… Elle est pourtant loin de disparaître et d’avoir dit son dernier mot.
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Dans un second article à paraître, il sera question du style et des thématiques développées dans les bandes dessinées de Döes. Une bibliographie détaillée de l’artiste sera également publiée à la suite.
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- En témoigne un article paru il y a quelque temps dans la revue Papiers nickelés : Théophraste Épistolier (Yves Frémion), « Döes le précurseur », Papiers Nickelés n° 63, décembre 2019, pp. 5-7.[↩]
- Les informations de la notice consacrée à Döes dans le Dico Solo, repris dans celle de la BnF, sont à prendre avec des pincettes car Louis Döes y est confondu avec Louis Sabattier (1863-1935), peintre et illustrateur réaliste. Des éléments biographiques du premier sont attribués à tort au second. Yves Frémion, qui signale cette erreur dans son article (op. cit.), continue néanmoins à entretenir la confusion : en effet, ce n’est pas Döes mais Sabattier qui a étudié à l’atelier de Gérôme, a participé à la décoration des salles d’honneur du ministère de la Guerre, a peint le tableau L’arrivée de Jean Jaurès à Carmaux (1896) et a illustré le texte d’Alphonse Allais « Les vacances du petit Anatole » dans Le Journal en 1896.[↩]
- Archives de Genève. Acte de naissance de Louis Does. Merci à Leonardo de Sa pour ses recherches dans les actes d’état civil de la ville de Genève et de Paris qui sont mentionnés dans cet article.[↩]
- André Thérive, « Le navigateur hollandais », La Chronique de Paris, n° 5, mars 1944, p. 27-38.[↩]
- Idem.[↩]
- Les architectes élèves de l’École des beaux-arts, 1793-1907, Librairie de la construction moderne, 1907, p. 243.[↩]
- Archives de Paris. Acte de mariage de Louis Döes et Léonie Caroline Ganot (née le 18 septembre 1864 à Paris) le 16 juin 1887 à Paris, le VIIe arr.[↩]
- Antoine Albalat, Souvenirs de la vie littéraire, chap. III « Jean Moréas et le Café Vachette », Arthème Fayard et Cie, 1921, p. 124.[↩]
- André Thérive, « La Cité des plumes », Aujourd’hui, 25 novembre 1942.[↩]
- Thérive, « Le navigateur hollandais », op. cit.[↩]
- Voir la notice n° 68 du catalogue des albums et feuilletons publiés à Paris et Genève (1835-1905).[↩]
- Sur des pages d’un format oblong et imprimées au recto seul, le récit des albums töpfferiens est constitué par une suite de dessins au nombre de deux ou trois par page la plupart du temps, encadrés d’un simple filet. Les vignettes sont ainsi collées bords à bords en une seule bande horizontale. Quelques lignes de légendes, elles aussi encadrées, sont disposées en-dessous de chaque image.[↩]
- L’année suivante, un ultime album dans ce genre sera publié à Paris : Les Trente-six métiers de Becdanlo, par Louis Lemercier de Neuville, chez Frinzine et Cie.[↩]
- De 1882 à 1895, Le Chat noir publiera plus de 500 histoires réalisées par 70 dessinateurs environ. Les Sélections Bande dessinée de Gallica consacre une page à cette revue.[↩]
- Camille Filliot, La bande dessinée au siècle de Rodolphe Töpffer, Partie I : Les dispositifs éditoriaux.[↩]
- Godefroy a par ailleurs donné des histoires sans légendes à la revue Le Chat noir.[↩]
- Si les histoires du Scribner’s Magazine sont originales, les deux publiées dans Life sont des reprises provenant du Papillon et de Cocorico, comme indiqué par le journal.[↩]
- Fondé en 1888 et disparu en 1909, Pick-Me-Up eut à partir de 1890 pour directeur artistique le jeune dessinateur Leonard Raven-Hill (1867-1942). Celui-ci étudia la peinture à Paris, fut un élève des ateliers de Bougereau et d’Aimé Morot, et exposa au Salon de 1887 avant de revenir dans son Angleterre natale. C’est probablement pendant cette période de formation qu’il tissa des liens avec les meilleurs dessinateurs parisiens. Une importante part des histoires en images que proposait Pick-Me-Up dans les années 1890 sortent en effet de leur crayon. En plus de Döes, figurent au sommaire Steinlen et Godefroy, mais aussi Caran d’Ache, Willette, Job, Albert Guillaume, Benjamin Rabier, Henry Gerbault, Louis Bombled, Ferdinand Bac, Émile Cohl, Lamouche ou encore Émile Cottin.[↩]
- Si les planches éditées par Quantin sont des créations originales, celles pour Pellerin sont des reprises d’histoires sans paroles déjà parues dans Le Chat noir. Probablement achetées à la revue montmartroise par l’imagerie spinalienne pour les intégrer dans sa « Série supérieure », elles sont mises en couleurs et agrémentées de longues légendes. La feuille n° 157 intitulée « Le Crime de la rue de l’échelle » est, quant à elle, mise en chanson, avec partition et couplets.[↩]
- Frédéric Paques, Avant Hergé : étude des premières apparitions de bande dessinée en Belgique francophone (1830-1914), thèse de Doctorat, Université de Liège, 2011.[↩]
- Contrairement à ce qu’indique le Dico Solo, aucune collaboration de Döes ne figure dans la revue Marius en 1930 et 1931.[↩]
- Pierre Labracherie, « L’équipe du café Mahieu (suite). Le navigateur hollandais », Rolet, 23 novembre 1950.[↩]
- Archives de Paris, Mairie du VIIe arr. Acte de décès de Léonie Ganot du 25 mars 1889.[↩]
- Labracherie, op.cit.[↩]
- « Suicide d’une femme », Le XIXe siècle, 29 mars 1889. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7562337z/f3.item [↩]
- Elles font également écho à son surnom « Satan » donné par Moréas.[↩]
- Merci au zoom de Gallica ![↩]
- À ce sujet, voir nos précédents articles évoquant Steinlen, Uzès et Rodolphe Salis en héros de papier : « Steinlen en manque d’inspiration ? » (2011) et « Steinlen joue au « Chat Noir » et à la souris » (2014).[↩]
- Archive de Paris, VIIe arr. Acte de décès de Louis Christian Does[↩]
- Archives de Paris, Cimetières, Répertoires annuels d’inhumation, 1889 et 1944.[↩]
- Son acte de décès mentionne également cette adresse.[↩]
- Voir les articles d’André Thérive, « La Cité des plumes », Aujourd’hui, 25 novembre 1942 et « Le navigateur hollandais », La Chronique de Paris, n° 5, mars 1944, p. 27-38. Mais aussi celui de Pierre Labracherie, « L’équipe du café Mahieu. Le Hollandais volant », Rolet, 23 novembre 1950.[↩]
- Labracherie, op. cit. Döes avait déjà ses quartiers dans le même café dix ans auparavant, comme le mentionne un article sur le Mahieu dans le magazine 1933 du 18 avril 1934.[↩]
- Au moment de la publication de l’histoire, l’invalide à tête de bois est une figure humoristique fameuse depuis le succès du roman d’Eugène Mouton, Histoire de l’invalide à la tête de bois, publié la première fois en 1857, et qui connaît un regain d’intérêt avec une nouvelle édition illustrée qui paraît en 1887.[↩]
- Arsène Alexandre, L’art du rire et de la caricature, Librairies-imprimeries réunies, 1892, p. 268-269.[↩]
- « Un curieux procès entre dessinateur et directeur de journal », L’Éclair du 9 avril 1894. L’article reproduit les témoignages écrits fournis par ces artistes pour la défense de Döes.[↩]
- Ceci n’empêcha pas cette histoire raccourcie d’être à nouveau publiée quelques années plus tard, probablement sans que Döes soit au courant : sous le titre « L’invalide à la tête de bois (À quelque chose malheur est bon) », elle parait dans Musée des enfants, n° 5, 1er mai 1896.[↩]
- Parmi lesquels L’Intransigeant du 10 avril 1894, La Justice du 10 avril 1894, Le XIXe siècle du 11 avril 1894, mais aussi les Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, n° 6-7, juin-juillet 1894. Voir également le compte-rendu paru dans la revue de John Grand-Carteret Le Livre et l’image : « Du droit des dessinateurs sur leurs œuvres », n° 15, mai 1894.[↩]
- Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes. Tome XII, Librairie L. Conquet, 1892.[↩]
- Note attachée à l’entrée de son ouvrage consacrée à Adolphe Willette.[↩]
Magnifique article et magnifique dessin. Merci pour la découverte.
Merci à vous !